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Restauration
du Meilleur article 2013
CATÉGORIE BAC PRO, MENTION COMPLÉMENTAIRE ETBP
THOMAS BRIÈRE
-
APPRENTI BAC PRO SERVICE AU FIM D’AGNEAUX (50)
CATÉGORIE CAP-BEP
AURORE DELAGE
- 1
RE
ANNÉE DE CAP CUISINE AU
CFA COBAS FORMATION À LATESTE-DE-BUCH (33)
Un soir de service comme les autres,
en débarrassant l’une de mes tables où
dînait un couple, je pose ma question
habituelle:
“
Madame, monsieur, tout
s’est bien passé ?”
Madame répond
avec engouement :
“
C’était simplement
excellent ! Vraiment !”
Je la remercie, la
débarrasse, puis monsieur glisse avec
une pointe de réprobation, presque
sèchement :
“
Elle amême saucé.”
Je
dessers donc monsieur et me permets :
“
La sauce ne vous convenait peut-être
pas, monsieur ?”
Ce à quoi il me répond
avec sincérité :
“
Elle était parfaite.”
Je
souris, les remercie et me dirige vivement
vers la plonge, en contemplant les deux
assiettes. Celle de madame immaculée,
celle de monsieur contenant encore une
quantité non négligeable de la sauce qui
accompagnait son filet de bœuf normand.
Une question s’impose alors à moi :
faut-il ou non saucer son assiette, que ce
soit au cours d’un dîner entre amis à la
maison, dans une brasserie parisienne,
un restaurant semi-gastronomique
ou même un gastronomique étoilé au
guide
Michelin
?
Commençons par
recadrer les choses. Les règles de la
bienséance trouvent leurs origines en
France sous le règne d’Henri I
er
.
Elles
ont étés renforcées sous Henri III, puis
Louis XIV. Ces règles définissaient
les manières que les membres de la
cour royale de France devaient adopter
dans leur vie de tous les jours mais
aussi et surtout à table. Abandonnées
pendant quelques décennies suite à la
Révolution française, elles sont rétablies
par Napoléon I
er
à l’aube du XIX
e
siècle.
De nos jours, nombre de ces règles font
partie intégrante de la vie quotidienne
de tous les foyers : ne pas lécher son
couteau, attendre que tout le monde
soit servi pour entamer son repas, ne
pas parler la bouche pleine... Mais
faut-il toutes les appliquer à la lettre ?
Certaines ne sont-elles pas devenues
tout simplement obsolètes ?
Dans certaines sphères de la société,
où l’image que vous renvoyez aux
autres est primordiale, la bienséance
fait autorité et aucun écart ne saurait
être toléré. Votre seule option sera de
piquer un morceau de pain, que vous
aurez préalablement rompu et non
coupé, au bout de votre fourchette
et de saucer en partie votre assiette.
Jamais entièrement ! Après quoi, vous
disposerez vos couverts dans votre
assiette, parallèles, les dents de la
fourchette vers le bas. Ce qui est bien
normal si vous vous trouvez à la même
table que madame la comtesse de Paris.
Toutes ces règles font partie intégrante
du patrimoine français et participent
à faire la réputation mondiale de notre
gastronomie (gastronomie qui est,
depuis le 16 novembre 2010, classée au
patrimoine mondial de l’humanité par
l’Unesco). N’importe quel professionnel
de la restauration se doit donc de
défendre farouchement ces valeurs.
Mais la gastronomie française n’est-ce
pas également la bonne chère ?
Le pot-au-feu ? Les potées spécifiques
à chaque région ? Le cassoulet ? Tous
ces plats qui font le charme de notre
terroir ? La gastronomie française, c’est
aussi les créations de nos chefs, avec ou
sans étoiles, qui explorent, associent et
créent de nouvelles saveurs toujours plus
flatteuses, toujours plus surprenantes,
toujours plus gourmandes ! Une pièce
de viande, aussi noble soit-elle, n’est
sublimée que par une sauce derrière
laquelle se cachent souvent plusieurs
heures de travail. En dernier lieu, je ferai
appel aux souvenirs de chacun d’entre
nous. Nous avons tous une grand-mère
qui cuisine. Souvenez-vous, le mercredi
midi, à table avec vos grands-parents,
dégustant la spécialité de votre aïeule.
Vous êtes repu mais votre assiette
n’est pas vide. Tombe alors la question
fatidique de mamie :
“-
Qu’est-ce qu’il y a ? C’est pas bon ?
-
Si c’est excellent, mais je...
-
Hé bah tu vas en reprendre ! Il reste
du poisson, je vais faire chauffer de la
crème !”
Et croyez-moi, dans ce cas, il est
vivement recommandé de saucer son
assiette !
Nous avons tous en nous cette part
d’insouciante gourmandise qui nous
pousse à rendre une assiette impeccable.
Le repas est un moment de partage,
de détente et de plaisir. Au restaurant
encore plus qu’ailleurs. Alors quand
nous sommes face à notre assiette
encore maculée, armons-nous de pain
frais comme nos boulangers savent le
faire et, je vous le dis, sauçons ! Sans
retenue, sans gêne. Faisons honneur à la
gastronomie qui est la nôtre ! Et jusqu’à
la dernière goutte s’il vous plaît !
Q
Une question de bienséance
Passe ton bac d’abord !
Chaque enfant grandit avec des rêves plein la tête et
des étoiles dans les yeux. Mon rêve, ma passion, c’est
la cuisine, l’univers de la restauration. Quel problème
y a-t-il avec ça ? Aucun, à première vue. Seulement,
en grandissant, on confronte nos rêves à ceux que nos
parents avaient pour nous. Et c’est ici que tout s’est
compliqué. La cuisine ? Je suis tombée dedans quand
j’étais toute petite, un peu comme Obélix et la potion
magique. Lorsque l’on a une grand-mère qui adore
passer des heures àmitonner de bons petits plats, qui
est capable de vous faire manger de la lamproie ou des
grenouilles et, plus étonnant encore, de vous faire adorer
ça, vous ne vous en rendez pas encore compte mais l’idée
germe en vous. Moi, plus tard, c’est ça que je veux faire.
Je veux surprendre les gens par une odeur, une couleur,
un goût qui leur feraient pétiller les papilles et briller
les yeux. D’accord, me répondmamère, quand tu auras
passé ton bac !
Après plusieurs disputes, restant bouche bée devant
ce mur de refus de négocier de la part de mes parents,
je m’y résous : je passerai donc un bac littéraire.
De toute façon, ils n’y comprennent rien. Pour eux,
un bon travail c’est un travail qui vous donne le samedi
et le dimanche comme jours de repos, et qui surtout
garde libre les jours fériés. Ce n’est pas grave, je prends
sur moi. J’étudie la littérature, le théâtre, tout en pensant
que développer mon imagination me sera utile en
cuisine, et l’anglais, qui m’aidera à travailler à l’étranger.
Je contente mes besoins de porter l’uniforme et d’avoir
des odeurs tenaces d’aliments sur les mains
en travaillant dans un fast-food en plus du lycée.
N’en déplaise à mes parents, ce n’est que le
commencement. J’apprends les horaires en coupure,
les rushes ou coups de feu, les heures à mourir de
chaud sans avoir le temps de boire une goutte d’eau.
Et si cela changeait ma vision du métier ?
Au risque de paraître folle, je crois que ça n’a fait
qu’encourager ma décision. Je serai cuisinière.
Et à l’approche des repas de famille, mes papilles
gustatives sont en ébullition à l’idée de déguster les
tagliatelles au saumon et la sauce au sauternes de
ma grand-mère. Ce qui ne détourne pas mes parents
de leur volonté de me voir tenter les concours de la
fonction publique. Alors me voilà, depuis quelques
mois, apprentie en cuisine, éprouvant une grande fierté
chaque fois que je fais une recette que je n’avais jamais
faite, les yeux remplis d’étoiles devant les magazines
culinaires. Pas un jour ne passe sans que les odeurs
émanant des rondeaux ne me fassent voyager, pas un
service sans que je me surprenne à sourire devant la
beauté d’une assiette. Je n’échangerai ma place contre
aucun étudiant courant derrière son tram. Comme
le disait Chamfort :
“
Les raisonnables ont duré, les
passionnés ont vécu.”
Q
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