L'Hôtellerie Restauration No 3705

Quelles sont les conséquences de la crise sanitaire sur votre fonds de commerce ? Depuis le 15 mars, restaurants et débits de boissons ne peuvent plus accueillir du public et l’exploitant du fonds de commerce est donc empêché de réaliser du chiffre d’affaires. Peut-il suspendre le paiement des loyers ? Ceux qui devaient signer un acte cession peuvent-ils le repousser ? Tiphaine Beausseron et Baptiste Robelin, avocat au sein du cabinet DJS, répondent à vos questions. Q Je suis propriétaire d’un fonds de commerce. Puis-je arrêter de payer mon loyer commercial ? Non, la crise sanitaire ne supprime pas l’obligation contractuelle de paiement du loyer commercial. En revanche, une ordonnance du 25 mars 2020* prévoit que le défaut de paiement des loyers affé- rents aux locaux professionnels et commerciaux, dont l’échéance intervient entre le 12 mars 2020 et le 24 juillet 2020 (deux mois après la date de fin de l’état d’urgence sanitaire décrété, sauf prolongation), n’entraîne, sous certaines conditions, aucune sanc- tion pour les entreprises locataires. Si vous ne pouvez pas actuellement payer votre loyer car la fermeture forcée de votre établissement vous prive de la tréso- rerie nécessaire, vous restez débiteur de cette dette, mais, si vous remplissez toutes les conditions prévues par les textes, le bailleur ne pourra pas appliquer les pénalités de retard ni mettre en œuvre la clause réso- lutoire prévue dans le bail. Dans tous les cas, il ne pourrait pas le faire aujourd’hui, les tribunaux étant fermés pour ce type d’affaires. Vérifiez en premier lieu si vous remplissez toutes les conditions pour bénéficier de l’application de l’or- donnance du 25 mars 2020. Seules deux catégories d’entreprises sont éligibles à ce dispositif*. Il s’agit : • des entreprises qui poursuivent leur activité dans le cadre d’une procédure de sauvegarde, de redresse- ment judiciaire ou de liquidation judiciaire ; • de celles qui ont fait l’objet d’une fermeture admi- nistrative (c’est votre cas) et dont le chiffre d’af- faires clos lors du dernier exercice est inférieur à un million d’euros et le bénéfice annuel imposable est inférieur à 60 000 €, et ayant un effectif inférieur ou égal à 10 salariés (indépendant, profession libérale, micro-entreprise, TPE). Si vous remplissez ces conditions, votre bailleur ne pourra pas faire valoir les clauses applicables en cas de non-paiement des loyers (pénalités, clause réso- lutoire…), mais vous restez redevable de vos loyers. Contactez-le au plus vite pour négocier avec lui un report ou une baisse temporaire de loyer pour vous aider à faire face à cette crise. Vous pouvez également invoquer la force majeure, pour tenter de justifier l’im- possibilité de paiement à ce stade. Mais, dans tous les cas, chaque situation s’appréciera au cas par cas, en fonction des négociations. Lors d’une conférence de presse le 16 avril dernier, le ministre de l’Économie et des Finances a appelé les bailleurs à faire preuve de solidarité en consentant des annulations de loyer jusqu’à trois mois, et pas seulement des reports. Afin d’inciter les bailleurs en ce sens, un amendement a été adopté (dans une loi qui n’est pas encore en vigueur) prévoyant un dispo- sitif d’exonération fiscale des loyers non perçus par les propriétaires. Mais à ce stade, rien n’oblige les bailleurs à suspendre les loyers et tout sera affaire de négociation. * Ordonnance 2020-316 du 25 mars 2020. Décret n° 2020-371, 30 mars 2020, Journal officiel du 31 mars. Décret n° 2020-378, 31 mars 2020, Journal officiel du 1 er avril. Décret n° 2020-394, 2 avril 2020, Journal offi- ciel du 3 avril. Q Le paiement de la location de la licence IV peut-il être arrêté au même titre que le loyer ? La location de la licence IV ne fait pas partie des charges listées par l’ordonnance du 25 mars 2020 pouvant bénéficier de la neutralisation des retards de paiements. Vous ne pouvez pas vous exonérer de la payer. En revanche, vous pouvez tenter de négocier un report ou une baisse de montant en arguant de l’imprévisibilité de la crise sanitaire et/ou de son caractère de force majeure. Q J’exploite mon restaurant en tant que locataire-gérant. Je ne pourrai pas payer la prochaine redevance à cause de la fermeture administrative décidée par l’État. Le propriétaire du fonds peut-il faire jouer la clause résolutoire ? Les contrats de redevance de location-gérance ne sont pas visés par l’ordonnance du 25 mars 2020. En l’état des textes actuels, rien n’empêche le propriétaire du fonds d’y mettre un terme pour non-paiement du loyer par application d’une clause résolutoire. Vous pouvez tenter de négocier avec lui un étalement ou un report de redevance. En cas de litige, il peut être envisageable de se baser sur l’article 1343-5 du code civil pour demander au juge de reporter ou échelon- ner, dans la limite de deux années, le paiement des sommes dues. Par décision spéciale et motivée, le juge peut ordonner que les sommes correspondant aux échéances reportées porteront intérêt à un taux réduit au moins égal au taux légal, ou que les paie- ments s’imputeront d’abord sur le capital. Q Propriétaires d’un fonds de commerce d’un hôtel de 50 chambres en région Paca, nous craignons que notre affaire soit fortement dévalorisée sur plusieurs années en raison de la crise. L’article 1195 du code civil peut-il s’appliquer ? L’article 1195 du code civil prévoit que “ si un chan- gement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l’exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégo- ciation du contrat à son cocontractant. Elle continue à exécuter ses obligations durant la renégociation. En cas de refus ou d’échec de la renégociation, les parties peuvent convenir de la résolution du contrat, à la date et aux conditions qu’elles déterminent, ou demander d’un commun accord au juge de procéder à son adap- tation. À défaut d’accord dans un délai raisonnable, le juge peut, à la demande d’une partie, réviser le contrat ou y mettre fin, à la date et aux conditions qu’il fixe ”. Sauf si l’application de cet article est exclue par votre bail, vous pouvez en effet tenter de négocier une baisse de loyer sur ce fondement et, en cas d’échec, saisir le juge afin de tenter de procéder à une adap- tation du contrat. Si votre bail a été signé après le 1 er octobre 2016 et fin 2019 (avant l’apparition de l’épidémie), le caractère imprévisible de la pandémie n’est à priori pas discutable. En revanche, savoir si l’épidémie rend l’exécution du contrat “ excessive- ment onéreuse ” est une appréciation subjective, qui sera faite au cas par cas. Avant d’envisager un tel recours, définissez ce que vous souhaitez négocier : une baisse ponctuelle jusqu’à la fin de l’année 2020 ou une baisse de loyer plus générale ? La renégociation des termes de votre contrat va dépendre de votre objectif à court, moyen ou long terme. En fonction de cet objectif, le recours à cet article n’est pas forcément la tactique la plus judi- cieuse selon le contenu de votre bail. Seule une étude approfondie de celui-ci pourra permettre de décider quelle est la meilleure attitude à adopter. Q Mon mari et moi avons signé un compromis de vente pour un hôtel-bureau mi-décembre. Nous devions signer l’emprunt le 21 mars et la vente le 1 er avril mais tout est suspendu et repoussé. L’hôtel est actuellement fermé. Devons- nous toujours acheter et sous quelles conditions ? Est-il possible de renégocier le prix ? Si le déconfinement est prononcé le 11 mai, serons-nous obligés de signer ? Il est très difficile de répondre avec certitude à votre question sans avoir le compromis sous les yeux et sans connaître le contexte exact. Deux situations peuvent être envisagées : si vous n’avez pas obtenu le crédit bancaire pour l’acquisition, vous pouvez naturellement invoquer ce point pour ne pas signer l’acte définitif, les conditions suspensives n’étant pas levées. En revanche, si vous avez obtenu votre crédit, dans la mesure où le compromis de vente a valeur de contrat, l’annulation de la vente sans pénalité paraît difficile sauf à invoquer la force majeure telle que défi- nie à l’article 1218 du code civil. Et même dans ce cas, il faudra alors démontrer que l’épidémie de Covid-19 était imprévisible, irrésistible et extérieure, et surtout qu’elle empêche aujourd’hui l’acquisition, ce qui ne sera pas facile à justifier. Même si invoquer la force majeure est envisageable, sans pour autant être juri- diquement sécurisé, il est dans tous les cas possible de tenter une négociation des termes de la vente, notamment un report de la date de signature. En outre, dans le contexte économique actuel, il pourrait être difficile pour votre vendeur de trouver un nouvel acquéreur, ce qui pourrait l’inciter à baisser le prix. Le tout est de négocier avec lui dans les limites du rai- sonnable et de respecter les intérêts de chacune des parties. Le rédacteur du compromis devrait pouvoir vous conseiller. 14 L’Hôtellerie Restauration N° 3705 - 30 avril 2020 Baptiste Robelin , avocat au sein du cabinet DJS. TIPHAINE BEAUSSERON ‘Fonds de commerce en fiches pratiques’ © GETTYIMAGES JURIDIQUE #coronavirus

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