L'Hôtellerie Restauration No 3709

“D evons-nous prendre le risque de rouvrir main- tenant ?”, demandent une soixantaine de pro- fessionnels dans une lettre ouverte regroupant des cafés, bars et restaurants, publiée à l’initiative de Gilles Goujon , chef-patron de l’Auberge du Vieux Puits à Fontjoncouse (Aude), 3 étoiles Michelin . Le fait de devoir appliquer des mesures pour protéger les clients comme les salariés prouve que le corona- virus est encore en circulation et que le risque persiste. “Quelle serait alors la procédure et les responsabilités si un des salariés touchés par le Covid implique une mise en quarantaine des salariés contacts ? Une fermeture inévitable serait-elle alors volontaire ou contrainte et supportée à nouveau par les aides ? ”, s’interrogent les professionnels à juste titre. “Il est compréhensible que, poussés par le manque de chiffre d’affaires et le dé- sespoir, certains confrères puissent se sentir capables d’ouvrir de suite, malgré ce danger” , reconnaissent les si- gnataires qui posent néanmoins la question de la renta- bilité quand la moitié des couverts seraient supprimés en raison des normes de distanciation physique. Selon l’es- pace dont dispose le restaurant et la présence éventuelle d’une terrasse, la situation diffère d’un établissement à l’autre. Certains peuvent envisager de rouvrir, quand d’autres se trouvent face à deux amères possibilités : “ Rester fermé et faire faillite ou ouvrir et faire faillite.” Prolonger le droit au chômage partiel “Nous devons pouvoir appliquer un droit de retrait et re- porter les ouvertures pour ceux qui le souhaitent.” C’est la demande essentielle de cette lettre ouverte, qui réclame également que le droit de retrait soit accompagné de plu- sieurs actions gouvernementales : prolonger le droit de recours au chômage partiel jusqu’à la fin de l’année 2020 et les prêts garantis par l’État (PGE) sur dix ans (sur la base de quatre mois de chiffre d’affaires), assouplir les conditions d’accès au PGE et PGES (voire les étatiser) et accorder la baisse de la TVA à 5,5 % dans la restauration. La lettre ouverte n’oublie pas les assurances auxquelles les signataires demandent la prise en charge de la perte d’exploitation pour tous à hauteur de 15 à 25 %. La création d’un fonds de garantie catastrophe sanitaire (à l’instar de la garantie ‘CAT NAT’ instaurée en 1982 et du fonds Barnier) leur semble également incontournable. La profession demande encore et toujours que les assurances jouent leur rôle. 6 L’Hôtellerie Restauration N° 3709 - 28 mai 2020 Marc Veyrat : “Est-ce que cela vaut la peine d’ouvrir ?” MANIGOD Confronté aux normes sanitaires post-confinement, le chef savoyard se pose des questions. Il pourrait ne pas rouvrir son restaurant, La Maison des bois. Poser une question, ajouter un commentaire Fleur Tari > www.lhotellerie-restauration.fr/QR/RTR863520 Poser une question, ajouter un commentaire Nadine Lemoine > www.lhotellerie-restauration.fr/QR/RTR463506 I l a vécu le coronavirus dans sa chair et pourtant rien n’entame son énergie. Pour le bouillonnant chef savoyard Marc Veyrat , le confinement a été finalement une pause salutaire. Il a remis les choses en perspective, repensé les fondamentaux du métier. “ Je me suis remis en question et j’ai même pris du recul par rapport au guide Michelin . Il faut que les restaurateurs aient la force de se battre et fassent plier les assurances, les banques. J’ai une clientèle composée à 75 % d’étrangers, dont 50 % de Suisses, qui ne peuvent pas venir chez moi.” Dans son restaurant de Manigod (Haute-Savoie), La Maison des bois, ne garder qu’une table sur deux pour respecter la distanciation sociale le ferait passer de 30 à 15 couverts . “Avec 40 salariés et trois jours de fermeture, est-ce que ça vaut la peine d’ouvrir ? Je ne veux pas travailler à perte et surtout dans quelles conditions ! J’ai eu 70 ans cette année et je ne veux pas voir mes clients barricadés derrière du plexiglas . Ce n’est pas l’idée que je me fais du métier. Dans un grand restaurant, on doit dialoguer. Le masque, ce n’est pas ce qu’il y a de mieux : on a besoin de voir les visages, sans compter les risques pour nos employés.” Le renouveau Marc Veyrat a d’ailleurs signé avec ses confrères, dont beaucoup de chefs étoilés, une lettre ouverte sur la question (lire ci-contre) : “Rester fermé et faire faillite ? Ou ouvrir et faire faillite ?” “ Il faudrait juger au cas par cas, département par département , établissement urbain ou rural .” En attendant de prendre une décision sur sa réouverture ou non, le chef a fêté en famille ses 70 ans, le 8 mai. “J’ai retrouvé mes quatre enfants, et c’est un immense bonheur.” Le chef se prend même à rêver que Carine , Sandrine , Élise , et son aîné, Pierre-Emmanuel , le secondent chacun dans leur domaine. “ Le monde a changé . Tout est possible maintenant.” L’ACTUALITÉ Réouverture : les professionnels demandent le droit de retrait pour les restaurateurs Une lettre ouverte, signée par une soixantaine de chefs à l’initiative du chef étoilé Gilles Goujon, demande la possibilité pour les restaurateurs de ne pas rouvrir tout en conservant les aides. Gilles Goujon : “C’est pour nous protéger tous que nous demandons encore à être aidés.” Marc Veyrat : “Un restaurant rural ne se compare pas à un restaurant urbain.” Un exemple de mise en place de vêtements devant un établissement pour l’opération #ATable. #ATable, un plaidoyer en image pour alerter le grand public sur l’avenir du secteur Les organisations professionnelles du secteur et plusieurs associations de restaurateurs ont signé une tribune parue le 25 mai dans les quotidiens Le Parisien et Aujourd’hui en France , dans laquelle ils interpellent l’État, les grands acteurs économiques, les collectivités locales et les bailleurs. “ Beaucoup a été fait, certainement plus que dans aucun autre pays au monde, mais nous savons aussi que plus de 30 % des restos et bistros de France, des hôtels, des traiteurs organisateurs de réceptions auront disparu avant la fin de l’année si un mouvement d’ampleur n’est pas engagé aujourd’hui”, alertent-ils. Didier Desert , propriétaire de l’Ambassade d’Auvergne à Paris, explique : “Le pays a besoin de ses CHR et nous avons décidé de le rappeler avec cette prise de parole nationale mais aussi au travers de l’opération #ATable [ui s’est déroulée le 27 mai, NDLR].” Tous les professionnels de France ont été appelés à déposer devant leur vitrine, entre 10 heures et midi, des objets ou des vêtements qui représentent leur métier, à les prendre en photo, mais sans aucune personne, puis à relayer ces photos sur les réseaux sociaux.

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