L'Hôtellerie Restauration No 3730

6 L’Hôtellerie Restauration N° 3730 - 22 octobre 2020 Gérald Passedat : “On est tous étranglés” Michel Sarran : “Stop, arrêtez de nous sacrifier !” D ès l’annonce du couvre-feu par le président de la République, le standard du Petit Nice a retenti. Les clients du service du samedi soir (qui était complet) voulaient reporter ou annuler. “Nous sommes habituellement fermés le dimanche et le lundi, j’ai décidé de leur proposer de venir le dimanche midi. Pendant les vacances scolaires, on ouvre le midi 7 jours sur 7. On va voir si ça marche. Est-ce que les gens seront plus nombreux au restaurant le midi ? Est-ce qu’ils vont dépen- ser plus que ce qu’ils dépensaient avant au déjeuner ?, s’inquiète Gérald Passédat , chef triplement étoilé du restaurant. Pour l’hôtel, je vais laisser une formule bistrot dans l’immédiat puisqu’il faut que le personnel soit rentré chez lui à 21 heures.” L’hôtel, qui est un atout pour le restaurant, est aussi une charge. “Ceux qui viennent dormir à l’hôtel, c’est aussi pour manger et passer un bon moment. S’ils ne se voient pas faire le repas le midi, ils annuleront les chambres et le restaurant. C’est catastrophique !” , explique le chef qui ajoute : “Ce qui est un peu bizarre, c’est que pratiquement toutes les grandes villes sont en couvre-feu. Ça veut dire que les gens vont aller dîner aux alentours et même y dormir. Donc on déplace le problème.” Fréquentation en chute libre Gérald Passédat, comme bon nombre de ses confrères, a peu d’espoir que les clients soient prêts à venir au restaurant à 18 heures. “Je pense franchement qu’au mois de novembre, je vais fermer Le Petit Nice. Je vais peut-être rouvrir pour la période des fêtes en décembre. Je suis comme un capitaine de bateau qui n’a pas de radar et qui navigue à la sensation…” Le chef gère également trois points de restauration dans le musée des civili- sations de l’Europe et de la Méditerranée (Mucem), or sa fréquentation est aussi en chute libre. “S’il n’y a personne au musée, je vais aussi devoir fermer” , concède-t-il. “Je comprends que c’est une année de changement, mais c’est très com- pliqué, y compris pour nos collaborateurs. C’est complexe psychologique- ment. On n’arrive pas à avancer. On est tous étranglés, constate Gérald Passédat. Il va falloir repenser les horaires, avoir de nouvelles idées… aujourd’hui, je ne sais pas comment on va faire.” L’ACTUALITÉ MARSEILLE Dans la cité phocéenne, le couvre-feu est aussi vécu comme une catastrophe. Le chef-patron de l’hôtel et restaurant Le Petit Nice, 3 étoiles Michelin , songe à fermer après les vacances scolaires. Poser une question, ajouter un commentaire Nadine Lemoine > www.lhotellerie-restauration.fr/QR/RTR865023 Poser une question, ajouter un commentaire Nadine Lemoine > www.lhotellerie-restauration.fr/QR/RTR465029 TOULOUSE Installé dans l’une des métropoles soumises au couvre-feu à 21 heures, le chef doublement étoilé monte au créneau et crie son incompréhension face aux décisions du Gouvernement. “O n a déjà fermé 2 mois, 3 mois pour moi, qui ont déjà fragilisé notre modèle économique. On nous a imposé des protocoles onéreux et… tout ça pour rien ! Je suis conscient que la situation sanitaire est inquiétante, mais je suis révolté par l’iniquité devant la crise : il y a une focali- sation sur nos métiers et ceux liés aux loisirs. Toutes les charges fixes, les loyers, le coût des congés payés… on va continuer à perdre de l’argent alors qu’on est déjà affaiblis. La France est le pays de la gastronomie. On en est fiers et c’est la première chose que l’on sacrifie quand il y a un coup dur ! On choisit de sacrifier un pan d’activité. Je ne peux pas l’accepter ! Je déplore aussi un amalgame. On prend une mesure qui touche un secteur d’activi- té dans lequel il y a différents cas de figure. Par exemple, dans la restauration rapide, par son fonctionnement, ils pourront continuer à travailler jusqu’à 21 heures et même plutôt bien quand les gens du centre-ville prendront à emporter pour dîner chez eux. Nous ne sommes pas dans le même schéma. On veut nous faire croire que le seul endroit où le Covid se développe, c’est dans les res- taurants. Qu’est-ce que ça veut dire ? Ce n’est pas sérieux ! Quant à la règle des 6, il n’y a que dans les restaurants qu’elle est appliquée ! Dans les universités, les centres commerciaux, les transports en commun, elle est respectée ? Quand le président [de la République] annonce : “Vous pouvez partir en vacances !” , c’est insensé ! Nous sommes quand même en train de payer tous les abus qui ont eu lieu pendant les vacances cet été. Les gens vont à nouveau quitter leur région et aller encore pro- pager le virus ? Ce n’est pas comme ça qu’on va endiguer le Covid. Et après, on viendra nous dire qu’on doit rester fermés. Ce qui est très vicieux dans les propos du Gouvernement, c’est d’imposer le couvre-feu à 21 heures. Le couvre-feu, ce n’est pas une fer- meture administrative. Déjà qu’il faut se battre auprès des assurances pour faire valoir la perte d’exploitation due au confinement alors que la fermeture administrative est mentionnée dans les contrats… Le couvre-feu, lui, ne l’est pas. “On ne peut que fermer, donc on se tue tout seul” Chez moi, à 21 heures, on prend l’apéritif. Les clients ne viendront pas à 19 heures. Pour le service du soir, cela ne sert à rien d’ouvrir. Donc je décide moi-même de fermer, ce qui implique que l’on n’a aucun recours. Dans la restauration gastronomique, on ne peut que fermer, donc on se tue tout seul. Je suis en train de regarder avec mon comp- table, mais je crois que je vais devoir tout sim- plement fermer. Au déjeuner, je fais pénible- ment un petit 40 %. J’ai une formule qui doit être attractive et elle est bien en-dessous du ticket moyen. Or, pour faire les 45 couverts, j’ai besoin de toutes les personnes du service. En toute logique, je perds de l’argent. Comment voulez-vous qu’on vive ? Je suis en train de faire des projections avec mon comptable et d’étudier les annonces de Bruno Le Maire avant de prendre une décision définitive. Je ne vais pas voir la solution la meilleure mais la moins pire. Quand on entend le Président dire : “C’est dur d’avoir 20 ans, on vous impose des sacrifices” … être restaurateur en 2020, c’est quoi ? Comme beaucoup, j’ai démarré de zéro pour construire quelque chose et au bout de 20, 25 ou 30 ans, on nous dit : “Stop !” Mais si je m’arrête, je vais tout perdre ! On est un peu [focalisés] sur Paris, mais chez nous à Toulouse, c’est très facile d’éviter le centre-ville et d’aller manger en périphérie. Ici, le secteur porteur, c’est Airbus et la ville s’est beaucoup développée en périphérie. Les clients n’auront qu’à y rester pour aller au restaurant. Les sinistrés, c’est la restauration intra-muros. Ce qui important, c’est qu’on se retrouve tous, qu’on oublie nos différences, tous les syndi- cats, tous les collectifs, pour se faire entendre d’une seule et unique voix : celle de notre métier. Il faut dire stop, arrêtez de nous sacri- fier ! Je suis révolté, en colère et surtout très très très inquiet.” “Est-ce que les gens seront plus nombreux au restaurant le midi ? Est-ce qu’ils vont dépenser plus que ce qu’ils dépensaient avant au déjeuner ?”, s’inquiète Gérald Passédat. Michel Sarran  : “ Chez moi, à 21 heures, on prend l’apéritif. Les clients ne viendront pas à 19 heures.” © RICHARD HAUGHTON

RkJQdWJsaXNoZXIy ODk2OA==