L'Hôtellerie Restauration No 3743
FONDS DE COMMERCE Bruno Juin (CBRE) : “On ne voit pas de désaffection du secteur hôtelier par le marché de l’investissement” Le secteur de l’hôtellerie intéresse toujours les investisseurs, affirme le directeur senior Hôtels France, Belgique & Luxembourg de CBRE. Le marché est resté dynamique malgré la crise, avec toutefois un allongement du délai moyen de vente. L’Hôtellerie Restauration : Comment voyez-vous le marché des transactions d’aujourd’hui ? Bruno Juin : La bonne nouvelle à ce jour, c’est que la crise de la Covid n’a pas eu l’effet dévastateur que certains antici- paient, à savoir un gel total du marché. Il est même rassurant de constater que, malgré l’ampleur de cette crise, les valeurs n’ont pas subi de décrochage proportion- nel à celui enregistré sur les performances opérationnelles. Il y a bien quelques exceptions, mais elles sont restées à la marge, et liées, dans la majorité des cas, à des problèmes de gestion antérieurs à la crise. Nous faisons face à la pire crise de notre secteur et on ne voit pas de désaffec- tion du secteur par le marché de l’investis- sement : un hôtel reste un objet qui garde une valeur intrinsèque. CBRE Hotels a enregistré sur l’année 2020 un volume d’investissement d’en- viron 1,1 milliard d’euros sur l’hôtellerie en France. Si ce montant traduit une ten- dance en très nette diminution par rap- port à l’année précédente, on remarque qu’il est essentiellement composé de vente d’actifs à l’unité. L’année 2020 n’a vu, en effet, aucune vente d’actif emblé- matique et très peu d’opérations de vente de portefeuille d’hôtels. Malgré cela, le marché est resté dynamique, porté par une abondance de liquidités et un nombre toujours croissant d’acteurs souhaitant se positionner sur le secteur hôtelier avec une optique long terme. Cette dynamique se confirme dans les premiers mois de 2021. L’ombre principale au tableau reste, à l’heure actuelle, le faible nombre d’orga- nismes bancaires présents de manière ac- tive sur le secteur. Mais l’avantage, c’est que les banques changent vite d’avis. Si elles sont particulièrement réactives aux effets négatifs du marché, elles le sont aussi sur des éléments positifs tels qu’une reprise du tourisme. Avec la crise, avez-vous constaté des changements sur le marché ? On constate aujourd’hui un allongement du délai moyen d’une vente. Et notam- ment parce que les négociations sont plus longues avec, d’un côté, des acheteurs qui peuvent avoir des difficultés à trouver des financements et qui cherchent donc à valoriser à la baisse les actifs et, en face, des propriétaires qui fondent leurs espoirs sur une reprise de l’activité à moyen terme et qui bénéficient des aides de l’État leur permettant ainsi de patienter. L’inconnu aujourd’hui, c’est lequel des deux pourrait avoir raison avant l’autre. La crise actuelle va-t-elle être génératrice dans un avenir plus ou moins proche d’un flux d’hôtels en difficulté sur le marché ? C’est encore à ce jour difficile à anticiper car un élément déterminant reste l’ar- rêt programmé des aides gouvernemen- tales. Si elles s’arrêtent trop tôt, est-ce que l’hôtelier va survivre ? Une autre in- connue est l’émergence d’une éventuelle guerre des prix. Le risque est réel car, au moment de la reprise du tourisme dans le monde entier, certains hôteliers seront tentés d’utiliser la variable tarifaire pour remplir leurs établissements plus vite que les autres. C’est une spirale descendante qui peut faire de nombreuses victimes très rapidement car elle est consommatrice de trésorerie dans un contexte où le niveau de celle-ci à déjà fortement été impacté. La crise hôtelière des années 1990 est un parfait cas d’école avec un marché qui a mis près d’une décennie à effacer la chute des prix enregistrée sur deux années. Quels sont les éléments que vont prendre en compte les investisseurs dans le cadre d’un achat ? Un investisseur en hôtellerie se focalise sur trois éléments : la localisation de l’établissement, sa taille et son type d’ex- ploitation. La localisation de l’actif reste le point principal. En fonction de l’environne- ment, un investisseur sera à même de déterminer sa capacité à optimiser les performances de l’hôtel. Le contexte ac- tuel vient renforcer cette approche et un actif bien localisé par rapport à sa zone de chalandise a de fortes chances de motiver l’intérêt des investisseurs. La taille de l’établissement vient juste après sur la liste. Un investisseur cherche avant tout à optimiser la profitabilité de l’exploitation qu’il achète. Le nombre de chambres permet à la fois de détermi- ner l’éventail des segments de clientèle que l’on pourra viser - clientèle affaires, clientèle loisirs et/ou clientèle groupe - et surtout d’estimer le niveau du seuil de rentabilité. Sans surprise, un nombre important d’investisseurs restent moti- vés par des hôtels de grande taille (plus de 100 chambres) et certains marchés, tel que Paris, sont particulièrement sensibles à cet argument. Enfin, les investisseurs s’intéressent au mode d’exploitation de l’hôtel. L’exis- tence d’une relation contractuelle avec une marque hôtelière peut avoir de réelles répercussions sur la valeur de l’actif en fonction de son marché. Une marque sur un marché fortement concurrentiel sera un élément positif de valorisation de l’hôtel alors que pour des marchés ou la demande excède régulièrement l’offre, l’existence d’un contrat ne sera pas per- çue de la même manière par les investis- seurs. Tout est question d’appréciation ! Quels conseils donneriez-vous pour un hôtelier vendeur ? Il n’y a pas une bonne méthode pour vendre un hôtel, comme il n’y a pas un prix pour vendre un hôtel. C’est une foule d’éléments qui font la valeur d’un hôtel : son RBE, sa capacité à se relancer dans un contexte compliqué, son marché concur- rentiel et la possibilité à aller chercher de nouveaux vecteurs de valeur. Je conseille à mes clients de rester intel- lectuellement le plus flexible possible. Vendre son outil de travail n’est jamais anodin, j’en suis conscient, mais le ra- tionnel d’achat d’un investisseur s’ac- commode mal d’un prix de vente que l’on ne serait pas capable de justifier par des éléments tangibles d’exploitations ou par des fondamentaux solides à long terme. L’objectif principal dans le processus de vente, c’est de motiver l’audience la plus large possible d’investisseurs, depuis des hôteliers jusqu’à des investisseurs institu- tionnels en passant par des investisseurs privés… et l’intérêt, c’est de créer une émulation pour que le prix de vente reste le plus élevé possible. Nous appliquons cette méthode pour tous les process, et sur l’ensemble de la France. 16 L’Hôtellerie Restauration N° 3743 - 2 avril 2021 Bruno Juin, directeur senior Hôtels France, Belgique & Luxembourg chez CBRE. ©DR Poser une question, ajouter un commentaire Romy Carrere > www.lhotellerie-restauration.fr/QR/RTR466662 Sans surprise, un nombre important d’investisseurs restent motivés par des hôtels de grande taille (plus de 100 chambres).” Je conseille à mes clients de rester intellectuellement le plus flexible possible. Vendre son outil de travail n’est jamais anodin.” L’ombre principale au tableau reste, à l’heure actuelle, le faible nombre d’organismes bancaires présents de manière active sur le secteur.”
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