Gare de Lyon à Paris
La grève au Train Bleu ?
Conflit social dans l'établissement phare de la gare de Lyon à Paris ? Depuis le 8
octobre, l'escalier menant au restaurant est couvert de banderoles revendicatives :
"Non à la baisse des salaires", "Non aux licenciements abusifs" et
plus d'un voyageur s'est posé la question. Et pourtant, les clients se pressent toujours
au premier étage. En fait, c'est la brasserie L'Embarcadère, juste en dessous du Train
Bleu, qui connaît des heures difficiles. L'établissement fonctionne, mais ici ce sont
les grévistes qui font l'accueil au niveau de la terrasse, débarrassée pour l'instant
des chaises et tables habituelles empilées dans un coin.
A L'Embarcadère, la clientèle rencontre tout d'abord le personnel qui a débrayé et qui
lui explique les motifs de son mécontentement. Ensuite, les clients accèdent à la
brasserie. Le tout dans le calme, si l'on excepte de temps à autre quelques slogans et le
bruit émanant des cornes de brume. Et si l'on oublie la manifestation organisée par le
Parti communiste, samedi dernier à Paris, dont les participants n'ont pas manqué de
soutenir les grévistes de L'Embarcadère.
20 jours de grève
Bien sûr, il y a un lien étroit entre le Train Bleu et L'Embarcadère. Tous deux sont
gérés par la SSP (groupe Compass) au travers de la SA Le Train Bleu qui détient la
concession de tous les points de vente de la gare de Lyon, soit 20 au total. Combien de
grévistes ? Comme pour les manifestations, les parties en présence sont en léger
désaccord : sur 86 salariés à L'Embarcadère, une cinquantaine aurait débrayé selon
les grévistes alors que la direction n'en comptait que 35 le premier jour, 30 dès le
second matin, chiffre qui se serait stabilisé depuis. Qui est en grève ? Sur ce point,
tout le monde s'accorde pour dire qu'il s'agit du personnel en salle. "Ce sont les
cadres qui font le service. Il faut voir ça", lance ironiquement l'un des
grévistes. Côté direction, on confirme : "Ce sont les cadres et les services
fonctionnels d'ici et d'autres sites qui assurent le service, soit une vingtaine de
personnes. D'ailleurs, tous les ans, chacun passe une journée dans les points de vente au
service. C'est un très bon exercice. Cette "Journée à votre service"
correspond à l'esprit du groupe d'être toujours en phase avec le métier. Cela permet de
bien connaître les réalités et les difficultés de chacun afin de trouver de bonnes
idées et des solutions efficaces pour améliorer le service. Dans ce genre de période,
ça sert", explique Michel Henry, directeur des ressources humaines de la SSP.
Les personnels de production, de plonge et de caisse n'ont pas suivi le mouvement de
grève et bien que l'activité soit en baisse, la SSP note un "report de la
clientèle vers les autres sites", ce qui limite l'impact financier du mouvement.
La grande question, c'est pourquoi cette grève ? Pour les grévistes, une douzaine de
revendications ont été répertoriées, dont la réintégration de salariés licenciés. "Cinq
salariés ont été licenciés pour non-respect de la procédure de caisse. Qu'est-ce-que
ça veut dire ? Si on veut licencier pour vol, il faut le dire clairement", dit
un gréviste. "Ces licenciements sont dus à une enquête menée par la direction
à la mi-août dans l'établissement. S'il y a faute, pourquoi attendre la fin septembre
pour les virer ? Nous, on veut un contrôle de caisse sur le champ s'il y a un
problème", ajoute sa voisine. "Sur les cinq licenciés, trois ont vingt
ans de maison, un 10 ans, et le dernier deux ans et demi. De toute façon, ils veulent se
débarrasser des anciens", s'exclame un troisième.
La SA Le Train Bleu est tombée dans le giron de la SSP en mars 1998, suite au rachat du
groupe Azuelos par Compass. "D'octobre 1998 à juin 1999, nous avons communiqué
de façon claire sur les règles basiques des procédures de caisse (enregistrement
systématique en caisse, ticket déchiré dès que le client a payé), insiste Michel
Henry. Malheureusement, nous avons observé des manquements répétés à ces
procédures et il a fallu prendre des mesures. En fait, cela fait plus d'un an
d'information constante auprès des salariés. Bien sûr, ce n'est pas simple de changer
de modèle alors qu'on a fonctionné autrement pendant vingt ans." En fait, bien
avant les licenciements, en mai dernier exactement, la direction avait déjà procédé à
une quinzaine de sanctions disciplinaires, en guise d'avertissement. Trois mois plus tard,
le couperet est tombé. "On instaure les règles du jeu. Après, chacun est
libre", dit Michel Henry.
Quant aux contrôles du respect des procédures de caisse, ils font désormais partie
intégrante de la gestion des entreprises, rappelle la SSP. Les anciens sont-ils visés ? "Non,
répond la SSP. Chez nous, on n'a jamais fait de préretraite, sauf à la demande des
salariés, et l'on n'a aucun problème avec la pyramide des âges. Il faut un équilibre
entre les jeunes et les plus vieux. C'est un dur métier avec beaucoup de volume en
permanence et à L'Embarcadère, on a besoin de gens expérimentés."
Mise en place des 39 heures
En fait, ce qui se joue aujourd'hui à L'Embarcadère, c'est la mise en place de la
réduction du temps de travail. Depuis le 1er octobre, la SA Le Train Bleu a instauré les
39 heures en application d'un accord d'entreprise signé le 30 juin dernier avec le
syndicat majoritaire dans l'entreprise, la CFTC. Les salariés sont donc passés de 43 à
39 heures et dans le même temps l'accord entérine le passage de 17,79 % à 17 % HT du
chiffre d'affaires pour le calcul des rémunérations du personnel en salle. Les
grévistes dénoncent cet accord et craignent une sérieuse baisse de salaire, d'autant
que la répartition n'est plus individuelle au portefeuille mais à partir d'une masse
commune. "Lorsqu'un salarié voit sa rémunération indexée sur le chiffre
d'affaires qu'il génère individuellement, réduire son temps de travail reviendrait à
diminuer automatiquement et mathématiquement sa rémunération. Le calcul des
rémunérations à partir d'une masse commune permet de résoudre cette
incompatibilité", plaide la direction qui souligne que les établissements
fonctionnant sous le régime de la loi Godard sont de moins en moins nombreux et que le
pourcentage accordé en général est nettement plus faible (autour des 15 % de CA TTC).
Avant la signature de l'accord, près d'une vingtaine de réunions avec le personnel a
été organisée pour expliquer ce que l'accord impliquerait pour eux et ce qui allait
changer au 1er octobre. Par exemple, une nouvelle planification des heures de présence
par semestre. "Dans une gare, l'activité n'est pas linéaire. Il y a des
périodes creuses et d'autres particulièrement intenses. Pour répondre à la demande de
la clientèle, il faut que tout le monde soit présent les jours de grands départs, par
exemple. Ce qui n'est pas le cas aujourd'hui", explique Michel Henry. Or, selon
la direction, la réorganisation semestrielle du temps de travail en fonction de
l'activité devrait permettre d'augmenter le chiffre d'affaires et par là même de
couvrir sans problème les 0,79 % concédés par les salariés en contrepartie de la
réduction du temps de travail. La SSP a effectué des projections pour en convaincre le
personnel, à savoir les 368 personnes du site de la gare de Lyon et les 600 de la
division aéroport (Roissy, Strasbourg, Toulon...), tous passés aux 39 heures au 1er
octobre 1999. Les récalcitrants de L'Embarcadère semblent vouloir tenir bon. Quant à la
SSP, elle recherche une solution pour sortir du conflit.
"Notre difficulté, c'est d'apporter une clarification dans les revendications,
explique Michel Henry. Au cours des différentes réunions avec les grévistes, on
s'est aperçu que beaucoup de revendications relevaient d'une non-compréhension par
rapport à ce qu'on mettait en place. On n'est pas dans une logique d'écrasement du
mouvement mais d'ouverture. On leur a procuré satisfaction sur de nombreux points. On va
continuer à négocier mais on ne veut pas faire de promesses qu'on ne pourra pas tenir et
l'on ne reviendra pas sur les 17 %. Conclure un accord larvé de problèmes qui pourraient
mener à une nouvelle grève, ce n'est pas la peine. L'important, c'est de trouver les
moyens de repartir sur de bonnes bases."
N. Lemoine
Michel Henry, DRH de la SSP.
Le Train Bleu n'est pas en grève, c'est la brasserie de l'Embarcadère qui fait
face à une grève de près de 20 jours d'une partie de son personnel en salle.
L'HÔTELLERIE n° 2636 21 Octobre 1999