Baux commerciaux
Il est possible de faire varier le montant du loyer de son commerce en fonction de ses recettes, à condition bien sûr que le bail prévoie une clause recettes. Il existe plusieurs techniques pour faire varier le loyer, mais sont-elles vraiment intéressantes ?
Comme son nom l'indique, la
"clause recettes" est la clause selon laquelle tout ou une partie du loyer est
déterminé sur la base des recettes (chiffre d'affaires) réalisées par le locataire. Ce
peut être, soit :
* une clause recettes pure et simple, c'est-à-dire que le loyer sera calculé uniquement
en fonction d'un pourcentage du chiffre d'affaires HT réalisé par le locataire au cours
de la période considérée ;
* une clause recettes qualifiée de binaire, combinant une partie fixe (loyer de base ou
loyer minimum garanti) et une partie variable dépendant des recettes réalisées par le
locataire.
La partie variable peut elle-même comporter des paliers ou prévoir plusieurs
pourcentages dégressifs ou progressifs.
Quel commerce applique ces clauses ?
A l'origine, le mécanisme de la clause recettes s'est développé dans le cadre des baux
consentis pour des boutiques situées dans des grands centres commerciaux. Il s'est
étendu par la suite à d'autres secteurs d'activités et notamment aux hôtels de
chaînes intégrées.
S'agissant des baux consentis à usage d'hôtel, la fixation du loyer selon une clause
recettes est tout à fait admissible sur le principe, car le loyer des locaux à usage
d'hôtel n'est pas soumis à la règle du plafonnement. En outre, la fixation du loyer du
bail renouvelé, selon la méthode hôtelière, consiste de facto à prendre pour base de
calcul la recette idéale qui pourrait être réalisée par le locataire.
Encore faut-il prendre des précautions avant de s'engager et connaître précisément
l'incidence financière des modalités de calculs choisis (pourcentage, loyer minimum,
etc.).
Clause recettes et révision du loyer en cours de bail
On rappellera que le décret du 30 septembre 1953 prévoit deux mécanismes de révision
du loyer en cours de bail :
* la révision triennale "classique" de l'article 2 ;
* l'indexation automatique par le biais d'une clause d'échelle mobile. La révision
triennale qui, rappelons-le, n'est pas automatique, peut être demandée tous les trois
ans par le bailleur ou le preneur.
L'augmentation ou la diminution du loyer correspond, par principe, à la variation de
l'indice Insee du coût de la construction, sauf à démontrer une modification des
facteurs locaux de commercialité ayant entraîné une variation de plus de 10 % de la
valeur locative.
L'indexation du loyer, selon une clause d'échelle mobile (le plus souvent indice Insee du
coût de la construction), est automatique et généralement annuelle. La combinaison d'un
bail assorti d'une clause recettes avec les mécanismes de révision prévus par le
décret de 1953 a donné lieu à des opinions et solutions divergentes, tant en doctrine
qu'en jurisprudence.
Cette difficulté d'interprétation a été tranchée par plusieurs arrêts de principe.
S'agissant de la révision triennale de l'article 27, un arrêt de la cour de Cassation du
7 février 1990 a décidé que "la révision du loyer d'un bail commercial, dont
le prix comprend une partie fixe et une partie constituée par un pourcentage sur le
chiffre d'affaires, échappe aux dispositions du décret du 30 septembre 1953 et n'est
régie que par la convention des parties".
S'agissant de la révision de l'article 28, un arrêt de la Cour de Cassation du 5 janvier
1983 a jugé que "la clause qui institue des loyers alternatifs, déterminables
année par année, ne constitue pas une clause d'échelle mobile permettant la révision
du loyer dans les conditions prévues par l'article 28 du décret du 30 septembre 1953".
La révision du loyer d'un bail, assortie d'une clause recettes, ne peut donc intervenir
que selon les modalités de calculs et aux dates prévues par cette clause, les
mécanismes de révision institués par le décret du 30 septembre 1953 n'étant pas
applicables.
Clause recettes et loyer du bail renouvelé
Là encore, il s'agit de déterminer si, à l'expiration du bail, le loyer venant en
renouvellement sera fixé selon le mode de calcul de la clause recettes, qui sera reprise
à l'identique dans le bail renouvelé, ou si cette clause ne s'applique que pour la
durée du bail d'origine, auquel cas le loyer du bail renouvelé le serait selon les
dispositions prévues par le décret. Cette question a fait également l'objet de longues
polémiques, tant en doctrine qu'en jurisprudence. Dans une décision du 13 octobre 1992,
la cour d'appel de Paris avait considéré que "la volonté des parties devait
exclusivement conduire à retenir la structure binaire, fixation d'un loyer variable avec
loyer minimum en laissant intacts les pouvoirs de contrôle des taux et de fixation des
montants appartenant au juge de la propriété commerciale".
Puis, la cour de Cassation, dans un arrêt du 10 mai 1993, décidait que "la
fixation du loyer renouvelé d'un tel bail (partie fixe et partie variable) échappe aux
dispositions du décret du 30 septembre 1953 et n'est régie que par la convention des
parties".
La cour d'appel de Paris et celle de Versailles ont résisté à cette interprétation.
Dans un arrêt du 31 octobre 1995, la cour d'appel de Paris considère que le montant du
loyer d'un bail à renouveler doit correspondre à la valeur locative. Le juge doit la
fixer en tenant compte, notamment, des modalités selon lesquelles le prix antérieurement
applicable avait été originairement fixé, c'est-à-dire, en prenant en considération
le caractère binaire du loyer, le loyer minimum garanti pouvant cependant être modifié
selon les critères du statut. Dans un arrêt du 9 janvier 1997, la cour d'appel de
Versailles va plus loin en estimant que les taux et montants de la partie variable du
loyer peuvent également être modifiés, "le contraire aboutirait à la
suppression de toutes les protections statutaires et contractuelles pour les titulaires de
baux à loyer variable, ainsi qu'à une absurde intangibilité des conditions financières
d'un bail à loyer variable, alors que si la structure binaire est intangible, les taux et
les montants peuvent être contrôlés lors de chaque renouvellement, ce qui apparaît
conforme au texte du décret du 30 septembre 1953".
Par un arrêt de principe du 27 janvier 1999, la cour de Cassation casse la décision de
la cour d'appel de Versailles et maintient sa position antérieure en énonçant que la
fixation du loyer renouvelé d'un tel bail (assorti d'une clause recettes) échappe aux
dispositions du décret du 30 septembre 1953 et n'est régie que par la convention des
parties.
Tel est l'état actuel de la jurisprudence.
Le mode de calcul du loyer d'un bail assorti d'une clause recettes demeurera intangible,
tant pour les révisions au cours du bail que lors de chaque renouvellement successif.
Conséquences
Les conséquences de la jurisprudence actuelle dépendent du montant auquel a été
déterminée la partie fixe du loyer (loyer minimum garanti).
Si ce loyer de base est inférieur à la valeur locative, le mécanisme peut favoriser,
sous certaines conditions, le locataire qui ne paiera un loyer variable supplémentaire
qu'en fonction de la réussite de son activité (augmentation du chiffre d'affaires). En
revanche, si le loyer minimum garanti est dès l'origine égal, voire supérieur à la
valeur locative des locaux, le locataire sera pénalisé à vie, sans possibilité
d'échappatoire, par un loyer trop élevé et intangible. Il est permis de s'interroger
sur la pertinence de la jurisprudence actuelle dans l'hypothèse où le locataire, en
raison de la faiblesse de son chiffre d'affaires, n'atteindrait en fait jamais, au cours
du bail, le seuil de déclenchement de la partie variable du loyer calculé en pourcentage
d'un chiffre d'affaires minimum.
La même remarque pourrait être faite du côté du bailleur, quant à l'inverse, le loyer
minimum garanti est très largement inférieur à la valeur locative et que le locataire
ne déclare pas ou dissimule une partie de ses recettes.
Eric Duroux
Avocat au barreau de Paris
Exemples de clause recettes* Le loyer sera égal à 10 % du chiffre d'affaires annuel HT du preneur, sans
pouvoir en aucun cas être inférieur à la somme de 200 000 francs. |
C'est dans les des hôtels de chaînes intégrées que l'on rencontre le plus
souvent les clauses recettes.
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L'HÔTELLERIE n° 2668 Hebdo 01 Juin 2000