Inquiétude dans l'hôtellerie varoise
Multiplication des procédures, parfois jusqu'aux démolitions d'office : les professionnels du Var sont confrontés à une application plus stricte des règles d'urbanisme. Au risque parfois de détruire l'activité et de ruiner les hôteliers-restaurateurs...
Yolaine Héry, propriétaire de
l'Hostellerie de la Reine-Jeanne à Bormes-les-Mimosas (83), raconte : "Nous avons
vraiment eu l'impression d'être traités comme des criminels : être sortis du lit à 6
heures du matin par une quarantaine de gendarmes pour assister au spectacle de la
démolition d'une partie de notre établissement, c'est vraiment inhumain." En
novembre 2000, des engins des travaux publics ont démoli les quelque 200 m2
excédentaires par rapport au POS (Plan d'occupation des sols) de la commune, point
d'orgue d'une procédure de plus de dix années. "Imaginez : vous travaillez 10
ans pour faire tourner un établissement, et en même temps, vous devez sans arrêt
plaider votre cause, réexpliquer votre dossier, aller au tribunal... Certains vous disent
que votre affaire peut s'arranger, d'autres vous expliquent qu'il n'y a rien à faire. On
vous souffle le chaud et le froid, vous oscillez entre espoirs et déconvenues, vous
cherchez des solutions et vous n'en trouvez pas de satisfaisantes, et au final, c'est un
énorme gâchis. Nous avons des prêts à rembourser qui ont été calculés sur la valeur
de 480 m2 de la bâtisse quand nous l'avons achetée, et nous n'avons plus que 250 m2 à
exploiter..."
L'Hostellerie de la Reine-Jeanne n'est pas la seule à avoir fait les frais d'une
démolition d'office engagée par les services de l'Etat : hôtels, restaurants
appartenant à des groupes ou à des particuliers, établissements de toutes tailles...
Depuis une dizaine d'années, la multiplication des contentieux, résultat d'une
implication plus importante en matière de respect des règles d'urbanisme, aboutit
régulièrement à des destructions. Le chiffre exact des poursuites est difficile à
obtenir, mais l'estimation d'une vingtaine à une quarantaine de démolitions à venir
pour la fin de l'année (un chiffre global qui concerne toutes les procédures en cours,
pas uniquement les hôteliers-restaurateurs) semble être raisonnable.
Pas de traitement particulier pour les professionnels
"Nous n'intervenons que pour constater les infractions au Code de l'urbanisme et
les faire sanctionner selon les règles en vigueur, explique Daniel Lesage, chef du
service contentieux de la DDE 83. Les hôteliers-restaurateurs, comme les autres
professionnels, n'ont ni plus ni moins de droits que n'importe quelle autre personne. Si
une infraction est signalée, constatée, nous entrons dans une procédure judiciaire,
souvent longue, voire très longue si l'on épuise tous les recours. Mais le contrevenant
peut se mettre en règle à toutes les étapes de la procédure, soit en détruisant
lui-même les parties illégales, soit en obtenant une régularisation si les règles
d'urbanisme ont changé. On estime que seules 25 % des procédures sont susceptibles de
donner lieu à une exécution d'office de la décision de justice, et le choix de celles
qui sont effectivement réalisées est au pouvoir discrétionnaire du préfet."
Un discours rigoureusement légaliste, que les professionnels concernés ont du mal à
entendre : "Le règlement des dossiers ne tient absolument pas compte de la bonne
foi des hôteliers, qui rachètent parfois des établissements et découvrent ensuite les
problèmes de non-conformité. D'autre part, lorsqu'il y a destruction de l'outil de
travail, on ne peut plus travailler, et cela devient un problème humain pour les
propriétaires, social pour les employés, et économique pour l'industrie touristique,
voire pour les collectivités concernées...", estime un hôtelier, sous couvert
d'anonymat.
La longueur des procédures, la médiatisation des affaires, l'isolement et
l'incompréhension auxquels sont confrontés les hôteliers-restaurateurs concernés,
ainsi que les rumeurs d'arrangements possibles pour certains, impossibles pour d'autres,
créent un climat de tension dans le département.
Malaise dans le Var
Seule Yolaine Héry a accepté de témoigner à visage découvert, et elle comprend ses
collègues : "Quand il vous arrive quelque chose de ce genre, vous n'avez qu'une
envie, tourner la page le plus vite possible et oublier ce cauchemar... Mais, même
après, on reste inquiet : les soucis financiers s'ajoutent à la peur d'être à nouveau
confronté à cette machine impossible à arrêter..." "Ce qui est
incroyable, reprend en écho Vincent Sciré, président général de la Fédération
départementale des syndicats de l'industrie hôtelière du Var, c'est que le Var donne
l'impression d'être le seul département confronté à ce genre de choses. Les lois sont
les mêmes pour tous, pourquoi les procédures sont-elles aussi nombreuses ici ?"
Une réalité que Daniel Lesage explique par le nombre d'abus particulièrement élevé :
"On constate environ 1 000 infractions par an, alors que pour 80 % du territoire
français, ce chiffre oscille entre 0 et 40. Les zones littorales et la région parisienne
sont bien sûr à des niveaux un peu plus élevés, mais les Alpes-Maritimes et surtout le
Var sont largement au-delà. Et comme il y a quantité de zones naturelles à préserver -
elles sont importantes pour le département, notamment en termes de tourisme d'ailleurs -,
il faut intervenir. Depuis une dizaine d'années, les préfets successifs se sont montrés
très sensibles à ces problèmes et très rigoureux dans leur traitement."
Aucune médiation entre les intervenants
A défaut de pouvoir trouver une solution - toutes les personnes condamnées savent
qu'elles sont dans l'illégalité et qu'il faut donc trouver un moyen d'arranger le
problème -, une médiation entre les différents acteurs, hôteliers et services de
l'Etat, serait-elle envisageable ? Du côté de la Fédération, on constate simplement
que les professionnels en litige n'ont jamais rien demandé : "Pour autant que je
sache, les démolitions ont concerné des gens qui n'appartenaient pas au syndicat, souligne
Vincent Sciré. Et je m'étonne que personne ne soit venu me parler d'un contentieux
avant que les bulldozers n'arrivent. Nous n'avons jamais été sollicités... De toute
façon, nous n'avons pas le pouvoir de rendre légal ce qui est illégal !"
Même constat d'impuissance de la part des élus locaux : "Nous sommes pris entre
deux logiques, résume un élu local en aparté. Bien sûr, c'est difficile de voir
une personne, que l'on connaît la plupart du temps, être confrontée à des problèmes
de ce genre. D'autant plus que l'on perd parfois des emplois et des rentrées fiscales...
Mais d'un autre côté, on ne peut pas soutenir des constructions illégales. Cela
pourrait être interprété comme un encouragement à d'autres débordements, ce qui est
bien absolument exclu." "C'est vrai que nous n'avons pas fait de
démarches actives pour demander de l'aide, reconnaît Yolaine Héry. Mais, autant
certains clients nous ont spontanément apporté un soutien en nous demandant même
parfois ce qu'ils pouvaient faire pour nous aider, autant nous n'avons reçu aucun signe
de la part des institutions, comme si l'affaire était d'avance réglée et qu'on ne
puisse plus rien y faire..."
En novembre 2000, des engins des travaux publics ont démoli les quelque 200 m2
excédentaires.
"Nous demandons juste les moyens de travailler"
Le problème est encore plus crucial lorsqu'on le met en parallèle avec le développement
de l'activité touristique du département : selon le comité départemental de tourisme,
l'activité touristique a progressé de plus de 13 millions de nuitées en 10 ans, soit
une moyenne de 1,3 million de nuitées par an, alors que les infrastructures ne sont pas
toujours en nombre suffisant. "Par exemple, pour l'ouest du département, nous
avons perdu 250 chambres en 20 ans, et il y a fort peu d'ouvertures", remarque
Vincent Sciré. "Depuis que nous n'avons plus de chambres, j'ai refusé plus de
600 nuitées. Mais si les gens ne logent pas sur une commune, ils y restent beaucoup moins
longtemps, consomment nettement moins sur place, et c'est une perte pour toutes les
activités, s'indigne Yolaine Héry. Notre activité est donc si peu importante
qu'on puisse la supprimer ainsi, sans chercher de solutions qui nous permettent de
préserver notre travail à défaut de conserver les bâtiments ? Mais pour nous, notre
travail, c'est notre vie !" Un constat que l'on peut décliner pour l'activité
restauration. Même si, au passage, et, bien entendu, très discrètement, certains ne
sont pas forcément mécontents de voir des concurrents - et néanmoins collègues -
connaître quelques difficultés... Alors pourquoi des actions aussi spectaculaires,
certes prévues par la loi, mais fort douloureuses ? "L'exécution de la décision
de justice d'office par les services de l'Etat a une valeur d'exemplarité très forte, estime
Daniel Lesage. Depuis que nous le faisons, nous observons une baisse moyenne de 20 %
des infractions, ce qui est très important. Mais force est de constater que la
démolition a un impact fort, mais dont la mémoire est limitée dans le temps, ne
serait-ce que par les mouvements de population. Il nous faut donc recommencer pour montrer
notre attachement à faire respecter les règles d'urbanisme. Aux citoyens de prendre
leurs responsabilités !" Une sentence peut-être rationnelle, mais qui manque un
peu d'humanisme : il faudrait certainement un médiateur qui éviterait la colère et la
frustration des professionnels, tout en préservant le respect de la loi... zzz36v
Yolaine Héry "Nous avons vraiment
eu l'impression d'être traités comme des criminels"
Vincent Sciré "Pourquoi les
procédures sont-elles aussi nombreuses ici ?"
Article précédent - Article suivant
Vos commentaires : cliquez sur le Forum des Blogs des Experts
L'Hôtellerie n° 2735 Hebdo 13 Septembre 2001