Quand on s'intéresse aux causes de ce turnover, les choses se compliquent. Le simple fait que l'activité soit rythmée par les saisons entraîne un besoin de flexibilité de la main-d'oeuvre, donc une rotation du personnel. Néanmoins, il existe bien d'autres facteurs pour expliquer la bougeotte du personnel.
Une tendance à papillonner
Philippe Evrard, directeur de l'établissement étoilé Le Restaurant (Paris VIe), pointe du doigt les conditions de travail, qui rebutent de plus en plus : "Les horaires lourds et atypiques, les coupures imposées, la pénibilité du travail… La jeune génération refuse de plus en plus de s'y plier. Elle me semble moins passionnée qu'avant, demandeuse d'un confort personnel et n'hésite pas à aller au plus offrant."
Régine Ritzenthaler, directrice de l'agence d'intérim Stylma (Paris XIIe), abonde dans le même sens : "Aujourd'hui, les jeunes profils sont des 'zappeurs', à la recherche de la meilleure place. Ils ont tendance à papillonner, car l'engagement et l'attachement au CDI, à une maison, à une enseigne n'est plus de mise. Les nouveaux venus sur le marché de l'emploi souhaitent par ailleurs qu'il y ait une réelle compensation de la pénibilité des conditions de travail par le salaire. Et force est de constater que, dans ce domaine là, la corporation n'est malheureusement pas très attractive."
Nyembo Kabongo, second de cuisine actuellement en recherche d'emploi, résume : "Je viens de quitter mon poste, à la fin de ma période d'essai. Il y avait un monde entre les promesses de départ et la réalité du job sur le terrain. Et côté rémunération, comment être motivé quand on a 20 ans de carrière et qu'on est payé 2400 € bruts par mois, pour cinq coupures par semaine et des horaires de fou ?" Comme lui, beaucoup préfèrent s'orienter vers l'intérim. "Être embauché en extra, c'est avoir une rémunération supérieure, percevoir toutes les heures supplémentaires, voire toucher une prime d'intéressement. Franchement, je préfère ça à la sécurité d'un emploi en CDI."
Augmenter les salaires et améliorer l'ambiance au travail
Pour endiguer le phénomène du turnover, les pistes sont nombreuses. Financièrement, il faudrait attribuer des augmentations de salaire et offrir des avantages sociaux supplémentaires (treizième mois, mutuelle gratuite…). Diplomatiquement, encourager la promotion interne et proposer des formations individualisées. Humainement, créer un sentiment d'appartenance, améliorer l'ambiance au travail et la qualité des modes relationnels, ou encore développer le management participatif. Si les établissements veulent des candidats investis et fidèles, travailler sur l'ensemble de ces éléments peut s'avérer salvateur.
À moins, comme le préconise à contre-courant Anne-Sophie De Boulois, directrice du Zazie Hôtel (Paris, XIIe), de se concentrer sur les aspects positifs du turnover : "Notre établissement, agréé ESUS [établissement solidaire d'utilité sociale, NDLR], a justement pour vocation d'accueillir du personnel en insertion, de le former, avant de le laisser voler de ses propres ailes. C'est une manière d'appréhender le turnover autrement, comme une émulation pour les équipes en place, l'arrivée d'un regard nouveau, renouvelé sur le fonctionnement d'une entreprise. Je suis favorable à ce que le travail soit mobile, fluide. Rechercher puis former le personnel, c'est en effet du temps et de l'argent. Mais c'est aussi un bonheur de manager et de faire sans cesse de nouvelles rencontres professionnelles." La clé est peut-être ici, aussi : réussir à passer d'une mobilité subie à une mobilité choisie.
Publié par Mylène SACKSICK
mercredi 15 février 2017