La crise a épargné Paris, constate Bernard Boutboul directeur général de Gira Conseil, à propos du marché de la restauration des derniers mois. Les restaurants de province ont eux vu leur fréquentation chuter de 15 à 20 %. Sur les 9 millions de repas servis par an en restauration commerciale, la dépense moyenne est cependant restée stable, même si un recul des sorties festives est à noter au bénéfice de la restauration de nécessité.
Un effondrement du marché par le milieu
La dernière étude menée sur le sujet par Gira Conseil met en lumière un effondrement du marché par le milieu : la part des repas pris à moins de 10 € est de 72 % et représente 32 % du chiffre d'affaires (CA) du secteur, tandis que celle des repas à plus de 50 € est de 3 % et correspond à 24 % du CA. De manière générale, les repas à moins de 15 € représentent le marché de masse, alors que ceux entre 20 et 30 € souffrent d'un fort recul. "Cette zone d'insatisfaction qui demeure au centre finit par faire fuir le consommateur vers les extrémités", remarque Bernard Boutboul.
L'étude révèle que, pour un repas à moins de 10 €, les personnes interrogées misent sur le trio prix, rythme et produit. Pour toutes les autres catégories du classement, le produit devient le premier critère. "Cette considération pour le produit est typiquement française, analyse le directeur général de Gira Conseil. Ce n'est pas parce que le client est pressé qu'il veut manger n'importe quoi."
Côté service, à moins de 10 €, les clients demandent de la rapidité. À plus de 15 €, ils attendent qu'on réponde à leurs questions. Et, à plus de 20 €, une technicité et une compétence plus importante. Le critère du prix a moins d'importance pour les repas dépassant les 50 €, laissant la place au trio 'produit, cadre et atmosphère', qui doit être équilibré. Une forme de rappel à l'ordre des consommateurs sur les fondamentaux : un bon restaurant doit offrir une assiette sympa, un service souriant et un cadre agréable. Un autre critère important, qui était jusqu'à présent absent du débat, tend à faire son apparition dans la tête des clients : celui de la sécurité alimentaire. "Les gens commencent à se poser des questions, de qui fabrique quoi et comment les produits sont fabriqué", assure encore Bernard Boutboul.
Restructuration du marché de la restauration rapide
Entre 1980 et 2000, la France a vécu la restauration rapide avec deux produits : le sandwich et le hamburger. Depuis l'ouverture du premier Cojean, en l'espace de dix ans, la restauration rapide est passée de 2 à 28 produits. Une diversification qui a permis de remédier à la malbouffe. De Paul Bocuse à Guy Martin, en passant par Marc Veyrat, les étoilés ont suivi. Depuis 2011, Boco, le concept de Vincent Ferniot, a bousculé le secteur en mettant les petits plats (entrées, plats et desserts) de ses amis chefs dans des bocaux. La restauration rapide, qui avait pris un important retard en France, a su se restructurer en adoptant un style bien à elle.
À l'instar de la jeune génération de chefs qui s'est mise à proposer une carte différente le midi du soir, les restaurants traditionnels doivent creuser cette piste. Plus courte, la carte du midi est logique et maligne : les clients mangent souvent la même chose au déjeuner et de manière beaucoup plus déstructurée.
Alors que le service à table rencontre la vente à emporter, que le marché s'effondre par son centre et que les extrêmes poussent au contraire vers le milieu, il n'y a que deux stratégies à adopter, selon Bernard Boutboul : être le moins cher ou être le meilleur. Une stratégie qui, insiste-t-il, n'a rien à voir avec le positionnement prix. "Il faut faire un choix et l'assumer jusqu'au bout, car le consommateur a besoin de savoir où vous vous placez."
Et demain ?
Les consommateurs potentiels ne manqueront pas. Ils sortiront plus souvent le midi, étant donné la chute du taux de retour à domicile. Alors que la tendance est à la déstructuration du repas (on passe aujourd'hui beaucoup sur des formules entrée + plat ou plat + dessert) et à la rapidité (les Français passent en moyenne 30 minutes à table contre 19 aux États-Unis), on note que les consommateurs ne feront pas l'impasse sur la qualité, la générosité et le plaisir.
Pour rester dans la course, Bernard Boutboul propose neuf pistes :
- la restauration sera plutôt de nécessité que festive ;
- différencier les services du midi et du soir, deux services très différents en termes de prix, de choix et de service ;
- élargissement commercial ;
- multi-modes de distribution et de consommation (à l'intérieur d'un même local, pratiquer la vente sur place et à emporter, avoir différents niveaux de confort…) ;
- progression du hors repas : les Français se mettent à manger en dehors des plages classiques. Les amplitudes horaires doivent s'élargir ;
- arrivée d'un 5e produit de masse : après le burger, le sandwich, la pizza et les pâtes, le 5e produit que les Français adorent est le poulet ;
- tout, partout, tout le temps ;
- deux stratégies possibles : être le moins cher ou être le meilleur ;
- résoudre l'équation impossible posée par le consommateur en 2012, à savoir : être moins cher, plus rapide, moins structuré, plus généreux et plus qualitatif.
Enfin, Bernard Boutboul recommande de remettre en cause le modèle économique du restaurant, qui ne fonctionnera plus tel qu'il l'était. En cause, les deux postes les plus coûteux (80 % du CA) : les coûts matières et les frais de personnel. La solution ? Remettre à plat, trouver d'autres façons de faire (acheter ailleurs, renoncer aux circuits longs, tarifer les cartes autrement, recruter ailleurs, fidéliser son personnel…). La réflexion est ouverte.
Publié par Julie GERBET
vendredi 16 novembre 2012