Le ton est donné : "Avoir une belle assiette n'est pas l'affaire que d'une seule personne." Pour la première fois en 2013, Euro-Toques France, les Maîtres cuisiniers de France et la Société des meilleurs ouvriers de France ont uni leurs compétences autour d'un événement commun : Tables en scène. Cette union, ils en ont fait leur force pour valoriser les métiers de la salle et les multiples compétences exercées dans un restaurant. Le 14 mai, tous les établissements adhérents étaient invités à présenter au guéridon un plat découpé, flambé ou bien levé devant le client. Un "enchantement", reconnaissent les trois associations, pour les convives comme pour le personnel de salle !
L'hôtel InterContinental Carlton à Cannes (06), membre d'Euro-Toques, a pour l'occasion proposé un filet de boeuf flambé au cognac, dans une salle comble à la veille du Festival de Cannes. "Les clients apprécient. D'ailleurs, avec le chef Laurent Bunel, on propose à l'année des découpes ou flambages en salle", explique le maître d'hôtel Patrick Berbotto qui, depuis trente-huit ans, s'enthousiasme toujours autant sur son métier. "J'aime le service à l'ancienne : beaucoup servent uniquement les mets sur assiette. Je trouve cela regrettable." Son confrère Rad Benoît, premier maître d'hôtel au restaurant Prunier à Paris (XVIe), insiste aussi sur ce point : "Il faut garder les techniques, tout en les remettant au goût du jour. Cela crée du contact et casse les barrières entre les tables." Également membre d'Euro-Toques, l'établissement (six employés de salle pour 45 couverts) a mis en place un menu unique à 60 € avec saint-pierre flambé au whisky et crêpes Suzette. Soixante clients ont été servis midi et soir. Et la décoration de table dans tout ça ? "Ouverte en 1924, la maison Prunier, spécialisée dans le caviar, interdit la présence de pollen, donc de fleurs, pour ne pas dénaturer le produit. Le dressage est simple : grande assiette de présentation Mathurin Méheut le midi, et un photophore Bernardaud en plus le soir", précise Benoît Rad, qui privilégie "un management sur mesure aux six stagiaires et à l'apprenti [qu'il] reçoi[t] chaque année. Il faut leur laisser du temps, et surtout leur chance".
L'Hostellerie du prieuré, à Saint-Quirin (57), l'établissement de Didier et Valérie Soulier, membres des MCF, n'emploie que deux personnes en salle pour 50 couverts. La communication n'en est pas pour autant délaissée, au contraire. "Nos clients sont très demandeurs et posent des questions sur le produit, assure Valérie Soulier, qui supervise la salle. Nous leur détaillonse la préparation des mets qu'ils vont déguster. À la carte, nous intégrons au quotidien des découpes - comme côte de porc fermière cuite à la fleur de thym - ou des flambages, avec des fraises flambées au poivre vert. Ils adorent, c'est du spectacle." À 50 km de là, La Cheneaudière (Colroy-la-Roche, 67) a glissé un mot dans la carte pour attirer l'attention des clients sur sa spécialité, le Tartare de saumon au guéridon. "Le personnel de salle [15 employés pour 60 couverts, NDLR] réalise la sauce, la fouette, incorpore le saumon en dés et dresse sur assiette", précise le directeur adjoint, Jean-René Grau. "Au gré des cartes, nous laissons au moins une animation : Foie gras chaud en croûte de sel, Filet de boeuf flambé, etc. En fin de repas, nous déposons des guimauves aux parfums originaux - coquelicot, sapin... - dans les mains des clients. Cela invite à la discussion." Autre élément important : le bien-être du personnel. La Cheneaudière a mis en place une pointeuse électronique. Résultat, "l'employé récupère ses heures supplémentaires ou est payé ! Nous proposons aussi un bilan de compétences, des sorties ou repas avec l'ensemble des employés et une prime d'intéressement. Il y a donc évidemment moins de turnover", poursuit Jean-René Grau, qui ne voit pas "ces gestes comme un coût mais plutôt un retour sur investissement pour l'entreprise".
Motiver les lycéens en service et commercialisation
La sensibilisation aux métiers de la salle passe également par la formation. Les écoles hôtelières et les centres de formation étaient donc invités à participer à Tables en scène. Le lycée privé Haute-Follis de Laval (53) a fait d'une pierre deux coups : sa journée portes ouvertes et une mise en avant des métiers de service. Denis Ruault, chef de travaux, a vu "à cette période de l'année des jeunes en réorientation. Ceux qui ne sont pas pris en 1re du baccalauréat général mais qui voulaient se lancer dans les métiers de l'hôtellerie-restauration, en cuisine ou salle". Au programme : ateliers de bar, découverte des techniques de vente, communication, etc. Et focus sur le CAP serveur en café-brasserie, "pour ceux que le côté trop strict du restaurant gastronomique rebute, mais qui préfèrent côtoyer une clientèle plus abordable". Le jeune doit évoluer dans un contexte où il se sent bien. À Laval, Pascal Ruault remplit ses classes de service en commercialisation mais avec un taux de pression moindre (nombre de places disponibles par rapport à la demande), depuis la réforme du bac pro en trois ans. Alors, il les motive avec ferveur : intervention de MOF et de professionnels (comme Jean-Luc Pouteau, Meilleur sommelier du monde 1983), visites de concepts novateurs, initiation aux cartes iPad…"Il faudrait repenser nos programmes : diminuer les flambages et découpes pour accentuer la connaissance des produits, car le consommateur est plus averti. Pourquoi ne pas introduire des outils modernes en cours pour sensibiliser les jeunes à la vente ?", ajoute-t-il. De son côté, Agnès Vaffier, présidente de l'Aflyht, "trouve l'idée très intéressante mais [n'a] pas eu le temps nécessaire pour convaincre les 220 établissements adhérents. C'était difficile de jongler avec les trois zones de vacances. Nous l'intégrerons pour sûr l'année prochaine".
Cette première édition de Tables en scène a aussi été l'occasion de réfléchir aux métiers de la salle et à leur avenir. Les trois associations organisatrices vont prochainement se réunir pour faire le point et apporter - si besoin - plus de communication auprès des écoles et des établissements. Et prolonger ou non l'événement sur une semaine.
Publié par Hélène BINET