Les générations de chefs japonais se succèdent à Paris et les chefs français peuvent être amenés à travailler sous leur direction. Qu'est-ce que les chefs français apprennent de cette culture ? Nous avons interrogé des équipes de cuisine et un directeur de salle. Pour Jean-Luc Hurtevent, 22 ans, qui travaille en pâtisserie chez Sola (Paris Ve) aux côtés de Hironobu Fukano, "C'est l'occasion, après l'école, de travailler avec des gens d'une autre culture. Il y a peu de dialogue avec mon chef, mais cela va à l'essentiel. Quand je l'observe, j'ai l'impression que tous ses gestes sont comptés, c'est intéressant. Je ne suis pas sûr d'aller travailler un jour à l'étranger, mais de me dire que je passe cinq jours par semaine au Japon, c'est une belle occasion." Matthieu Darocha, 22 ans, travaille au Sake Bar (Paris Ve) avec le chef Makoto Inoue. "Je connaissais le Japon qu'à travers les mangas, les jeux vidéo. Le chef ne parle que japonais, j'ai appris à force d'immersion et d'échanges. Au début, j'avais tendance à montrer ma fatigue, mon énervement. Mais il faut être régulier et ne pas laisser de mauvaise émotion impacter sur le travail. J'aime cette façon de s'appliquer dans toutes choses, la discipline, la rigueur, la manière de travailler chaque élément pour créer une harmonie. Par la suite, travailler au Japon avec des Japonais serait un accomplissement."
De calme et de l'esprit d'équipe
Toshitaka Omiya, le chef de l'Agapé (Paris XVIIe), a voulu se fondre dans la culture française dès son arrivée en France. "Ce serait plus simple de travailler avec des Japonais, mais pour moi ce serait dommage. Je suis venu ici pour apprendre des Français." Toshitaka Omiya découvre alors les capacités des Français à aller plus loin : "Le chef japonais a tendance à faire ce qu'on lui demande, le chef français peut faire quelque chose que je n'imagine même pas." Concernant les goûts français, le chef apprend de ses collaborateurs. "C'est mon équipe qui m'a indiqué qu'il valait mieux éviter les choux de Bruxelles pour le menu de Noël ou que le carrelet n'était pas un poisson très bien perçu." Les quatre chefs français Anthony di Prospero, Nicolas Durand, Roy Averty et Gabriel Ejzenbaum forment cette équipe. "Le chef ne crie pas. Il laisse faire même si on fait une erreur, il voit si l'autre réagit et s'en rend compte. C'est quelqu'un qui ne crie pas, on gagne en ambiance et on noue plus de liens avec les collègues. L'équipe est à l'image du chef, s'il est calme, on est calme. Tant que l'on travaille, c'est strict, ensuite, on est détendu. Avec le chef, on apprend beaucoup sur la manière d'être et à prendre sur soi", s'expriment-ils.
Complémentarité
Au restaurant Kei (Paris Ier), l'équipe du chef Kei Kobayashi est composée de cuisiniers français en majorité, italiens et japonais. Il y est interdit de parler anglais ou japonais. Paolo Boscaro, le second, reconnaît au chef son mode de communication. "En général, dans la cuisine d'un chef français, c'est à celui qui parle le plus fort. C'est la voix qui impose le respect. Ici, c'est plus calme pendant le service. Cela peut aussi crier, mais pour de bonnes raisons. Le bruit est un facteur de fatigue en cuisine. Quand on crie, on se fatigue et on fatigue les autres, mieux vaut garder son énergie." Rémi Cordel, le directeur de salle, explique qu'il y a toujours une à deux tables de clients japonais par service. "Le chef japonais incarne la rigueur, la perfection, c'est très complémentaire avec notre façon de travailler. Selon moi, cela aide la cuisine française à évoluer. Le restaurant est un théâtre vivant, c'est à nous, en salle, de mettre en scène avec de l'aisance, de la sympathie et une forme de complicité avec le client. Avec les clients japonais, c'est différent. Koji Kihara, qui travaille avec moi, adopte avec eux une autre attitude, stricte, rigoureuse, parfaite. Pour lui, le client est roi. Mais on commence à s'habituer, à se décontracter."
Publié par Caroline MIGNOT