27
6
R]QTTM\
Pâtisserie
“
Avoir de l’audace”
À l’occasion du championnat de France du Dessert, le président du jury nous avait
confié sa vision du dessert de restaurant et était revenu sur les gourmandises
proposées dans son établissement.
L’univers épicé d’Olivier Roellinger
“
Q
uoi de mieux que la gourmandise ?”,
demandait
malicieusement
Olivier Roellinger
aux
candidats du 39
e
championnat de France
du Dessert, en mars dernier à Rennes (35). Les seize
prétendants au titre, aussi bien les élèves que les
professionnels, avaient dû retrousser leurs manches
pour satisfaire aux exigences du chef breton, qui
présidait le jury. Et la tâche n’était pas facile avec une
épreuve surprise sans gluten.
“
C’est
un enjeu sociétal. Il faut être sensible
à ce problème de santé publique,
revendiquait le chef
.
On doit se
préoccuper de tous les clients et
prendre en compte ces difficultés. À
nous - cuisiniers et pâtissiers - de
nous adapter.”
Les candidats avaient alors travaillé
avec des produits de substitution à
la farine de blé : les farines de maïs,
de riz, de pois chiche, la fécule de
pomme de terre, la pectine, le lait de
soja, l’agar-agar...
Autre exercice palpitant : travailler
sur le thème Retour des Indes
orientales et occidentales. Olivier
Roellinger se sentait en devoir
d’apporter une touche épicée au
concours, sa marque de fabrique.
“
Les candidats étaient un peu
timides
,
déplore-t-il.
L’épice est là
pour relever ou rehausser un plat. C’est un véritable
plus qui permet de lutter contre l’excès de sucre, de sel
ou de poivre.”
Sur ce thème, il attendait que l’on associe
les épices de l’Orient (badiane, cardamome...) avec
celles du Nouveau Monde (vanille, cacao...). Le tout en
s’imprégnant de l’histoire de la Bretagne : le sablé, les
crêpes, la compote de pommes. Devant les assiettes,
Olivier Roellinger avait regretté que
“
les pâtissiers
ne soient pas assez devenus des cuisiniers. Arrêtez de
penser graphisme et texture ! Prenez plutôt le temps
de goûter les produits. Il faut éduquer votre palais.”
Et de donner un conseil : pourquoi ne pas cuisiner
un produit en chaud ? En soupe, en consommé, en
infusion, en décoction... À la différence du dessert de
boutique, rappelle le chef, on peut se permettre au
restaurant de
“
jouer avec les contrastes chaud-froid
ou de travailler les fruits crus, mi-cuits ou cuits. Il
faut avoir de l’audace dans la maîtrise du feu et des
jeux de température”
.
Autre possibilité : travailler sur
l’équilibre de la construction.
“
Les pâtissiers peuvent se
permettre de véritables défis à la pesanteur, à condition
d’avoir en tête que l’assiette doit rester intacte jusqu’à
son arrivée sur la table. Et qu’elle doit être visuellement
appétissante jusqu’à la dernière bouchée.”
En véritable
pédagogue, Olivier Roellinger n’avait
pas manqué de distiller ses astuces et
conseils aux candidats.
18
GRANDS CRUS
DE VANILLE
Le chef revient sur sa vision de la
pâtisserie, chez lui, à Cancale (35).
À savoir
“
l’esprit de la gourmandise
épicée”.
Pendant trente ans, et jusqu’à
l’obtention de ses trois étoiles au
Michelin
en 2006, il proposait ses
desserts à l’assiette. Et puis, l’envie
de générosité et de gourmandise
prennent le dessus. Il ferme sa table
gastronomique, Le Relais gourmand.
Aujourd’hui, le restaurant Le
Coquillage, un bistrot marin niché dans
le ChâteauRicheux, qui domine la
baie duMont-Saint-Michel, sent bon
la simplicité. Côté pâtisserie, Olivier
Roellinger a troqué les assiettes pour
une grande roulante
en bois en salle :
“
Les clients craquent
en voyant toutes
ces gourmandises à
partager. C’est notre
pâtissier,
Mathieu
,
qui fait directement
le service. On voit des
échanges se faire entre
les tables. Cela crée des
liens. C’est ce que j’aime.
Et puis, on dit que le lien, c’est la gourmandise.”
À déguster, donc : Millefeuille aux trois vanilles ;
Profiteroles, glaces au lait bio ; Paris-Cancale
(
interprétation du paris-brest avec une pure pâte
de pistaches, noisettes-amandes) ; Tarte choco-
gingembre, beurre salé ; Moka très café, pur sirop
de cardamome verte ; Compotée de pommes tièdes,
safran, cardamome noire fumée ; Ananas-mangue,
sorbet à l’eau de rose ; Meringues ; Guimauve au
pamplemousse… Ces plats aux saveurs si particulières
ne sont réalisables qu’avec les épices qu’Olivier
Roellinger va chercher dans le monde, qu’il travaille,
torréfie, broie... Il dispose de 65 épices, dont 18 grands
crus de vanille, et différentes poudres que l’on peut
notamment retrouver dans les Entrepôts Épices-
Roellinger (à Cancale, Saint-Malo et Paris). D’aucuns
disent que sa pâtisserie, à elle seule, vaut le détour.
HÉLÈNE BINET
Philippe Le Deuc
(
à gauche) et
Valentin André
(
à droite) avec la
présidente du jury
Anne-Sophie Pic
,
lors de leur victoire en 2012.
“
On doit faire honneur à ce titre”
Valentin André et Philippe Le Deuc racontent où ils en
sont et en quoi le concours les a aidés.
Champions de France du Dessert 2012 : que sont-ils devenus ?
P
our
Valentin André
, 23
ans, le
championnat de France du Dessert
2012
a été un bouleversement.
“
Anne-Sophie Pic
,
présidente du jury
en 2012, m’a annoncé qu’elle recherchait
un second en pâtisserie pour son futur
établissement parisien,
raconte le
vainqueur dans la catégorie junior.
Quinze jours après, j’étais à La Maison
Pic à Valence. J’y suis resté trois mois
pour cerner l’esprit de la maison.”
Aujourd’hui, le jeune homme est donc
sous-chef pâtissier à La Dame de Pic
à Paris (I
er
).
“
C’est dur de s’habituer au
rythme parisien mais je ne regrette pas.
J’apprécie que l’on puisse travailler
en autonomie : à partir d’associations
de saveurs, à nous de mettre en place
la carte des desserts, avec l’exigence
d’Anne-Sophie Pic”.
Une exigence
récompensée d’une étoile
au guide
Michelin,
six mois
à peine après l’ouverture de
l’établissement.
Philippe Le Deuc
,
lui, occupe
toujours le même poste de
responsable adjoint à la
création sucrée chez Lenôtre.
“
Je me prépare dans d’autres domaines
artistiques comme le sucre
,
explique-t-il.
Je suis également de près les tendances
comme les desserts allégés en sucre.”
Serein et discret, Philippe Le Deuc
a auparavant travaillé pour
Pierre
Hermé,
au Grand Véfour (2 étoiles
Michelin
)
et au restaurant
Michel
Rostang
(2
étoiles également) à Paris.
Celui pour qui
“
l’objectif premier est
de procurer de l’émotion gustative”
est
fier d’avoir obtenu le titre de champion
de France du Dessert catégorie
professionnelle. Il conclut :
“
On doit
faire honneur à ce titre tous les jours.
J’ai pris ce concours comme un
challenge, une remise en question afin
de gagner de l’assurance.”
HÉLÈNE BINET
© CHRISTIAN LEJALÉ
© VINCENT LEJALÉ
Olivier
Roellinger
:
“
L’épice est là
pour relever
ou rehausser
un plat. C’est
un véritable
plus qui
permet de
lutter contre
l’excès de
sucre, de sel
ou de poivre.”
La grande roulante en bois déborde de
gourmandises à partager. Aumoment
du dessert, le pâtissier entre en salle,
explique et fait lui-même le service.
Une boîte de Cancalaises,
les sablés d’
Olivier
Roellinger
.
Le Château de Richeux, à Cancale (35), abrite le restaurant Le
Coquillage.