Publicité mensongère
Suite à un contrôle de la DGCCRF, les époux Bardet se trouvent condamnés pour publicité mensongère et accusés des pires maux par les médias. La décision de la cour d'appel, du 14 mars dernier, replace les faits à leur juste valeur, en les relaxant d'une partie des infractions. Certains faits restent répréhensibles mais ceci est davantage dû à une complexité de la législation qu'à une intention de nuire. Les professionnels doivent donc se montrer très vigilants dans la rédaction de leurs cartes.
A l'origine de cette affaire, la plainte d'une
consommatrice venue un après-midi prendre un cocktail au Château Belmont, établissement
appartenant aux époux Bardet, affilié à la chaîne Relais & Châteaux et
référencé 2 étoiles au Guide Michelin, à l'époque des faits. Cette cliente,
s'étonnant de ne pas trouver les prix des cocktails affichés à l'extérieur de
l'établissement, demande donc aux services des fraudes de vérifier l'exactitude des prix
pratiqués, prix qu'elle n'avait pas osé contester sur le moment. Cette plainte a donné
lieu le 1er avril 1998 à un contrôle de la DGCCRF qui a examiné de façon très
méticuleuse tous les documents et factures de la société afin de vérifier s'ils
respectaient la réglementation relative à l'information et la publicité des prix.
Lors de cet examen, l'administration relèvera la présence de 5 mentions sur la carte qui
pouvaient être qualifiées de fausses ou de nature à induire en erreur le consommateur.
Le restaurateur aura beau invoquer pour sa défense qu'il s'agissait d'erreurs formelles
dues à la complexité de la législation et sans intentions de tromper les clients,
l'enquêteur dressera quand même un procès-verbal et transmettra le dossier au Parquet.
Celui-ci aurait pu classer le dossier sans suite étant donné qu'il décide ou non de
l'opportunité des poursuites. Pourtant, cette affaire sera portée devant le tribunal
correctionnel de Tours. Le procureur procédera à des réquisitions très sévères,
allant même jusqu'à demander des peines d'emprisonnement avec sursis. Ce qui d'un avis
général n'a jamais été le cas pour une affaire de ce type.
Dans un contexte médiatique très hostile, le 16 décembre 1999, le tribunal
correctionnel de Tours condamne Sophie et Jean Bardet à une amende de 15 000 francs
chacun ainsi qu'à la publication de la décision dans le Figaro Magazine.
Le Parquet, considérant que la sanction était trop douce, fait appel de la décision,
tout comme les époux Bardet qui se trouvaient pour leur part injustement condamnés.
Dans un arrêt du 14 mars 2000, la cour d'appel de Tours a remis les faits à leur juste
valeur et a relaxé les époux Bardet d'une partie des infractions reprochées, diminuant
le montant de l'amende à 12 000 francs. S'il est malgré tout indéniable que certaines
mentions donnent lieu à contestation, il faut savoir que cette histoire aurait pu arriver
à n'importe qui et pourrait vous arriver demain. Elle doit servir de leçon à tous, et
doit conduire à la plus grande prudence lors de la rédaction des cartes.
En raison de la cabale médiatique suscitée par cette affaire, il est nécessaire de
faire un rappel des faits reprochés.
Vin de pays présenté comme AOC
L'erreur de Jean Bardet a été de faire figurer un vin de pays qu'il proposait à la
carte sous la dénomination Vin de pays des côtes de Thongues, alors que sur le bas des
pages de la carte était préimprimée la mention AOC en petits caractères. Il ne pensait
pas induire le consommateur en erreur dans la mesure où le choix du vin s'effectue au
terme d'un dialogue avec le sommelier qui donne toutes les précisions utiles et surtout
qu'un vin de pays ne peut avoir l'appellation d'AOC. La cour d'appel le relaxera pour
cette infraction en retenant "que la fausseté de l'information n'est pas
caractérisée dans la mesure où la mention AOC n'est pas inscrite à proximité du
produit litigieux et en tout cas en caractères nettement moins appuyés". Elle
tiendra compte aussi du niveau de connaissance des clients : "Elle n'est pas de
nature à induire en erreur compte tenu de l'antinomie des deux notions qui ne peut
échapper au consommateur moyen fréquentant ce type d'établissement."
Les asperges d'Espagne
Dans le restaurant, 2 sortes d'asperges sont proposées. Un plat est uniquement uniquement
d'asperges blanches de Bourgueil. Parallèlement, dans certains menus, des asperges
blanches de plus petite taille sont servies en accompagnement. Le jour où il a été
contrôlé, Jean Bardet n'avait pas été livré en asperges blanches de Bourgueil et ne
proposait donc pas ce produit à ses clients. Contrairement à ce qui a été lu dans la
presse, il ne lui a jamais été reproché d'avoir fait passer des asperges blanches
d'Espagne pour des asperges de Bourgueil. Il a été condamné pour ne pas avoir rayé de
la carte ce plat du fait de son indisponibilité. La justice retiendra pour ce fait
l'existence d'une publicité mensongère car "il est indéniable que la mention de
la possibilité de commander ces asperges ne correspondait à aucune réalité et qu'elle
aurait donc dû être rayée du menu."
Jean Bardet aura beau invoquer une pratique courante de la profession, à savoir ne pas
modifier la carte, ni la surcharger par des rayures lorsqu'un produit n'est pas
disponible, rien n'y fera. Pourtant, le maître d'hôtel informe de vive voix les clients
de l'indisponibilité de certains produits. Mais la cour ne retiendra pas ce moyen de
défense.
L'avocat des époux Bardet, Maître Heintz, leur a conseillé pour l'avenir d'inscrire sur
la carte une phrase qui annonce l'éventuelle indisponibilité temporaire des produits
pour échapper à toute critique.
Veau fermier du petit élevage de Monsieur Pion
Dans le but de promouvoir de petits producteurs, Jean Bardet mentionne sur sa carte Côte
de veau fermier du petit élevage de Monsieur Pion. Seulement, après enquête des
services des fraudes, il s'avère que, ce jour-là, le veau fermier nourri sous la mère
provenait non pas de l'élevage de Monsieur Pion, mais de celui de son voisin Monsieur
Carré utilisant les mêmes méthodes d'élevage. Dans la mesure où il s'agissait de
viande de même qualité et surtout que la facture portait l'en-tête de la boucherie
Pion, la cour n'a pas retenu cette infraction.
Le bar de ligne
En détaillant les factures de poissons, les inspecteurs des fraudes constatent que sur
une facture établie par un mareyeur de Saint-Malo, il est seulement mentionné Bar facturé
au prix unitaire de 95 francs, alors que sur la carte il est proposé du bar de ligne. De
ce document, l'administration déduit que ce n'était pas du bar de ligne qui était
proposé à la clientèle, faute de précisions suffisantes sur la facture.
Jean Bardet invoquera qu'il avait l'habitude de s'approvisionner auprès de ce mareyeur en
bar de ligne, et le produit reçu ce jour-là était un produit de très belle qualité,
payé au prix du bar de ligne. Il n'avait donc aucune raison de douter de la qualité du
produit. La cour retiendra quand même le délit de publicité mensongère, faute de
précisions suffisantes sur la facture. Un engagement verbal du fournisseur ne suffit pas.
En outre, en cas de litige, une attestation du fournisseur postérieure à la livraison
n'est pas probante non plus.
La leçon à tirer pour les restaurateurs est d'exiger de leurs fournisseurs des mentions
claires et précises sur les factures qu'ils établissent et de ne pas se contenter d'un
code informatique comme cela est souvent le cas.
Fromages fermiers et d'alpage
Sur sa carte des fromages, Jean Bardet proposait notamment des fromages d'Auvergne (fourme
d'Ambert) qu'il présentait sous la dénomination de fromages fermiers et affinés, ce qui
lui a été reproché. En effet, le lait qui sert à fabriquer ces fromages est récolté
dans les burons, en altitude, avant d'être descendu dans les laiteries des vallées. Or,
pour avoir le qualificatif de fermier, les fromages doivent répondre à 3 critères :
être fabriqués par un producteur agricole sur son lieu d'exploitation, avec des
ingrédients provenant de la ferme et selon des modes de fabrication traditionnelle. Dans
ce cas, les fromages étaient élaborés selon des méthodes traditionnelles, mais pas sur
le lieu même où les vaches ont été traites.
Le restaurateur aura beau plaider l'ignorance de ce détail, la cour rétorquera que
"une telle lacune lui était interdite en raison de son degré particulièrement
élevé de qualification professionnelle".
C'est peut-être en raison de l'hypermédiatisation de cette affaire, où tout et son
contraire a été écrit, que la cour conclura dans son arrêt "que la qualité
intrinsèque des produits servis dans leur établissement, notamment leur fraîcheur,
n'est pas mise en cause par l'accusation".
P. Carbillet
Les Relais & Châteaux solidaires des épouxLors de leurs dernières réunions, les Relais & Châteaux ont exprimé leur
solidarité envers les époux Bardet. Et Régis Bulot de déclarer : "Ce qui leur
est arrivé aurait pu arriver à n'importe lequel d'entre nous, en raison d'une
réglementation très complexe. La profession ne devrait pas rire sous cape, car nous
sommes tous concernés. |
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L'HÔTELLERIE n° 2659 Hebdo 30 mars 2000