Les choses commencent à changer à partir du XIX° siècle. La révolution industrielle s'accompagne en effet d'un allongement de la journée de travail et le repas du soir est pris de plus en plus tard. Conséquence : entre leurs deux repas du matin et du soir, les ouvriers ont faim. Le « déjeuner » (mot qui désignait le premier repas de la journée) va alors se scinder en deux : il donne naissance à un « premier déjeuner », pris au réveil (cette collation est l'ancêtre de notre actuel petit déjeuner), et à un « second déjeuner » ou « grand déjeuner » consommé vers midi. D'une journée organisée autour de deux repas, on passe à un rythme de trois repas quotidiens. Succédant à l'appellation initiale de « premier déjeuner », le terme de « petit déjeuner » n'apparaît qu'à la fin du XIX° siècle, époque à laquelle commence à s'enraciner cette nouvelle habitude alimentaire dans la société française.
En 1905, une enquête réalisée par des médecins révèle qu'un ouvrier sur deux ne prend pas de petit déjeuner. Suite à ce constat, ces professionnels de la santé s'alarment : l'absence de petit‐déjeuner est responsable, déplorent‐ils, de fatigue matinale, d'accidents du travail (très nombreux à l'époque), ainsi que du déficit d'attention des écoliers.
Au début du XX° siècle, les habitants des villes ont tous adopté le petit déjeuner à la française tel que nous le connaissons aujourd'hui : tartines de pain beurrées accompagnées de café au lait (ou de lait nature pour les enfants, le chocolat demeurant une boisson coûteuse). En revanche, dans les campagnes, il est toujours d'usage de consommer, au réveil, du pain trempé dans la soupe ou, parfois, le vin. Cette habitude perdurera jusqu'à la fin de la Seconde Guerre mondiale.
In fine, ce n'est qu'à partir de 1945 que notre petit‐déjeuner traditionnel fait partie du quotidien de tous les Français (cette année‐là, un petit‐déjeuner est offert aux enfants lors de leur arrivée en classe le matin). Et dix ans plus tard (en 1954), Pierre Mendès‐France, Président du Conseil, instaure la distribution de lait dans les écoles.
Eric Birlouez ‐ Ingénieur agronome, spécialiste de l'Histoire de l'alimentation et de la Sociologie des comportements alimentaires.
lundi 6 octobre 2014