Autour de la table, les grands de la restauration collective qui veulent se le partager et autour d'eux, les émetteurs de série B qui veulent ramasser des miettes.
Un véritable tableau de Ruy Blas : «Bon appétit, messieurs, ô ministres intègres !» C'est justement l'intégrité des ministres qui est au centre du débat. Intégrité intellectuelle s'entend !
S'il est de notoriété universelle que la France détient la droite la plus bête du monde et une gauche qui n'a rien à lui envier, les records de bêtises à l'italienne sont l'incontestable apanage de l'administration.
Cette incompétence proverbiale et sous-rémunérée explique le désarroi des fonctionnaires confrontés au problème qui consiste à appliquer à la population de leurs collègues, un système dont ils sont incapables de comprendre le mécanisme, aussi enfantin soit-il.
Il s'agissait d'attribuer l'avantage du titre qualifié de «substitutif de cantine», à la catégorie des employés de ministères opérant dans certaines conditions d'horaires et consommant pour cette raison 13.400.000 repas de service par an.
Avec une telle manne, l'émission nationale allait faire, d'un seul coup, un bond de plus de 10%. Il ne relevait donc pas d'un sens stratégique surdéveloppé de prévoir que, dans la profession, risquait de sonner l'heure des grandes manoeuvres et qu'il fallait procéder avec la plus grande prudence. Mais en l'absence de la moindre trace de cette sorte de sens, les souris des ministères accouchèrent d'une montagne.
Un lot unique couvrant la totalité du territoire et des conditions d'admission limitant les possibles candidatures aux 5 leaders : Ticket Restaurant (Accor), Pass Lunch (Sodexho), Pellegrini Card (Pellegrini), Day (Camst) et Ristomat (Onama). Une telle approche ne pouvait avoir que deux conséquences. Les grands émetteurs, conscients du fait qu'une concurrence sauvage orchestrée par des interlocuteurs ne connaissant pas le dossier, ne pouvait déboucher que sur une mission impossible, décidèrent de se fédérer en une association temporaire d'entreprises, répondant d'une seule voix.
Quant aux petits, dont le nombre dépasse les possibilités de recensement, ils ont fait entendre les leurs avec de tels éclats que la presse nationale, du Giornale au Corriere della Sera, s'est passionnée pour «la guerra dei buoni pasto».
Sous le choc, l'ANSEB (Association professionnelle des sociétés d'émission) a littéralement éclaté, donnant naissance à un succédané baptisé AIEB qui s'est placé sous la protection de la toute puissante Confesercenti qui défend les intérêts des commerçants italiens.
L'activité des titres-restaurant, qui selon la nouvelle manoeuvre financière destinée à ouvrir les portes de l'Europe, doit apporter une contribution de 0,06% au butin fiscal (taxation des titres dont la valeur dépasse 10.000 lires), est devenue une affaire d'Etat.
Une publicité qui, en ces temps de mani pulite, vient d'inciter l'administration à annuler l'appel d'offres. On attend le prochain avec impatience et les armes à la main.
G. Garcin
L'HÔTELLERIE n° 2486 HEBDO 5 decembre 1996