Jean Leclerc, hôtelier-restaurateur au lac du Guéry (Puy-de-Dôme), président de la Fédération des syndicats de l'hôtellerie du Sancy, est un saisonnier. C'est-à-dire qu'il ouvre son établissement neuf mois sur douze. En réfléchissant à ses conditions de travail, il s'est dit que le système actuel pouvait être amélioré. Et au bénéfice de tous ! Plutôt que de compter neuf mois, il vaudrait additionner l'équivalent en 40 semaines. "Cela nous permettrait de mieux coller à la réalité de la demande. C'est-à-dire de se baser sur les périodes de vacances au niveau de l'Europe, qui ne sont pas les mêmes d'un pays à l'autre. Nous devons pouvoir accueillir les clients le mieux possible, donc être disponibles quand ils viennent avec une équipe au complet. Par exemple, nous pourrions alors travailler quinze jours pour les vacances de Noël, puis le fermer la semaine suivante qui est toujours creuse en activité."
Actuellement, le système présente des aspects pénalisant pour les hôteliers. "En ouvrant un jour de trop, nous perdons tous les avantages du saisonnier, à savoir des plans d'amortissements différents, une taxe professionnelle particulière, des clauses spécifiques pour les salariés, un abattement sur la redevance télé, etc. Nous pouvons donc nous retrouver dans la situation absurde où il faut écourter des séjours pour cause de fermeture et rester ouvert quand il n'y a personne."
Première conséquence de cette idée : l'augmentation des chiffres d'affaires, engendrée par une meilleure activité, se traduirait par des recettes supplémentaires de TVA pour l'Etat sans aucun effort pour l'administration.
De plus, les avantages liés à l'emploi ne sont pas négligeables. "Quand je cherche des serveurs ou des cuisiniers, je n'arrive pas à en trouver. Où vont-ils ? Dans les collectivités ou dans les hôtels de chaînes, mieux structurés pour offrir des congés les week-ends, souligne Jean Leclerc. Et nous n'arrivons pas à fidéliser nos salariés à cause des coupures dans l'année, particulières au travail saisonnier." Un étalement de la saison sur quarante semaines pourraient permettre d'offrir "de vraies perspectives de qualification et d'emploi stable".
"Nous pourrions alors proposer des contrats sur trois ans par exemple, dans un cadre de formation-emploi. Il serait possible de fractionner les congés et de décaler des jours de repos en fonction des pointes d'activité, explique l'hôtelier. Pendant les périodes de fermeture, les employés suivraient l'équivalent d'un mois de formation. Avec les congés payés, il ne resterait alors que quelques semaines que nous pourrions utiliser pour diverses opérations d'entretien."
Le gros avantage de ce système serait de "conserver un personnel dans nos régions tout en le formant, pour une meilleure qualité de service puisque nos métiers reposent à 100% sur la valeur humaine". Pour les salariés, la formule se montrerait qualifiante avec des évolutions à l'intérieur des entreprises.
Quant au financement des stages, il faudrait que l'Etat "puisse faire un effort" et que "nous maîtrisions mieux les mécanismes de mise en place des formations ainsi que les fonds versés par notre profession pour leur fonctionnement".
Du côté des administrations, Jean Leclerc se montre formel : "Ce système est tout à fait contrôlable. Il suffit d'une attestation du comptable auprès des services fiscaux, fournie chaque année. Les vérifications seraient même plus simples."
"L'entreprise, les salariés et les clients doivent sortir gagnants de l'opération", conclut Jean Leclerc.
Il a donc jeté noir sur blanc ses idées et envoyé un courrier à la Fédération nationale de l'industrie hôtelière (FNIH), laquelle, après un passage entre les mains des services juridiques, a expédié une missive aux ministres du Budget et du Tourisme. Ces derniers, qui possèdent donc le dossier depuis près d'un an, n'ont pas encore fait connaître leur réponse. Une affaire à suivre qui concerne tous les saisonniers.
P. Boyer
Jean Leclerc, qui a passé quatorze ans dans diverses administrations, a repris l'Auberge du Guéry en 1987 alors qu'elle devait fermer définitivement. Il propose, en 2 étoiles, 10 chambres, plus 7 dans une annexe, une ancienne ferme rénovée en 1992 et réalise un chiffre d'affaires de 2,2 millions de francs TTC.
Gérard Sagnes, président du Club hôtelier de Lille, avait évoqué cette probabilité à l'occasion de la publication des résultats de l'Observatoire hôtelier de Lille. C'est chose faite. La ville de Lille a voté le principe d'une taxe de séjour sur la clientèle hôtelière. Les modalités n'étaient pas définitivement arrêtées au moment où nous écrivions, mais il semblait arrêté devant le Conseil municipal que cette taxe dût rapporter de l'ordre de 3 MF avec un calcul du type un franc par étoile plus un franc par client et par jour. Un client en trois étoiles par exemple paierait donc quatre francs par jour par rapport à un prix affiché d'environ 500 F et un prix négocié de plus ou moins 400 F. Selon la CCI de Lille-Roubaix-Tourcoing, le CA de l'hôtellerie de la métropole est de l'ordre de 326 MF.
Le prélèvement risque de frôler 1% d'un CA qui n'a guère tendance à s'élever. Il y a peu de chances pour que la clientèle absorbe cette augmentation dans un marché encore surcapacitaire 150 jours par an. Les entreprises supporteront donc le gros du coût réel.
Le Club hôtelier qui représente les deux tiers des établissements s'efforce de réagir en finesse. Le président Sagnes a envoyé une lettre à l'adjointe au maire de Lille lui exposant les "réticences" des membres face à la perspective de création de la taxe "sans réelle contrepartie pour le tourisme lillois".
Ces contreparties, le Club les énumères en huit points, au nom de ses membres "conscients de la vocation touristique de notre ville et d'aller plus loin en matière de promotion touristique pour les hôteliers, mais également pour le palais des congrès (...)". En gros, les hôteliers veulent savoir où vont les sous et partager les frais. La première condition est "la participation à la conception et au financement du plan de développement touristique des (noter le pluriel ndlr) branches professionnelles bénéficiant des retombées économiques de cette initiative". "Les" branches professionnelles, en clair l'ensemble des commerces, seraient concernés ? Un tel partage ne s'est vu nulle part ailleurs.
Le Club souhaite par ailleurs le "reversement intégral des différentes taxes de séjour à l'office du tourisme de Lille après négociation d'une base de subvention équivalente aux villes françaises de moindre importance". Le courrier fait ici allusion à une double question. Les difficultés financières de l'office d'une part, son budget bien trop faible d'autre part. Les hôteliers souhaitent donc que la taxe permette de réelles actions de marketing touristiques et non qu'elles tombent dans un puits sans fond en comblant un déficit récessif. Manifestement, les hôteliers attachent beaucoup d'importance à l'avenir de l'office du tourisme lillois. Leur "représentativité accrue au sein du bureau" semble acquise, encore faudrait-il quelle concoure à "la définition d'une nouvelle politique touristique lilloise", concrétisée dans "un plan métropolitain d'animation touristique en concertation avec les professionnels".
La lettre demande expressément "une nouvelle convention entre l'office du tourisme de Lille et la municipalité". Et histoire de sonder immédiatement la bonne volonté des édiles, elle demande aussi "la prise en charge par la ville du fléchage hôtelier, avec le souci de couvrir l'ensemble des hôtels". Et la lettre conclut : "Nous souhaitons par ailleurs, comme vous en avez exprimé l'intention, qu'une réflexion soit menée pour que des moyens supplémentaires soient trouvés au niveau métropolitain. Si toutes ces conditions vous paraissent acceptables, il serait alors possible d'étudier les conditions de mise en oeuvre d'une taxe de séjour."
Les hôteliers lillois ne se font guère d'illusions. Ils ne peuvent rien contre un vote des élus. Ils tentent seulement de se faire entendre. Quant à l'efficacité de l'office du tourisme et à son équilibre financier, ils se heurtent à un obstacle majeur. L'office est lillois et non métropolitain. Lille a certes des ressources, mais la ville centre ne pèse que 180.000 habitants sur plus d'un million pour la métropole. Pourquoi les contribuables de cette ville paieraient-ils pour tous ? Une grande ville de province seule ne peut se donner des ambitions de métropole européenne.
A. Simoneau
La taxe de séjour devrait bientôt toucher les hôteliers de Lille. Les professionnels réclament des garanties sur l'utilisation de cet argent.
L'HÔTELLERIE n° 2511 Hebdo 22 mai 1997