Rudy Vanlancker, la petite quarantaine dynamique, a pris sa décision au début des années 90 après quelques expériences d'extension de son enseigne menées sous sa conduite directe. Chez Léon, symbole de la moule-frites, tenterait de s'étendre à travers le monde. Mais la famille Vanlancker, son patrimoine à l'abri à Bruxelles, se contenterait de jouer un rôle d'inspiratrice et d'experte dans l'aventure, avec une participation financière très minoritaire. Question de précautions et de bon sens.
Précaution de base : ne pas se croire partout en terrain conquis avec sa moule-frites. Deux échecs à Düsseldorf et à Strasbourg, un développement moyen dans son propre pays lui ont montré que chaque point de vente nouveau est une aventure. Une aventure à jouer avec de très solides partenaires opérationnels dans chaque lieu nouveau et avec de non moins solides partenaires financiers internationaux à la case départ. Le bon sens dicte que la moule est une niche plus que le hamburger. Elle n'a pas la même vocation d'universalité. Et pour commencer, Rudy Vanlancker fait observer que ce produit voyage modérément bien. Pas question d'ouvrir un Léon loin de toutes sources d'approvisionnement. Le développement de l'enseigne ne peut donc concerner que l'Europe de l'Ouest, le Canada et les Etats-Unis maritimes, peut-être l'Amérique Australe, le Japon. Ambition limitée donc, mais ambition tout de même. Il s'agirait d'une vraie chaîne et non de restaurants belges disséminés à droite et à gauche.
En résumant très vite, Rudy Vanlancker a monté une fusée à trois étages. A la base, rassemblés sous le nom de Groupe Léon Vanlancker 1893 (GLV), les actifs de la famille, c'est-à-dire ses participations, la gestion de ses franchises et contrats divers, et surtout le restaurant historique de la rue des Bouchers à Bruxelles, toujours vaisseau amiral du nom (lire encadré). Second étage, GLV a pris seulement 10 % de participation dans une société de gestion de franchises, Chez Léon Diffusion Restauration (CLDR) au départ chargé d'un large développement. Les partenaires de GLV dans CLDR sont de purs intérêts financiers, notamment des pétro-dollars. CLDR assure la gestion des restaurants belges, sauf la rue des Bouchers et Bruparck (au pied de l'Atomium) et a aussi été l'instrument de la création en partenariat du premier restaurant de Paris place de la République. Minoritaire dans CLDR, Rudy Vanlancker en est néanmoins le patron exécutif dans la mesure où il est le seul actionnaire qui connaisse la restauration.
Le troisième étage est logé dans la société Léon International, le résultat de la coopération entre le Bruxellois et ses associés parisiens Alain Roubach et Stéphane Lang Willar. Après avoir fondé le premier restaurant parisien place de la République, Rudy Vanlancker, à la recherche d'une seconde opportunité immobilière, rencontre Alain Roubach d'abord pour négocier un fonds, puis très vite pour parler de l'enseigne. "Tout de suite j'ai senti qu'il y avait là une véritable histoire, une véritable idée", commente Alain Roubach. Voyant venir le succès aux Halles après la République, les associés français créent sous contrat avec CLDR une société chargée de gérer la master-franchise pour la France. Il s'agit de Resto Diffusion depuis rebaptisée Léon de Bruxelles SA. La dizaine de restaurants devrait être dépassée ce mois de mai. Cette société prépare de nouveaux moyens de croissance en entrant au second marché de la Bourse de Paris.
Léon de Bruxelles SA et CLDR sont à présent associés à 50/50 dans Léon International. Cette société est chargée de gérer les futures franchises et le développement hors de France et de Belgique. "Elle n'a pas vocation à investir massivement à l'étranger", précise Alain Roubach. Y a-t-il un pilote dans l'avion ? Réponse : trois, apparemment. Rudy Vanlancker préside le Comité stratégique de Léon International. Il veillera à l'inspiration et à la qualité du produit et du service dans chaque nouvelle implantation, vérifiera notamment la possibilité d'acheter et d'acheminer des moules de qualité dans de bonnes conditions, participera aux négociations des différentes formes de partenariat qui seront mises en place. Aucun apriori n'est semble-t-il posé à ce sujet. Rudy Vanlancker s'est pris de passion pour le Japon et a débuté un premier test avec un partenaire de poids, le roi du saké héritier de la famille Konishi.
Les associés parisiens seront les opérationnels du développement. A commencer par la proximité de la France. "Nous pensons à un développement progressif en cercles concentriques, explique Alain Roubach. Lorsque nous aurons quadrillé la région parisienne, nous travaillerons les métropoles régionales, puis l'étranger. " L'inspirateur belge a peut-être davantage le goût du grand large, par exemple de l'appétit pour les excellentes moules canadiennes. Mais n'anticipons pas.
A. Simoneau
Rudy Vanlancker dans son fief bruxellois : toujours en croissance.
"La rue des Bouchers est encore en expansion et son volume d'affaires est toujours le plus important de l'enseigne, devant les Champs-Elysées", sourit Rudy Vanlancker, confortablement installé au faîte du très vieil immeuble de l'Ilot sacré, à deux pas de la Grand'Place de Bruxelles. Son nom défile sur l'ordinateur multimédia à quelques mètres dans la mansarde, tandis qu'il observe les recoins de la maison sur ses écrans de contrôle. Chez lui, chez feu l'aïeul Léon, on a servi 371.000 couverts en 1996 pour 58 MF de CA, soit un ticket moyen de près de 160 F. Pas mal pour des moules-frites, il est vrai, déclinées ici de manière très variée. Cela fait aussi plus de mille couverts/jour pour un restaurant de 400 places. Seule une très grande capitale, Londres peut-être pourra faire mieux. Et en pleine crise, les affaires ont encore crû : 332.000 couverts en 1994, 358.000 en 1995, 371.000 en 1996. Un patrimoine qui valait la peine d'être protégé et un vaisseau amiral où les touristes embarqueront encore bien volontiers.
Léon Bastille : Paris est la seconde patrie de Léon de Bruxelles.
En prenant pied à Paris, Léon a déjà changé trois fois de visage. Dans les achats et la carte d'abord. Les moules en France sont plus petites, les frites taillées différemment, les assaisonnements rectifiés à la française. Par rapport à l'institutionnel restaurant bruxellois, carte riche et ticket élevé, la carte est très simplifiée et le ticket ramené à cent francs. Dans le look ensuite. Ici, Léon de Bruxelles est exotique et sa légende est marquée par le décor. Sans oublier le rouge de la marquise réglementaire des Champs-Elysées qui remplace exceptionnellement le vert.
Troisième évolution, le départ pour la banlieue. "Pour une chaîne de restauration, rappelle Alain Roubach, il existe trois possibilités d'implantation : en centre-ville avec les contraintes de l'immeuble disponible, en centre commercial en s'adaptant aussi au lieu, ou en bord de route très passante avec un concept plus rationnel, plus achevé." L'enseigne comptait déjà trois restaurants en périphérie de Paris en février, quatre en préparation pour atteindre quatorze unités dans la région parisienne très prochainement.
Autre quadragénaire dynamique, M. Konishi, dix-septième du nom, préside une maison productrice de saké depuis 1550. Mais les jeunes Japonais lui préfèrent la bière et le Coca-Cola, paraît-il. Alors M. Konishi voyage et innove. Il projette, en tant que maître franchiseur sous contrat avec Léon International, de créer une grande famille de Léon au Japon. Et il commence fort avec un marché test incroyable à Nagoya (trois millions et demi d'habitants). Dans un entrepôt, il a fait reconstituer la Grand'Place de Bruxelles à l'échelle 1/8ème dans laquelle il a implanté un certain nombre d'enseignes commerciales belges ou rappelant la Belgique. Parmi elles, un Chez Léon de trois à quatre cents places. Avec une adaptation importante. Là-bas, moins d'épices. Pas de grande marmite de moules, mais différentes recettes dans de petits récipients où le client se servira à la suite. Et d'autres détails. "Parce que Chez Léon n'est pas un petit restaurant belge à Nagoya pour une élite fortunée, mais si le test est concluant, l'amorce d'une chaîne pour tous", explique Rudy Vanlancker. Si le test est concluant...
L'action Léon de Bruxelles SA devait entrer au second marché de la Bourse de Paris le 29 avril dernier. L'affaire a eu lieu près de deux semaines plus tard en raison de l'engouement extraordinaire provoqué par la proposition. Les dirigeants proposaient 212.500 actions, soit 10% du capital au prix de 140 F. A ce prix, l'action a été demandée 130 fois le nombre offert. Elle n'a pu être cotée. Après conseil des banques, une seconde offre puis une troisième ont été effectuées, finalement souscrites trente fois au prix de 175 F. En troisième semaine de mai, l'action a immédiatement été cotée au-dessus de 220 F pour frôler les 230 F la semaine suivante. Le 20 mai, le soufflé était un peu retombé à 210 F. Le CA consolidé de Léon de Bruxelles SA est espéré à 155 MF cette année pour 217 MF de CA de l'enseigne et le résultat net consolidé est attendu à 13,5 MF. Les dirigeants ont annoncé l'intention de distribuer le tiers de leurs résultats. De belles promesses que les boursiers suivent. Il n'y aura pas de droit à l'erreur. Mais quel respect pour les entreprises de restauration !
L'HÔTELLERIE n° 2512 Hebdo 29 mai 1997