Voici onze ans Albert Denvers, personnalité PS du Nord, maire de Gravelines (59), 10.000 habitants au débouché à la mer de l'Aa, célèbre petit fleuve côtier en deux lettres, décide de doter sa commune d'un hôtel confortable. Gravelines est le siège de la plus grande centrale nucléaire de France, et de nombreuses autres industries. Par la suite Péchiney installera à proximité une vaste aluminerie et une demi-douzaine d'autres entreprises de niveau international s'y installeront au début des années 90. La ville entretient à grands frais un club de basket-ball professionnel et des installations sportives de qualité, un centre aquacole etc... Gravelines est aussi un site classé de fortifications de Vauban bien exploité en musée et promenades, et aurait pu être une charmante station balnéaire sans intrusion massive de l'industrie. L'idée d'y implanter un hôtel semble bonne, sauf que Dunkerque et Calais à vingt kilomètres à l'ouest et à l'est sont équipées. Aucune chaîne hôtelière ne donne suite. Mais Albert Denvers est obstiné. Il crée une société d'économie mixte, la SEM du Beffroi qui construit et exploitera elle-même un bel établissement de 40 chambres rapidement classé 3*NN. L'ambition est d'en faire un hôtel d'affaires et un restaurant au minimum bourgeois sinon gastronomique. Il dispose d'une salle de réunion de 35 places.
Après mains changements de direction le succès n'a jamais été au rendez-vous. L'hôtel d'un coût de l'ordre de 15 MF a été malheureusement financé à 100 % par emprunt à vingt ans de la SEM garanti à 80 % par la collectivité au titre d'opération d'aménagement. Sans subvention d'équipement déplore le maire actuel Léon Panier vainqueur d'Albert Denvers aux dernières municipales. Les taux à l'époque étaient très élevés. Autant dire qu'au millième de l'investissement réel cela met le prix de la chambre à un coût prohibitif. Et ce n'est pas la restauration qui remboursera la différence. Or, le prix affiché de 310 à 330 F environ ces dernières années n'a jamais atteint les 300 F loin s'en faut et le T.O. a toujours été inférieur à 50 %. Conjoncture meilleure aidant, les affaires sont légèrement meilleures cette année. Le couple de gérant actuel, Antoine et Isabelle Gansemeir en poste depuis un an note au 31 août 1997 une hausse de T.O. de 3% sur les mêmes mois de 1996 à 45%. Cela devrait amener à un résultat proche de 50% en fin d'année car les derniers mois sont les meilleurs (48 % de T.O. moyen en 1996 contre 42 % à fin août). Le prix moyen est en hausse de 20 F "mais encore insuffisant", note Antoine Gansemeir pour qui l'objectif encore inaccessible reste un prix moyen de 300 F. La restauration se redresse légèrement aussi mais avec beaucoup plus de formule brasserie que de restauration bourgeoise. Comme dans l'ensemble de la région dunkerquoise la clientèle est à 80 % affaires avec des week-ends et étés difficiles. "Nous avons deux objectifs majeurs", explique le gérant. "D'abord fidéliser les grandes industries déjà clientes et faire revenir les plus éloignées d'une part. Notre argument majeur : nous sommes le seul trois étoiles sur place, confortable et au calme. Ensuite travailler les tours opérateurs en arrêt d'une nuit et en long séjour, britanniques en tête. A un quart d'heure du tunnel sous la Manche, une heure de Bruges ou du Touquet par l'A16 nous offrons une position pour rayonner". Il faut y ajouter le tourisme industriel, les atouts de la ville elle-même. La clientèle individuelle s'élève à 30% de l'ensemble en été, avec 50% d'étrangers, Britanniques et Belges d'abord.
L'hôtel est pour l'essentiel en bon état, le bar et la réception refaits. Il a besoin d'investissements modérés dans une partie des chambres. Le maire Léon Panier veut liquider la SEM du Beffroi, et passer la main au privé. Mais comment, compte-tenu des charges exagérées, et sachant qu'il a été élu d'abord pour réduire les impôts de sa commune et remettre de l'ordre dans les comptes ? D'abord en renégociant les taux d'intérêts des prêts. Ensuite, trois solutions se présentent. La vente d'abord. Mais le maire souhaite se rapprocher de la valeur résiduelle nette comptable du site. "Les propositions qui m'ont été faites ne peuvent me satisfaire", indique-t-il sobrement. Seconde solution, la location gérance. "En renégociant les emprunts, avec maintien de l'exploitation et des emplois, pourrons - nous trouver un niveau de loyer compatible avec l'état du marché", s'interroge Léon Panier ? Troisième solution, continuer comme c'est le cas d'améliorer la situation avec un salarié, éventuellement lui laisser une chance de reprise dans quelque temps.
Permettons nous quelques commentaires. Depuis les débuts de l'exploitation, la clientèle se plaint des performances de l'établissement auprès de son véritable responsable, le maire président de la SEM. Un élu, comme c'est facile ! Hors de toute chaîne intégrée ou volontaire, de son support en formation et en commercialisation, les gérants passés et futurs se battent seuls. Difficile d'être à la fois en Angleterre chez les tours opérateurs et en cuisine pour vérifier ce qui cloche. Ensuite de telles opérations de reprises aussi bien en location gérance qu'en achat ne s'effectuent qu'à bas prix, et sans garantie de reprise de la totalité de l'effectif. Le Beffroi emploie dix-sept personnes sous la protection de la commune. Enfin, les performances, pas ridicules compte-tenu du contexte notamment en prix moyen ne s'amélioreront qu'avec une gestion totalement libre et privée, de préférence soutenue par une enseigne connue à l'international. Car le salut ne peut être qu'international, à deux pas du tunnel et sur l'autoroute des estuaires. Par conséquent, à moins de trouver un investisseur qui ait un intérêt très particulier dans cet emplacement, la commune devra mettre la main à la poche pour couvrir la différence entre valeur vénale réelle et valeur nette comptable.
A. Simoneau
L'hôtel restaurant Le Beffroi, un beau travail de récupération et d'architecte, une clientèle réelle, mais trop de charges et un manque de support commercial.
L'HÔTELLERIE n°
2533 hebdo 30 octobre 1997