Aquelques kilomètres de la capitale, entre la forêt et la Seine, là où la vie continue de se dérouler autour du château. Celui-là même qui vit naître Louis XIV, le "Roi Soleil". La brasserie qui nous occupe est justement installée en face du château. Sur une grande place pavée où elle étale une terrasse bien évidemment ensoleillée. Cette brasserie, toute la région la connaît et se plaisait à la fréquenter. Car voilà, nous sommes fin 1996 et la brasserie est menacée de disparaître.
Fin 1996, la brasserie se meurt. La brasserie est à vendre.
C'est là qu'intervient notre couple de jeunes employeurs. Elle et lui sont
convaincus de la sauver. Formés à l'école de la gérance libre, ils ont acquis une
sérieuse expérience et fait des économies qu'ils sont prêts, aujourd'hui, à investir
dans cette affaire.
Début décembre 1996, ils prennent donc possession des lieux. Aussitôt, ils décident
de fermer la brasserie afin de réaliser d'importants travaux de modernisation. Les
salariés en sont informés. Ils reprendront le travail à la fin des travaux. A la
réouverture, une décision s'impose. Il faut restructurer l'entreprise. Le rachat de la
société a coûté très cher. Les travaux qui ont duré plus longtemps que prévu sont
venus alourdir encore davantage les charges. Aussi, la décision est-elle prise de
réduire la masse salariale. Le couple décide de procéder au licenciement économique de
Monsieur M. qui est le dernier arrivé. "Cela ne doit pas être compliqué, il n'a
qu'un mois et demi d'ancienneté", se disent-ils. Lorsque le salarié se
représente à l'établissement, le mari lui remet une lettre sur laquelle il a indiqué "je
vous envoie cette lettre pour licenciement de votre poste de serveur, la raison est que la
maison ne peut vous assurer un salaire convenable." Le lendemain, le
salarié prend possession de son solde de tout compte. Formé au rude métier de la
brasserie et non aux finesses du droit, ce couple d'employeurs ignore qu'il vient de
commettre là une grosse bêtise.
Les réclamations du salarié |
En effet, le salarié
ne s'en laisse pas compter. Il va voir sans tarder un avocat qui lui promet le jack pot.
Pour cela, il fait saisir le conseil des Prud'hommes.
Arrivé devant le tribunal, le salarié demande tout d'abord le paiement du salaire pour
le mois de décembre 1996. Il explique que, pendant les travaux, il est resté à la
disposition de son employeur, et si celui-ci ne lui fournit pas de travail, c'est son
problème. Il est en droit de réclamer son salaire. Le salarié ajoute que pendant cette
période, l'employeur n'a pas cru bon de demander l'indemnisation du chômage partiel.
Puis, le salarié en vient à critiquer son licenciement qu'il estime irrégulier et
abusif. Le salarié explique que sa lettre de licenciement ne comporte aucun motif
précis. Il n'est même pas indiqué qu'il s'agirait d'un motif économique. Son avocat
indique que la cour de Cassation est dans ce cas formelle : "si la lettre de
licenciement ne comporte aucun motif précis alors le licenciement doit automatiquement
être considéré comme abusif". (Cass. soc. 26 novembre 1996). De ce fait, il
affirme que le licenciement doit être jugé abusif. Pas besoin d'aller plus loin dans la
contestation du motif.
L'avocat poursuit sa plaidoirie. Il explique maintenant que ce licenciement a été
prononcé sans que soit respectée la moindre procédure. Le salarié n'a pas reçu de
convocation à l'entretien préalable. Il n'a pas eu la possibilité de s'expliquer en
étant assisté d'un salarié de l'entreprise ou d'un conseiller extérieur. Il invoque
alors une autre jurisprudence de la cour de Cassation : "si le licenciement abusif
a été prononcé sans que le salarié puisse être reçu à un entretien préalable avec
un conseiller extérieur, alors ce salarié doit obtenir des dommages-intérêts pour un
montant minimal de six mois de salaire brut". (Cass. soc. 19.7.95 ou encore Cass.
soc 13.11.96).
L'avocat conclut en demandant ainsi la condamnation de l'employeur à ce minimum de six
mois de salaire brut.
Les moyens de défense de l'employeur |
Le couple d'employeurs est abasourdi. Ce salarié,
il l'a repris avec la brasserie. Il n'avait pas un mois et demi d'ancienneté et touchait
à peine 7.000 F par mois. Il lui réclame aujourd'hui près de 70.000 F ! Il va se
défendre, sûr, pense-t-il de son bon droit.
Il commence sa défense en expliquant qu'en reprenant cette affaire, il a repris
l'ensemble du personnel. Monsieur M. s'est présenté à lui pour reprendre le travail. Il
a alors constaté que ce salarié qui avait été déclaré en extra, n'avait jamais eu de
contrat écrit. Par mesure de précaution, il a donc décidé de le considérer comme
embauché à demeure et de le licencier pour motif économique.
En premier lieu, l'employeur indique que le salarié ne peut prétendre à aucun préavis.
Il n'existe pas d'usage en la matière. D'ailleurs, le salarié n'apporte pas la preuve de
l'usage qu'il invoque.
Ensuite, le licenciement pour motif économique était tout à fait justifié. A la
reprise de l'établissement, il était indispensable de réaliser des économies
permettant de faire face aux échéances de la société. Le bilan et le compte de
résultats le confirment. C'est donc tout naturellement qu'il a licencié le salarié
présentant la plus faible ancienneté. L'employeur produit même le registre unique du
personnel prouvant qu'il n'a pas réembauché depuis.
Enfin, il explique que si le salarié n'a effectivement pas été reçu à un entretien
préalable, il n'en demeure pas moins qu'il était clairement informé de cette décision
et de ses raisons. L'employeur ajoute que le salarié n'a d'ailleurs jamais réclamé
l'engagement d'une procédure régulière de licenciement. Pour conclure, l'employeur
propose au salarié de lui payer son salaire du mois de décembre 1996. Il espère ainsi
prouver sa bonne foi. Mais pour le reste, le licenciement était indispensable et le
salarié n'a subi aucun préjudice. Il refuse de céder à ce qu'il pense être une "tentative
d'extorsion" du salarié. Et pourtant...
LA DÉCISION DU CONSEIL DES PRUD'HOMMESAprès un délibéré n'ayant pas duré cinq minutes, le
conseil des prud'hommes a décidé de condamner l'employeur à payer au salarié :
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Ce qu'il faut retenir de cette affaire |
Une condamnation très lourde qui ne peut laisser
personne indifférent. Voilà un salarié licencié après un mois et demi d'ancienneté
qui obtient presque six fois plus que le salaire qu'il a gagné pendant toute sa période
de travail à la brasserie ! Voilà un employeur qui sûr de son "bon droit"
n'en est pas moins condamné. Le moins que l'on puisse faire est d'en tirer quelques
enseignements.
Ce que le couple d'employeurs a eu raison de faire tout d'abord. En reprenant cette
affaire, le couple a eu un premier bon réflexe. Il a repris le personnel qui y
travaillait comme l'article L.122-12 du code du travail l'y obligeait.
Puis il a constaté que Monsieur M., bien que déclaré sur les bulletins de paie en
qualité d'extra, n'avait jamais signé de contrat de travail. Là encore il a bien
réagi. Le contrat d'extra étant un contrat à durée déterminée, le contrat doit
obligatoirement être écrit. A défaut, il faut considérer Monsieur M. comme embauché
sous contrat à durée indéterminée.
Les erreurs commises par le couple d'employeurs |
Lorsqu'il a décidé de fermer pour travaux, ce
couple d'employeurs aurait dû demander à l'inspection du travail la prise en charge du
salarié au titre du chômage partiel. Cette technique permet de dispenser l'employeur de
verser la totalité du salaire. Il verse simplement une indemnité égale à 50% du taux
horaire brut avec un minimum de 29 F de l'heure. En tout état de cause, le salarié se
voit garantir en fin de mois, un SMIC net calculé sur la base de 169 heures. L'employeur,
quant à lui, obtient un remboursement de l'Etat à hauteur de 16 F par heure chômée.
En ne demandant pas le chômage partiel, ce couple s'est retrouvé dans l'obligation de
payer normalement le salarié alors que celui-ci n'avait pas travaillé.
n C'est surtout lorsqu'il a procédé au licenciement économique du salarié, qu'il a commis ses deux plus grandes erreurs. La première erreur commise est qu'il aurait dû au préalable convoquer le salarié par lettre recommandée avec accusé de réception (ou remise contre décharge) à un entretien préalable. Dans cette convocation, il devait lui indiquer qu'il envisageait une mesure de licenciement économique et qu'il le convoquait à l'entretien au cours duquel il pouvait se faire assister, soit par un membre de personnel, soit en l'absence de représentant du personnel, par un conseiller extérieur. L'employeur aurait dû également respecté un délai minimal de 5 jours ouvrables francs entre la réception par le salarié du courrier de convocation et l'entretien préalable. Lors de cet entretien, il aurait expliqué au salarié les raisons l'amenant à envisager son licenciement économique.
n 7 jours
ouvrables après, l'employeur aurait dû adresser au salarié sa lettre de licenciement
pour motif économique. Cette lettre, il faut le rappeler, devait impérativement
comporter les motifs exacts et précis du licenciement. Dans notre histoire, c'est la
deuxième grande erreur commise par notre couple. Il s'est contenté d'une explication des
plus sommaires. A tort. Il faut expliquer les raisons du licenciement dans le détail. En
long, en large et en travers. Au surplus, il faut savoir que tout ce qui ne figure pas
dans la lettre de licenciement ne peut plus être invoqué par la suite. C'est trop tard.
En outre, en cas de licenciement économique, la lettre doit également indiquer que le
salarié dispose d'une priorité de réembauchage pour tout emploi relevant de sa
qualification. Elle explique également qu'il lui appartient de manifester son intention
de bénéficier de cette priorité dans un délai de 4 mois. Enfin, il importe, ici,
d'ajouter que si le licenciement économique porte sur un salarié ayant plus de 2 ans
d'ancienneté et âgé de moins de 57 ans, une convention de conversion doit
impérativement lui être présentée, lors de l'entretien préalable.
n L'employeur
n'a rien fait de cela. La condamnation est tombée. Certes, il peut toujours faire appel
de ce jugement. Il a un mois pour cela à compter de la notification écrite du jugement.
Mais la cour d'appel composée de magistrats professionnels risque fort de suivre la cour
de Cassation et de confirmer cette décision. Face à des condamnations tellement
exorbitantes, c'est plutôt vers une modification des textes qu'il faut se tourner.
A bon entendeur.
LE CONSEILLER EXTÉRIEURS'il n'existe pas de représentants du personnel dans
l'entreprise, le salarié peut se faire assister lors de l'entretien préalable au
licenciement par un conseiller extérieur. |
Le licenciement est jugé irrégulier quand il a été prononcé sans que soit respectée la procédure de licenciement.Le salarié a alors droit : |
Le licenciement est jugé abusif quand le conseil des Prud'hommes a considéré que l'employeur n'avait pas de motif réel et sérieux de licenciement.Le salarié a alors droit : Attention ! Si le licenciement est jugé irrégulier et abusif et que le salarié n'a pas eu la possibilité lors de l'entretien préalable de se faire assister par un conseiller extérieur, les dommages et intérêts sont au moins égaux à 6 mois de salaire brut quelle que soit son ancienneté et quels que soient les effectifs de l'entreprise. |
L'HÔTELLERIE n° 2561 Hebdo 14 Mai 1998