Voilà des années que les pouvoirs publics s'acharnent avec avidité à comptabiliser le nombre de séjours et de nuitées généré par les touristes en France. D'ailleurs, tel un véritable rituel, chacun y va de sa calculette en particulier dès la fin du mois de juillet, certains étant capables à ce moment même de présenter les grandes tendances de la saison estivale dans l'Hexagone. Une démarche certes globalement intéressante d'un point de vue économique, mais qui hélas ne s'attache nullement à «disséquer» les comportements réels de la demande touristique des Français. Cette lacune vient enfin néanmoins d'être comblée. Grâce au rapport du Commissariat général du Plan, baptisé «Réinventer les vacances», commandé par la Direction du Tourisme, la profession dispose en effet désormais d'un véritable outil de prospective.
Car sans en avoir l'air, le groupe d'experts de la rue Martignac, présidé par Jean Viard, directeur de recherche au CNRS, est en effet parvenu à décrypter les besoins spécifiques de nos compatriotes en matière de consommation touristique à l'horizon 2010. A noter en outre que les résultats de ce travail révèlent les forces et les faiblesses touristiques de notre pays. Sans oublier également qu'ils alertent les acteurs du secteur quant à la nécessité impérative de se remettre en question afin que le fossé existant entre leur offre et les attentes des vacanciers ne se creuse pas davantage au cours des prochaines années.
Parmi les grandes tendances observées, la première sur laquelle insiste fortement le rapport du Commissariat général du Plan est : la banalisation des vacances. D'ailleurs selon une enquête de la Sofrès réalisée à l'attention de ce groupe de travail, pour près de 91% des Français, «les vacances sont une nécessité absolue, un droit inviolable, même.» En d'autres termes, il est clair que les vacances sont devenues chose naturelle. Et sauf amplification majeure des situations d'exclusion profonde, 90% à 95% de la population française, et sans doute européenne, partiront demain en vacances. «Ce qui ne signifie pas pour autant que l'aménagement et la réduction du temps de travail auront une action positive sur la demande touristique», indiquent les auteurs du rapport. Parce qu'en matière de consommation touristique, les comportements varient en effet en fonction de différents critères tels l'âge et l'état psychologique de chaque individu.
De fait, la génération «mai 68», qui rentrera dans l'âge de la retraite d'ici douze ans, récemment marquée par le phénomène du chômage, éprouve «un besoin de se raccrocher à des valeurs sûres (tels le couple, les amis, la famille...)». La génération «Gorbatchev» (âgée de 20 ans) en revanche, ayant toujours vécu dans un contexte économique difficile, s'avère elle généralement plus ouverte au tourisme à proprement parler. Et à l'horizon 2010, une troisième génération, essentiellement urbaine, ayant déjà une mémoire touristique personnelle et familiale, fera son apparition sur la scène du tourisme français.
Face à cette diversité de la demande, «la consommation touristique devra de plus en plus être ciblée et individualisée», souligne le rapport. Et d'ajouter, «les équipements qui évoqueraient la masse et la contrainte collective seront en danger d'inefficacité». L'étude des motivations des touristes montre en effet qu'elles reposent moins sur les caractéristiques intrinsèques du produit que sur le contexte personnel dans lequel s'inscrit le séjour. Autrement dit, les motivations propres au tourisme passeront au second plan au profit de motivations plus générales. Et dans un contexte de vie urbaine stressée, les vacanciers chercheront avant tout des valeurs sûres à savoir «rompre avec le quotidien, dénicher le dépaysement, se retrouver en famille et en couple. Ils auront également envie de soleil et de chaleur».
Un certain nombre de valeurs auxquelles il sera impératif parallèlement d'adjoindre une part d'imaginaire. «En somme, note le rapport du Commissariat général du Plan, le touriste dira aux professionnels : ne me parlez pas de ce que vous m'offrez, parlez-moi de ce que j'ai envie de m'offrir.» Il faudra effectivement, tout en satisfaisant ces valeurs sûres, savoir suivre la dynamique mentale de sa clientèle pour gagner de nouvelles parts de marché. «Plutôt que de jouer sur les biens matériels des produits qu'ils ont l'habitude de proposer, les professionnels devront mettre en avant à l'avenir leurs caractéristiques immatérielles», explique Christine Kovacshazy, rapporteur.
Autant d'éléments dont l'hôtellerie française devra tenir compte afin d'améliorer ses propres prestations de service. D'après les recommandations citées dans l'ouvrage «Réinventer les vacances», plusieurs types d'améliorations pourraient ainsi intervenir en matière d'hébergement. La première concerne notamment l'habitabilité des chambres. Les hôteliers doivent envisager des aménagements, sous forme de cloisons mobiles par exemple, afin de séparer la chambre des parents de celle des enfants et d'accueillir des familles «tribus» (recomposées). Ils pourraient parallèlement diversifier la typologie des chambres entre celles destinées aux fumeurs-non fumeurs, celles pour se reposer et pour travailler. «Des espaces collectifs divisés en bureaux pourraient également regrouper les différents outils bureautiques nécessaires», préconise le groupe d'experts. «L'hôtellerie traditionnelle devrait en outre s'équiper de chambres dotées d'un lit d'une personne afin de satisfaire notamment les besoins des seniors», explique Christine Kovacshazy.
Des progrès devraient aussi être apportés en matière de sécurité avec la télé
surveillance (détection des pannes de téléphone, télévision, chauffage...). Il faudra
en outre, selon Patrick Vicériat, travailler sur l'odorisation des locaux pour bien sûr
lutter contre les mauvaises odeurs, mais aussi créer des ambiances voire des images
olfactives. Sans oublier également la mise en place de politiques tarifaires plus
diversifiées et celle
de nouveaux services comme le secrétariat, la garde d'enfants, les bornes télématiques
installées dans le hall de l'hôtel recommandant les sites touristiques de la région
avec possibilité de réservation automatisée...
Pour ce qui est de la commercialisation des produits touristiques, les professionnels devront là aussi changer leur fusil d'épaule. Il faudra travailler en «bouquets d'offres» plutôt qu'en répétition d'offres similaires et faire du «sur-mesure». Les actions de fidélisation prendront également une place importante. Sur ce point précis, les acteurs du secteur devront ainsi imaginer des séjours pour deux personnes pour le prix d'une, des réductions aux porteurs de cartes de fidélité...
Quant à savoir où les Français se rendront en vacances d'ici douze ans, le rapport dresse une cartographie des territoires français «très attractifs», «moyennement attractifs» et «faiblement attractifs», riche d'enseignements. On découvre ainsi que les «espaces anciennement et traditionnellement touristiques comme le Pays Basque ou la Côte d'Azur conserveront leurs avantages». Parallèlement, la Bretagne, la Côte d'Opale et la Baie de Somme, qui se sont astreints à prendre en compte les préoccupations environnementales de la demande, ont de beaux jours devant elles.
En revanche, les «espaces aménagés dans les années 1970 aggraveront leurs handicaps (comme le Languedoc-Roussillon et certaines stations de Vendée)». Concernant les espaces ruraux, situés pour les uns autour d'une «diagonale du vide» de Toul à Tarbes, pour les autres dans le «ventre mou» de la France, aux alentours du Massif Central, il sera nécessaire de développer des niches à forte plus-value. Au sujet enfin du tourisme urbain, le document publié par le Commissariat du Plan montre du doigt le fait que notre offre soit encore actuellement limitée à certaines villes comme Paris, Nice... Il souligne toutefois que d'ici à quelques années d'autres villes pourraient devenir touristiquement plus attractives telles Lyon, Marseille, Bordeaux, Toulouse...
C. Cosson
ccosson@lhotellerie-restauration.fr
* «Réinventer les vacances, la nouvelle galaxie du tourisme» est disponible au prix de 140 francs, à la Documentation française, 29-31 quai Voltaire, 75344 Paris Cedex 07. Tél. : 01 40 15 70 00.
Les vacanciers français veulent généralement rompre avec le quotidien et se
retrouver en famille.
Quelques points d'accrochages- «Les vacances, c'est une période privilégiée pour la vie de famille.» |
Qui sont les vacanciers ?Les DÉCOUVREURS - Les aventuriers (1,5 million de personnes, 9 millions
de voyages) : ils sont constitués de beaucoup de 50 ans et plus, adeptes des visites
culturelles, du vélo, de la randonnée, de la montagne et des formules tout compris. Les CONTRAINTS - Les grégaires (3,1 millions de personnes, 13,8
millions de voyages) : c'est la dimension sociale et humaine des vacances qui prime (un
temps pour la famille, pour le couple), longs séjours, circuits (caravaning-camping-car),
hôtels, résidences secondaires. Ils aiment aussi les activités, les visites de musées
et les promenades. Les HABITUÉS FIDÈLES - Les casaniers (2,9 millions de personnes, 12,4
millions de voyages) : beaucoup de 25-34 ans habitant en milieu rural. Faible implication
dans les loisirs et les vacances. Ils aiment les séjours chez des amis, à l'hôtel, en
location et souvent en ville. *Une enquête de la Sofrès recense 8 types de consommateurs, regroupés en trois grandes familles de vacanciers. |
L'HÔTELLERIE n° 2564 Hebdo 4 Juin 1998