Notre gastronomie, nul n'en doute, se porte bien. Les restaurants retrouvent le chemin du succès, les terrasses sont prises d'assaut, les réservations s'accumulent et les clients apprécient notre tradition d'art culinaire à nul autre pareil.
Et soudain, le couac, que dis-je, la catastrophe planétaire, le big bang des fourneaux, l'implosion de toutes les forces vives de la haute et moins haute cuisine, avec le parrainage de la Coupe du Monde de Football par... McDonald's !
Un communiqué d'origine non identifiable, néanmoins signé par quelques-uns des grands noms de la restauration française, de Paul Bocuse à Georges Blanc en passant par le président des Maîtres Cuisiniers Fernand Mischler, s'indigne de manière quelque peu naïve d'une opération qui ne mérite ni cet excès d'honneur ni cette indignité.
Et aussitôt de s'offusquer de «l'impérialisme conquérant» d'un groupe américain (serait-il le seul à s'intéresser à nos bonnes activités culinaires ?), de condamner cette opération destinée à rapporter beaucoup d'argent aux organisateurs de la Coupe du Monde, sans oublier l'inévitable petit couplet sur l'infâme «millefeuille de boeuf noyé de ketchup». Certes, il ne nous appartient pas de départager les uns et les autres, mais d'essayer de comprendre le bien ou le moins bien-fondé d'une querelle relativement vaine.
D'un côté, c'est vrai, la restauration à la sauce McDonald's ne relève certainement pas du plaisir gastronomique, et elle n'y prétend d'ailleurs pas. Elle correspond, pour reprendre la terminologie des analystes spécialisés, aux impératifs d'une «restauration-nécessité», fonction jusque-là remplie par nos bons vieux bistrots qui ont singulièrement manqué le coche de la restauration rapide, mais passons.
De l'autre, notre gastronomie, des plus grands restaurants reconnus dans les guides confirmés avec la consécration du Michelin, aux auberges de campagne qui perpétuent la tradition du terroir, les recettes ancestrales adaptées aux nouveaux comportements du consommateur, en passant par les milliers d'établissements où se maintient un art de vivre introuvable ailleurs sur la planète. S'il est bien un point où notre génie national s'exprime pleinement et beaucoup mieux qu'ailleurs sur la planète, c'est dans l'exercice de l'art culinaire. Les Américains ont d'aussi bons informaticiens, ingénieurs, économistes, financiers, gestionnaires, chirurgiens, aviateurs, constructeurs de voitures ou organisateurs de salons que nous, ils sont loin d'avoir autant d'excellents chefs. D'ailleurs, à New York ou à Las Vegas, la gastronomie se décline sous la bannière tricolore (la nôtre).
Rassurez-vous, restaurateurs appréciés de vos clients, qu'ils soient français ou étrangers, ce n'est pas la présence de McDo sur les stades de la Coupe du Monde qui va conduire vos affaires à la faillite, Dieu merci.
Pour conclure, trois exemples au hasard : essayez de vous alimenter convenablement dans un périmètre de 500 mètres autour du Stadium de Toulouse, de la Mosson à Montpellier ou du Stade de France à Saint-Denis. Simplement pour comprendre le succès de l'ignoble fast-food...
L.H
L'HÔTELLERIE n° 2565 Hebdo 11 Juin 1998