Les professionnels CHR de la Côte d'Emeraude n'en reviennent pas. Président du syndicat hôtelier local, Jean Chouamier a averti toutes les instances dirigeantes, mais jusqu'à présent, "sans aucune réponse». Secrétaire d'Etat, député-maire, préfet, etc., ont été sollicités. Rien n'y fait, le restaurant inter-administratif "Le Fort du Naye" à Saint-Malo poursuit sa route malgré un mauvais état d'hygiène, l'intention de faire appel à une clientèle privée et, première en France, un redressement judiciaire prononcé début avril par le tribunal de Grande Instance de Rennes. "L'affaire est tellement originale qu'elle ne dépend pas du tribunal du Commerce», explique Chantal Crenol, nouvelle présidente du conseil d'administration du restaurant en question.
Dès sa création en 1983, cette structure fit parler d'elle. N'ayant aucune raison
d'être dans une sous-préfecture, ce restaurant fut toutefois ouvert suite à de longues
luttes syndicales. D'une capacité de 400 couverts, l'établissement peut servir jusqu'à
90.000 repas par an, pour un prix modique de 30/35 F (entrée, plat, dessert).
Aujourd'hui, seuls 220 fonctionnaires prennent leur repas au Fort du Naye et, selon C.
Crenol, "il manque environ 50 repas/jour pour équilibrer le budget."
Depuis quelques années, la situation financière de l'établissement se détériore sans
que personne ne s'en soucie et notamment le conseil de surveillance. Fin février 98, le
restaurant accuse un passif de 650.000 F pour un compte d'exploitation de 2 MF. "Nous
étions étranglés par les charges fixes du personnel qui représentaient plus de 50% des
2 MF», souligne C. Crenol. Depuis le 1er janvier, le Fort du Naye perd 35.000 F par
mois !
Pour ne rien arranger, cet établissement présente un visage totalement décrépi, aucun
travaux de rénovation n'ayant été entrepris depuis sa création. Tout est à refaire,
de la toiture (il pleut dans le restaurant l'hiver), au carrelage décollé devant la
chaîne, en passant par les chambres froides, les sanitaires, etc., Chantal Crenol le
confirme, "nous avons reçu une enveloppe de 5 MF pour la réhabilitation totale
du bâtiment». Une somme débloquée par l'Etat avec pour seule exigence, que les
travaux soient accomplis d'ici la fin de l'année. Jusqu'ici et en attendant les travaux ?
"Les services vétérinaires nous ont accordé une certaine tolérance»,
reconnaît C. Crenol. Interrogé sur ce point, le Dr Thomas, du service d'inspection
vétérinaire de Saint-Malo reconnaît à son tour "que cette affaire traîne
depuis plusieurs années. Nous avons effectué une première visite il y a environ 5/6
ans. Deux ans après nous sommes revenus et il n'y avait rien de fait, alors nous avons
tapé du poing sur la table. Le sous-préfet de Saint-Malo m'a assuré qu'il prenait
l'affaire en main. Je n'ai pas fermé car je ne pense pas qu'il y ait de danger pour la
santé publique et parce que l'on m'a affirmé qu'il y aurait des travaux."
Enveloppe dégagée, travaux programmés, le restaurant semble donc sur la bonne voie
pour repartir. Aujourd'hui, l'administrateur judiciaire n'attendrait d'ailleurs qu'un
geste des administrations pour relancer l'affaire (ces dernières renâclaient, en effet,
à payer leur part). Mais après avoir délivré une enveloppe de 5 MF, on imagine mal
l'Etat ne pas inciter ses services à participer au redressement du restaurant... Pour
repartir, l'établissement dispose d'autres armes, dont certaines font tout autant grincer
les dents des professionnels de l'hôtellerie. Le conseil d'administration souhaite ouvrir
le Fort du Naye à une clientèle privée. "Nous pouvons ouvrir le restaurant à
l'extérieur dans la limite de 25% du CA annuel. Au delà, nous ne pouvons plus conserver
la TVA à 5,5". Clientèle visée, les banques, le terminal ferry etc. Cette
politique s'accompagnerait également d'une ouverture en direction des collectivités
publiques (banquets de la mairie, repas pour l'IUT, repas des retraités d'une
administration...).
Selon Chantal Crenol, "le restaurant doit poursuivre sa mission. Nous habituons
les gens à manger en dehors de chez eux. En quelque sorte, nous travaillons dans le même
sens que les restaurateurs en maintenant une habitude de qualité dans les repas."
Jean Chouamier se demande quant à lui, dans sa lettre envoyée aux élus si "les
fonds publics ne risquent pas un jour de disparaître lorsque leur utilisation abusive
aura engendré la disparition totale des entreprises qui les versent par le biais des
différents impôts et taxes ?"
O. Marie
Aujourd'hui, seuls 220 fonctionnaires prennent leur repas au Fort du Naye.
L'HÔTELLERIE n° 2567 Hebdo 25 Juin 1998