idée d'une rencontre germait depuis pas mal de temps. Pour Marc Veyrat, charismatique
président d'un Groupe des Huit récemment porté sur les fonts baptismaux, elle ne
pouvait avoir lieu ailleurs qu'à Eugénie-les-Bains, chez Christine et Michel Guérard.
Une vingtaine des meilleurs cuisiniers de France s'y sont donc trouvés en début de
semaine pour sceller une union autour d'une cuisine française que, chacun à sa manière
n'a cessé de défendre. Il y avait donc Paul Bocuse bien sûr, à l'origine d'un
mouvement largement relayé par les médias -Gault Millau en tête- et qui allait
révolutionner le monde des fourneaux. A ses côtés, Michel Guérard donc, Pierre
Troisgros, Roger Vergé, Pierre Laporte, Paul Haeberlin, Gaston Lenôtre et Alain
Senderens fraternellement unis comme par le passé. A la même table, les dignes
héritiers du mouvement, co-fondateurs d'un Groupe des Huit basé sur l'amitié et le
respect des mêmes valeurs : Marc Veyrat, Michel Bras, Olivier Roellinger, Alain Passard,
Jean-Michel Lorrain, Michel Troisgros, Pierre Gagnaire et Jacques Chibois.
Après des temps parfois houleux pour la cuisine française, la rencontre est
d'importance. Paul Bocuse ne s'y trompe pas et se félicite qu'elle ait pu enfin avoir
lieu, n'en déplaise à certains... «Si l'on veut revenir un petit peu en arrière, on
se souvient que la collaboration entre Champérard et la Chambre syndicale de la Haute
Cuisine Française avait mis le feu aux poudres. Il y a donc eu quelques dissidents et
j'avoue que j'étais d'accord avec eux et que j'aurais pu, moi aussi, démissionner. Je
pense que c'est de là qu'est née l'idée de Marc Veyrat de créer ce Groupe des Huit qui
me semble une bonne idée... même si, pour être efficace, il faudra être encore plus
nombreux».
La Grande Cuisine Française, devenue Nouvelle par la grâce d'Henri Gault et Christian
Millau à la recherche d'un bon filon, était née sur d'autres bases. «En fait,
se souvient Bocuse, c'est une époque où les chefs commençaient à sortir un peu de
leurs cuisines et où ils étaient très courtisés. On commençait à parler de contrats
et, pour nous protéger, nous nous sommes réunis entre amis». Air France et les
repas à bord du Concorde, le Savour Club : Bocuse n'a rien oublié de la manne alors
offerte à quelques jeunes chefs... révolutionnaires. Trente ans après, la cuisine
française est à nouveau en ébullition avec, souligne Marc Veyrat, «une amitié
certaine et des idées nouvelles.»
«Nous voulons faire la preuve que les héritages ne se perpétuent pas toujours dans
les querelles. Notre rassemblement en apporte la preuve. Nos aînés, Paul Bocuse
en particulier, assurent à l'étranger la promotion de notre richesse gastronomique,
exportant de la cuisine française à travers le monde. Nos pères, en cautionnant notre
mouvement rénovateur, nous aideront à faire savoir à travers le monde que la cuisine
française tire sa ligne de force dans la cohabitation des générations de cuisiniers, de
leurs talents créatifs, de leurs influences diverses de leur habilité à faire leurs,
les produits de tous pays». (1)
Nos pères ? Paul Bocuse est touché par l'appellation et il le dit. «C'est un clin
d'il très sympathique qui me fait bien plaisir. Marc Veyrat est quelqu'un
d'intéressant et ce n'est pas par hasard que Sodexho est allé le chercher pour former
ses chefs. C'est un choix très significatif. Michel Guérard m'a un jour parlé de
l'idée de cette rencontre et je trouvais rigolo que l'on soit ainsi ensemble».
Voilà qui ne plaira sans doute pas à tout le monde, mais à travers ces retrouvailles
inter-générations, l'essentiel est ailleurs. «L'héritage de nos aînés ne pouvait
se transmettre que dans l'amitié et le respect de l'autre. C'est pour cela que nous nous
sommes joyeusement retrouvés unis à Eugénie-les-Bains», conclut Marc Veyrat.
J.-F. Mesplède
(1) Les Huit continuent dans cette voie en travaillant avec Sodexho sur un projet d'une grande école de cuisine française sur les cinq continents.
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L'HÔTELLERIE n° 2568 Hebdo 2 Juillet 1998