C'est avec beaucoup d'intérêt que nous avons pris connaissance dans L'Hôtellerie du
2 juillet dernier, de la rencontre à Eugénie-les-Bains des fondateurs de la «grande
cuisine française» des années soixante dix et des refondateurs de la «jeune cuisine
française» de l'horizon 2000, encore connus sous la dénomination de «Groupe des
Huit».
Si l'on en juge par les propos du journaliste témoin de cette rencontre historique, elle
s'est déroulée sous les meilleurs auspices, nos anciens ayant reconnu dans l'initiative
de leurs cadets, un mouvement à bien des égards, semblable à celui incité il y a
bientôt 30 ans maintenant avec Henri Gault et Christian Millau.
Ainsi le relais a été transmis, «sans moindre conflit de générations», pour
reprendre les termes de L'Hôtellerie, entre les protagonistes de ce que fut la «nouvelle
cuisine française» et ceux qui estiment à présent que son héritage leur revient. «Voilà
qui ne plaira sans doute pas à tout le monde», a conclu J.-F. Mesplède auteur de
l'article.
Au risque de le décevoir, nous n'écrirons pas aujourd'hui un nouveau chapitre du combat
des chefs et nous ne contribueront pas à ranimer des cendres toujours brûlantes, pour la
simple raison que les grands enjeux actuels de la cuisine française ne se situent
certainement pas dans l'affrontement de courants également respectables, prônant qui la
souveraineté des produits du terroir ou qui l'intégration des produits venus d'ailleurs.
Le nombre d'organisations professionnelles et d'associations de cuisiniers témoigne de la
diversité des courants qui habitent un métier fortement médiatisé dont chaque
composante excipe de son originalité de son caractère innovant pour se faire sa place au
soleil. Ce n'est pas demain que la cuisine française redoutera les effets de la pensée
unique et c'est très bien ainsi car il paraît normal que toutes les tendances puissent
s'exprimer. L'art culinaire ne saurait être enfermé dans un carcan, recomposé en
fonction des modes par des gens qui pour être parfois des observateurs avisés de la
cuisine, ne sont pas cuisiniers pour autant.
Alors cessons de nous acharner à nous déchirer à propos de nos différences, car
pendant que nous consacrons une grande partie de notre énergie à ces querelles stériles
qui n'intéressent et encore, que le microcosme professionnel, le métier de cuisinier
restaurateur en proie à des agressions diverses est véritablement en danger et ceux
d'entre nous qui auraient tendance à croire, malgré quelques avertissements notoires,
que leur notoriété les exempte de tout risque, pourraient connaître à court terme de
graves désillusions.
La cuisine française n'appartient pas exclusivement aux clubs des grands chefs, elle est
avant tout le fait, de ces milliers de cuisiniers anonymes qui à travers la France
entière, dans d'avenantes auberges rurales et de sympathiques restaurants de quartiers,
perpétuent un savoir-faire qui contribue largement à la formidable attraction
touristique de notre pays.
Tous ces confrères constituent le socle, le fondement de notre métier, la plupart
d'entre nous est issue de cette base et demain encore à condition qu'elle perdure, c'est
d'elle que viendront les nouvelles étoiles de la gastronomie française.
Longtemps nos associations respectives, ayons le courage de le reconnaître, ne se sont
guère intéressées aux problèmes professionnels, c'est très volontiers que nous avons
abandonné ce terrain aux organisations professionnelles nationales comme la FNIH et la
Confédération, à croire que nous n'étions pas concernés par la formation, fiscalité,
le droit social, la réglementation, le statut professionnel etc.
Ces dernières années nous avons été rattrapés par tous ces problèmes et voilà que
nous découvrions avec l'étonnement du néophyte que nous étions interpellés au même
titre que tous nos collègues et qu'il n'y aurait pas de statut particulier pour la grande
cuisine française.
Dynamisées par le danger, nos associations ont souhaité réagir, en ordre dispersé de
préférence et sans se préoccuper de ce qui avait déjà été entrepris et par qui, en
se basant sur un relationnel créé grâce à la convivialité et la qualité d'une table,
dont les effets se diluaient très vite dans la mer de sable administrative.
Pour éviter cela, Paul Bocuse et Pierre Troisgros ont eu l'excellente idée de créer
l'UFCT, un organisme informel, dont le seul but était de réunir tous les courants
professionnels syndicats et associations, afin qu'ils se mettent d'accord sur la nature de
leurs revendications et la manière de les présenter afin que la profession offre à ses
interlocuteurs un front uni.
Au mois de juin dernier au ministère du Tourisme, aux côtés des représentants de la
FNIH et de la Confédération, toutes nos associations étaient présentes pour parler
d'une seule voix et l'efficacité cette fois fut au rendez-vous, sans qu'aucun d'entre
nous ne perde une once de sa précieuse indépendance.
L'avenir du métier de cuisinier ne dépend pas exclusivement de l'utilisation de tels ou
de tels produits, pas plus de la manière de les travailler et de les intégrer dans nos
savoir-faire, il relève de l'amélioration de notre environnement professionnel, de notre
capacité à donner à nos personnels des conditions de travail adaptées à l'époque
avec un plan de carrière (c'est le rôle du parcours du professionnalisme), de la
fiscalisation des charges sociales afin que les entreprises de main d'oeuvre que nous
sommes, ne soient pas plus pénalisées, de la reconnaissance d'un statut professionnel
qui nous intégrerait enfin dans l'artisanat, au même titre que les autres métiers de la
gastronomie, boulanger, pâtissier, boucher, charcutier et traiteur. Enfin, il va falloir
s'atteler très sérieusement au problème de la TVA qui pèse lourdement sur nos prix de
vente et à celui des 35 heures, car il ne suffira pas de crier au scandale, il faudra
présenter des dossiers argumentés et négocier des contreparties bien en amont de la
date d'entrée en vigueur et là encore, il importe qu'à travers l'UFCT, nous adoptons
une position commune.
Si nous n'agissons pas ensemble, rapidement et dans la cohésion, il est probable que le
prochain meeting de passation du relais, qu'il ait lieu à Eugénie-les-Bains ou ailleurs,
ne se passe pas dans la même ambiance joyeuse, les jeunes qui sont appelés à nous
succéder pourraient vous dire «qu'avez vous fait, dans quel état avez vous mis le
métier ?»
C'est au nom de «l'union» que le Groupe des Huit a créé une chapelle professionnelle
supplémentaire, que Paul Bocuse pourtant père fondateur de l'UFCT, verrait bien
s'étendre, (L'Hôtellerie du 2 juillet) c'est «l'union» encore dont se revendiquent
tous les syndicats professionnels animés à priori des meilleures intentions.
La rencontre à Eugénie-les-Bains a été qualifiée «d'union sacrée», tout un
programme ! A notre tour d'apporter une pierre à l'édifice en exigeant que cette
«sacrée union», cesse de prendre des allures d'arlésienne dont on parle beaucoup mais
qu'on ne voit jamais. Ce n'est qu'alors qu'on pourra parler d'union sacrée.
L'UFCT est le creuset où ce rêve est déjà une réalité, c'est avec beaucoup de
plaisir que nous y accueillerons le Groupe des Huit, il n'y trouvera aucun héritage
prestigieux mais beaucoup de travail pour assurer la pérennité d'un métier aujourd'hui
compromise.
Patrick Fullgraff, président des Jeunes Restaurateurs de France, Jean-Claude Vrinat, président Traditions et Qualité les plus belles Tables du Monde, Fernand Mischler, président des Maîtres Cuisiniers de France, Antoine Westermann, président de la Chambresyndicale de la haute cuisine.
Patrick Fullgraff
Jean-Claude Vrinat
Fernand Mischler
Antoine Westermann
L'HÔTELLERIE n° 2574 Hebdo 13 Août 1998