Au sortir d'un printemps difficile marqué par la perte de l'étoile Michelin, Patrick
Pagès, le chef-propriétaire de «l'Hôtellerie Chantoiseau» à Vialas (Lozère), a
savouré la fidélité de ses amis lors de la remise du Mérite Agricole par Jean Moulias,
inspecteur général de l'Agriculture. A commencer par celle d'Yves Duteil qu'il avait en
quelque sorte intronisé parrain de sa maison quand le guide rouge avait salué son
savoir-faire, dans ce village reculé du pays cévenol. C'était il y a dix ans.
«Cette étoile, on l'espère bien entendu, mais on ne va jamais la demander à
Michelin. Alors, quand on fait partie des heureux élus, on la savoure et on profite aussi
du système qu'elle engendre. C'est pour cela que le jour où nous la perdons il faut
accepter la décision, sans la critiquer...». Avec le même tempérament généreux
et la curiosité qui avaient séduit les gens de chez Michelin, il cherche cependant des
explications. «Je ne suis pas certain qu'ils voient l'évolution réelle d'une maison.
Une étoile c'est un honneur mais c'est surtout beaucoup de contraintes auxquelles on fait
face. C'est en particulier un système qui nous aliène à une clientèle dont les
exigences évoluent en permanence. Malheureusement, je n'avais pas l'étoffe financière
pour toujours y faire face. L'étoile m'a obligé à investir 2 MF en dix ans sans
m'assurer le doublement du chiffre d'affaires».
Il est vrai qu'à Vialas, on ne voit pas les choses comme à Paris. Et inversement...
«En ne se penchant pas suffisamment sur la réalité d'une entreprise comme la nôtre,
Michelin prouve que vu de Paris, il n'y a pas de place pour une étoile loin des villes.
Ce qui me surprend un peu alors que la clientèle étrangère, en particulier, qui arrive
chez nous avec le guide en mains, exprime la recherche d'une certaine authenticité. De la
même façon, Michelin oublie trop vite qu'une étoile constitue une attraction dans un
pays retiré. En la perdant, c'est Vialas qui disparaît de la carte de France, car ici ce
n'est pas Gordes ou les Baux-de-Provence».
Pour autant l'homme avec sa cuisine en perpétuel mouvement n'a pas changé. «Simplement,
il y a beaucoup moins de pression sur moi et un peu moins d'exigence à l'égard du
personnel. De toute façon, il était déjà très difficile de trouver des gens ayant
l'expérience d'un établissement étoilé prêts à venir se perdre chez nous. Par
contre, mon exigence vis-à-vis des produits et de mon travail est toujours la même. Car
ce qui me gênerait le plus c'est bien de ne pas satisfaire les gens qui font l'effort de
venir jusqu'à moi et notamment ces étrangers que le guide Michelin m'a permis de toucher».
Une clientèle venue en très grand nombre au mois de juillet au Sud de la Lozère et qui
a donné le sourire à Patrick Pagès. S'il n'a pas, tout au long de ces années, réussi
à sensibiliser les hommes politiques locaux, départementaux ou régionaux à l'image
d'atout économique et touristique qu'il pouvait constituer pour cette terre cévenole
sinistrée, le plus beau des encouragements reste un parking où les plaques
d'immatriculation sont à la fois cartes de France et d'Europe.
Presque une invitation aux voyages que Patrick Pagès reprendra en octobre.
Extrême-Orient à l'Europe centrale en passant par l'Afrique, il va courir les cuisines.
Pour exporter sa gastronomie et assurer une certaine survie économique, «en allant au
plus disant pour passer le cap des remboursements et garder ma maison.» Et puis, à
la rentrée, il va assister à la concrétisation d'un travail de recherches mené depuis
deux ans sur des steaks de thon. L'arrivée de «Thonus», dans la grande distribution
portera sa patte et lui en donnera sans doute un peu. Pour passer l'hiver et penser déjà
à la prochaine saison. Chez lui, à Vialas, coin perdu mais pas tout à fait oublié de
Lozère...
J. Bernard
Patrick Pagès, le chef-propriétaire de «l'Hôtellerie Chantoiseau» à Vialas
(Lozère), a savouré la fidélité de ses amis lors de la remise du Mérite Agricole par
Jean Moulias, inspecteur général de l'Agriculture.
L'HÔTELLERIE n° 2576 Hebdo 27 Août 1998