Les chaînes hôtelières sont confrontées aujourd'hui au vieillissement de leur parc. Convaincues qu'elles ne doivent plus seulement "ripoliner" leurs chambres, elles en profitent pour lancer de véritables produits de marketing qui s'inspirent des attentes et des avis de la clientèle.
"Pour moi, les chaînes, c'était moderne et confortable, mais il faut
reconnaître que depuis quelques années, leurs hôtels ont pris un sacré coup de vieux
!", s'exclame d'une manière un peu triviale Jean-Pierre, fréquentant souvent
les hôtels. Des remarques désabusées comme celle-là sont aujourd'hui monnaie courante
dans le langage de la clientèle hôtelière. C'est bien ce qui inquiète les groupes
hôteliers : moderniser leur parc, tout en le remettant au goût du jour. La lassitude
touche réellement les consommateurs et certains concepts ne correspondent plus à ce
qu'ils veulent ou aiment. "L'hôtellerie, comme d'autres secteurs, a pris un
retard important par rapport à l'évolution de l'habitat et des tendances de modes de
vie. Le taux d'équipement des ménages a presque doublé en moins de 20 ans. Sans pour
autant connaître la climatisation dans leur quotidien -- bien que les hommes d'affaires
l'aient souvent à leur bureau --, les clients d'hôtels retrouvent un téléviseur, une
literie, une salle de bains, une penderie, un mobilier très souvent moins bien conçus,
en moins bon état ou moins confortables à l'hôtel que chez eux", observe
Anne-Marie Planchon, sociologue. Ce retard de modernité, ajouté à un début de
vétusté des hôtels, est un vrai problème. Le régler, ce sera donner en partie l'envie
aux consommateurs de fréquenter à nouveau l'hôtel avec plaisir.
Les chaînes hôtelières en sont désormais conscientes. Aussi, mises à part toutes les
actions de promotion et de développement de leurs services à la clientèle, se
penchent-elles furieusement sur leur produit. Ainsi, Climat de France vient de présenter
sa nouvelle chambre, qui est le fruit d'un travail de plus d'un an. Bientôt, Balladins
suivra. Ibis avait déjà annoncé l'arrivée de sa chambre Ibis 2003, suivie d'ailleurs
de l'hôtel Ibis 2003, qui utilise les techniques de construction initiées par Formule 1.
D'une manière générale, toutes les chaînes au produit normalisé, dont Campanile,
Novotel, Villages Hotel,... ont plus ou moins une équipe qui travaille sur le produit
chambre de demain. Parfois même, une ou des chambres témoin attendent dans un hangar ou
dans un hôtel d'être reproduites si leur concept se montre à la hauteur. Pour autant,
il n'y a pas que les réseaux au produit répétitif qui étudient leur prestation
chambre. Par exemple, Mercure, dont les hôtels sont tous différents les uns des autres,
a un "département produit" en charge notamment de la décoration et du design,
qui sert de force de progrès et de suggestion. "Chez Comfort et Quality, nous
n'imposons rien à nos franchisés en terme de décoration de chambre. Nous demandons
seulement que des fonctions soit respectées (comme le sèche-cheveux, le téléviseur,
etc). Libre à l'hôtelier de choisir la marque ou le matériel qui lui convient. En
revanche, nous avons un catalogue de produits recommandés et avons sélectionné des
fournisseurs agréés que les hôteliers peuvent décider ensuite d'appeler. Par ailleurs,
un hôtel Comfort à Paris et un Quality à Caen serviront de vitrine pour montrer
l'hôtel idéal dans la gamme que nous voulons promouvoir", explique Bertil
Charbonnier, vice-président de Choice France.
Créer une nouvelle chambre capable d'être mise en place dans un grand réseau n'est
pas une mince affaire. "Le premier piège à éviter est de penser que c'est
simple", déclare Gilles Douillard, président d'Hôtels & Compagnie. Car le
souci premier est de réussir à mettre au point une chambre qui puisse entrer dans un
budget raisonnable, correspondre aux attentes de la clientèle, séduire, être facile à
entretenir, donner une impression de renouveau, être duplicable et résister au temps (au
goût du public et à l'usure)... Bref, le cahier des charges est lourd. Surtout qu'après
la conception et après avoir trouvé les réponses techniques, il faut ensuite parvenir
à convaincre le réseau, en particulier quand il s'agit de franchisés, d'adopter le plus
tôt possible ce nouveau produit. Il faut que la clientèle remarque quelque chose. "Un
nouveau concept de chambre intéresse les hôteliers à plus d'un titre. Il peut notamment
aider un hôtel qui chute commercialement ou qui vieillit à se relancer et générer des
points de taux d'occupation en plus, par l'attrait du neuf que la clientèle aime
retrouver", argumente Gilles Douillard. On sait aussi que si un hôtel rénové
en profondeur se relance plus facilement sur son marché, on peut également compter sur
une nette amélioration de ses prix moyens chambre. C'est d'ailleurs la stratégie d'Ibis
en la matière. Le client accepte en général que l'on augmente raisonnablement les prix,
à condition qu'une véritable valeur soit ajoutée. Le contraire d'un simple coup de
pinceau.
Mais, pour mettre les franchisés en émoi et les encourager à investir, la nouveauté
n'est pas toujours suffisante. Il faut venir présenter le nouveau produit quand on
l'attend. "La chambre Climat de France arrive alors que la reprise économique est
là. Les hôteliers ont meilleur moral qu'il y a quelques années et pensent plus
facilement à leur avenir. Réinvestir dans l'hôtel est de mise. Par ailleurs, beaucoup
de nos hôtels qui ont plus de 15 ans arrivent au terme de leur endettement. Celui qui
payait un million de francs par an de remboursement d'emprunt dispose aujourd'hui d'une
capacité d'investissement plus forte", ajoute le patron d'Hôtels &
Compagnie. Le bon message au bon moment. A l'inverse, quelques-uns se souviennent de la
périlleuse présentation des évolutions de la chambre Novotel en 1983, qui avait
provoqué une lourde déception chez les directeurs d'hôtels de la chaîne. "Lors
de notre convention annuelle multimarques, les autres enseignes (du groupe Accor)
présentaient des projets dynamiques de promotion, de communication et de développement
de l'image. Le marketing de Novotel s'est contenté de nous démontrer pendant une heure
pourquoi on avait changé l'abat-jour de la lampe et à quoi allait ressembler le flexible
de douche. Ils avaient cassé nos rêves car ce n'était pas ce que nous voulions
entendre", se souvient un directeur de Novotel.
La conception d'une chambre devant équiper une chaîne est devenue l'affaire d'une collectivité de professionnels. "Plus question de décider comme un seul homme en cachette sur un coin de table, avec un vague décorateur, comment sera la chambre de demain", rétorque un responsable marketing d'une chaîne. Mené par un groupe composé d'un architecte, d'un bureau d'études, des équipes du siège de Hôtels & Compagnie et de franchisés, le travail de conception de la chambre Climat de France a exigé une grande rigueur. C'est une démarche identique que les autres chaînes suivent à présent volontiers où d'ailleurs tout est pris en compte : les attentes et avis de la clientèle, la concurrence, les tendances du moment, les styles de vie, les évolutions techniques ou encore les offres des fournisseurs. Si cette discipline de travail en groupe s'impose, elle n'empêche pas parfois les débordements. "Nous passons parfois de longs moments pour savoir si nous devons mettre dans les salles de bains une savonnette ou deux", se désespère un directeur de chaîne. Le gestionnaire dit non et l'homme de marketing dit oui".
Les différentes études sur lesquelles se base le groupe de conception le conduisent à adopter des lignes directrices qui aideront à définir le produit. "Nous avons compris que la clientèle voulait une sensation d'hygiène et d'espace. Par exemple, le retour vers le lino dans la chambre Climat de France peut choquer, mais c'est la solution selon nous qui garantit la meilleure impression de propreté pour le client. La redéfinition des lumières a eu pour but d'apporter une plus grande perception d'espace. Nous avons également démonté la télé sur potence pour lui redonner une place plus normale sur le plan horizontal", explique Gilles Douillard. Même approche chez Ibis, ayant également adopté les lignes courbes et douces qui font partie de tout le design actuel omniprésent dans l'automobile, le mobilier, les packagings, etc. "Nous avons voulu reproduire l'univers comme chez soi, avec un éclairage plus chaleureux et rendant les chambres et les salles de bains plus gaies", commente Françoise Saheb, de Sphère. On constate que toutes les nouvelles définitions du produit chambre ont une raison d'être, qui part (enfin) de la demande exprimée par la clientèle.
Mais si des groupes de travail vaquent de manière structurée, voire conventionnelle, ceci n'interdit pas les approches futées, comme Géo Hôtel qui utilise les techniques de l'architecture de marine pour gérer au mieux les espaces des chambres. Des démarches intuitives et empiriques s'imposent parfois aussi, basées sur le bon sens. François Branellec à l'origine des hôtels 1 étoile B & B (70 hôtels avec des taux d'occupation spectaculaires et une entrée prochaine en bourse au second marché), a déterminé ses premiers hôtels en éliminant ce qu'il trouvait inopportun ou nuisible chez la concurrence. "Lors du lancement des premiers hôtels premier prix, j'avais remarqué qu'il y avait des insuffisances importantes dans leur isolation phonique. Par ailleurs, pour moi, l'absence de sanitaire dans la chambre était une hérésie pour le respect même du client. D'ailleurs, cela impose aujourd'hui de pratiquer des prix plancher. Enfin, je ne voulais pas non plus d'une salle d'eau en coque plastique préfabriquée, dont tous les directeurs d'hôtels se plaignaient. C'est pourquoi chez B & B vous trouvez une salle d'eau carrelée dans la chambre et, entre autres choses, une bonne isolation phonique. Ceci ne nous empêche pas de prendre en compte aussi les avis de nos clients qui sont nombreux à s'exprimer auprès de nous", explique François Branellec, qui se dit bientôt prêt à équiper ses hôtels avec la climatisation. A défaut de beaucoup de constructions neuves, les chaînes s'investissent donc à fond dans leur modernisation, stimulées par une belle reprise de l'activité. Mais la démarche n'est que nécessité comme coup de pouce ou coup de fouet pour (re)séduire leur clientèle.
M. Watkins
L'HÔTELLERIE n° 2580 Supplément Economie 24 Septembre 1998