Du côté des prud'hommes
Afin d'être agréable à sa clientèle, l'établissement en cause fait tout pour
soigner le service. Il occupe même depuis des années plusieurs téléphonistes. La
dernière vient justement d'être recrutée quelques mois plus tôt. Comme ses collègues,
elle est chargée de la surveillance et de l'entretien des toilettes ainsi que de la
cabine téléphonique. Elle vend également des cigarettes et accessoirement des cartes
postales.
Tout se passe plutôt bien jusqu'au jour où la salariée cesse subitement de se
présenter à son poste de travail. Elle envoie un premier arrêt de travail de son
médecin puis des prolongations. Enfin, un jour, plus rien. Jusqu'à ce que la direction
reçoive une convocation devant le conseil de prud'hommes. La salariée réclame à son
employeur plus de 100 000 F ! Il est vrai que ses demandes sont nombreuses.
La salariée conteste les prélèvements faits par l'employeur
Tout d'abord, elle sollicite un rappel de salaire et le remboursement des sommes
versées par ses soins à l'employeur. La salariée explique qu'elle n'a jamais reçu la
moindre rémunération de la part de la société depuis son embauche quelque 8 mois
auparavant. Or, son contrat de travail prévoit un taux horaire de rémunération. Pire
encore, son employeur l'obligeait à la fin de chaque mois à lui remettre des sommes.
Elle ignorait la raison de ces prélèvements mais en tout état de cause elle sait que
toute sanction pécuniaire est formellement interdite par le Code du travail. La salariée
demande ainsi le paiement de son salaire sur toute sa période d'emploi et le
remboursement des sommes prélevées par l'employeur. Enfin, la salariée demande au
Conseil de prud'hommes de constater la rupture de son contrat de travail aux torts
exclusifs de l'employeur. Ne recevant pas de salaire de celui-ci et se devant même de lui
verser des sommes, c'est logiquement qu'elle a cessé de se présenter à son poste de
travail. Elle demande maintenant que la rupture de son contrat de travail soit constatée
par voie judiciaire et que la société soit condamnée à en supporter les conséquences
financières. Elle sollicite, à ce titre, le paiement de son préavis ainsi que des
dommages et intérêts qu'elle chiffre à hauteur de 6 mois de salaire brut.
En défense, la société réagit à ce qu'elle qualifie d'énorme méprise de la
salariée et/ou de son avocat. Elle s'efforce de rétablir aux faits leurs vérités. La
salariée a été embauchée en qualité de téléphoniste, qualification préférée dans
la pratique à celle plutôt péjorative de dame pipi. En cette qualité et selon une
pratique d'usage dans les hôtels, cafés, restaurants, elle était rémunérée
exclusivement par les pourboires versés directement entre ses mains par la clientèle.
Ces pourboires constituaient sa seule et unique rémunération. Une rémunération brute
au demeurant. Ignorant le montant des pourboires qu'elle percevait, la société
s'acquittait des cotisations sociales et patronales sur une assiette forfaitaire à
hauteur du SMIC hôtelier.
Après une période d'absence pour raison médicale, la salariée a cessé de se
présenter à son poste de travail sans fournir le moindre justificatif. Elle s'est
contentée d'indiquer à l'occasion de sa saisine du Conseil de prud'hommes qu'elle
considérait son contrat de travail rompu du seul fait de l'employeur pour « manquement
à ses obligations contractuelles ». Bien évidemment la société a refusé
d'assumer la rupture du contrat de travail ainsi présentée par la salariée. Elle lui a
adressé deux courriers la mettant en demeure de reprendre son poste de travail. Dans le
dernier courrier, elle prenait même soin d'expliquer à la salariée qu'il n'y avait eu
de sa part aucun manquement à ses obligations. La salariée refusait de reprendre son
poste. Elle ne justifiait pas davantage de son absence. Dans ces conditions, la société
l'avait convoquée à un entretien préalable par lettre recommandée avec accusé de
réception. La salariée n'avait pas daigné s'y présenter. Quelques jours plus tard, la
société lui notifiait son licenciement pour faute grave au motif d'une absence
injustifiée et non autorisée à son poste de travail.
Déclaration forfaitaire des
salariés exclusivement rémunérés aux pourboires
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Son salaire était au service forfaitaire
Après avoir ainsi rappelé les faits, la société s'applique à démontrer
l'absence de fondement de la demande de la salariée. Elle commence par contester le
rappel de salaire sollicité par la salariée. Certes, elle reconnaît immédiatement que
la salariée n'a jamais directement perçu le moindre salaire de sa part et notamment les
sommes portées en brut sur les bulletins de paie. Mais pour cause, la salariée a été
rémunérée exclusivement par les pourboires versés entre ses mains par la clientèle de
l'établissement. Le contrat de travail signé par la salariée indiquait justement que sa
rémunération était au « service forfaitaire sur la base du SMIC hôtelier,
indemnité de nourriture en sus ». Le mot service signifie que la salariée était
exclusivement rémunérée par les pourboires remis dans sa soucoupe par les utilisateurs
des toilettes ou du téléphone. La salariée n'avait pu que signer ce contrat de travail
en connaissance de cause. Au surplus, ce principe lui avait été clairement expliqué
lors de son embauche. La société prend d'ailleurs soin de produire à la barre le
témoignage de deux autres téléphonistes reconnaissant qu'il leur avait été expliqué
également lors de leur embauche qu'elles étaient payées aux pourboires et aux
pourboires exclusivement. Bien évidemment, la direction en ignorait leur montant. Or, il
fallait établir des bulletins de paie et surtout s'acquitter des charges sociales. Aussi,
ces pourboires devaient-ils être évalués et déclarés de façon forfaitaire. Sur la
base des arrêtés des 14 janvier 1975 et 10 février 1976, la société les avait
estimés à hauteur du SMIC. Ce montant avait été porté sur les bulletins de paie de la
salariée, il avait servi de base de calcul des cotisations sociales. D'autre part, si la
salariée considère aujourd'hui que ses pourboires n'atteignaient pas, à la fin du mois,
le montant auxquels ils étaient évalués, il lui appartient et à elle seule d'en
apporter la preuve. La société produit, à l'appui de ses propos, une jurisprudence
fournie. Elle cite notamment un arrêt de la Cour de cassation en date du 29 janvier 1962.
Dans cette affaire, une salariée réclamait un rappel de salaire. Elle soutenait que les
pourboires perçus directement auprès des clients étaient inférieurs au montant
déclaré par l'employeur. La Cour de cassation rejette la demande de la salariée au
motif « qu'elle n'établissait pas avoir eu une rémunération inférieure au salaire
minimum interprofessionnel garanti » (cass. soc 29.11.1962 - bull cass 62 IV 864).
Dans notre affaire, la société indique que la salariée n'apporte pas non plus une telle
preuve. Et pour cause, ajoute la société, les pourboires étaient largement supérieurs
au SMIC hôtelier. Une téléphoniste témoigne même qu'elle procède pour sa part de
façon régulière à des échanges de monnaie auprès de la caissière de
l'établissement pour un montant journalier variant entre 500 et 800 F. Et la caissière
de le confirmer par écrit. Il est vrai que la clientèle étrangère et notamment
anglo-saxonne n'est pas radine sur les tips (pourboires dans la langue de Shakespeare).
Les prélèvements constituent ses cotisations sociales
Cette société tient également à s'expliquer sur les soi-disant sommes que lui
aurait versées la salariée. En effet, les pourboires reçus par la salariée
constituaient sa rémunération brute. Or, sur ce salaire devaient être calculées les
charges sociales patronales et les charges sociales salariales. La salariée qui percevait
chaque jour son salaire brut remettait donc à la fin de chaque mois, entre les mains de
son employeur, le montant de ses cotisations salariales. Il ne s'agissait pas du tout de
sanctions pécuniaires !
Enfin et pour conclure, la société se doit évidemment de s'expliquer sur le
licenciement pour faute grave auquel elle a été contrainte de procéder. Elle indique
simplement que la salariée a cessé de se présenter à son poste de travail à la suite
de son arrêt de travail. Elle n'a plus fourni le moindre justificatif à son absence.
Elle ne peut pas davantage invoquer un manquement de l'entreprise puisque cette entreprise
ne lui doit aucun salaire. La société ajoute que la salariée ne peut même pas
prétendre à un défaut d'information de l'employeur. Elle a été informée de son mode
de rémunération lors de son embauche. Elle a encore été informée du caractère
régulier de son mode de rémunération lors de l'audience de conciliation préalable. La
société a même confirmé ses propos par courrier recommandé. Si la salariée n'a pas
daigné reprendre ses fonctions, il appartenait à la société d'en tirer les
conséquences et de procéder à son licenciement pour faute grave, sans préavis ni
indemnité.
Après avoir entendu les plaidoiries des deux parties, le Conseil de prud'hommes se met en
délibéré. Quelques semaines plus tard, il rend son jugement, un jugement
particulièrement attendu par les professionnels de notre branche d'activité. La
salariée est déboutée de l'intégralité de ses demandes.
Pourboires : le contrat de travailA l'occasion de l'embauche d'un salarié exclusivement
rémunéré aux pourboires remis entre ses mains par les clients, il est hautement
recommandé de rédiger un contrat de travail écrit décrivant ce mode de rémunération.
Votre rémunération se composera exclusivement des pourboires
directement perçus par vos soins auprès de la clientèle. Il est rappelé que la rédaction d'un contrat de travail est obligatoire depuis le 8 décembre 1997, date d'application de la convention collective nationale des hôtels, cafés, restaurants. (1) Indiquez ici le montant auquel le salarié doit être déclaré en fonction de sa qualification, conformément aux dispositions des arrêtés des 14 janvier 1975 et 10 février 1976. |
Le conseil admet le principe du salaire au pourboire
Deux enseignements essentiels peuvent être tirés de cette affaire. Tout
d'abord, le Conseil de prud'hommes confirme la légalité d'une rémunération du
personnel exclusivement aux pourboires. Attention cependant, pour confirmer cette pratique
très fréquente dans notre branche d'activité, le Conseil de prud'hommes prend soin de
faire référence au contrat de travail signé par la salariée et décrivant ce mode de
rémunération. Il rappelle notamment que la salariée était « exclusivement
rémunérée par les pourboires des clients conformément à ce qui est mentionné dans
son contrat de travail ». Il est permis de penser que l'employeur aurait rencontré
plus de difficultés en l'absence de contrat écrit.
D'autre part et autre enseignement à retenir, le Conseil de prud'hommes se prononce sur
la charge de la preuve concernant le respect du minimum garanti. En effet et comme
l'indiquait la société, la jurisprudence considérait auparavant qu'il appartenait au
salarié et à lui seul d'apporter la preuve que les pourboires remis par les clients ne
permettaient pas d'atteindre le minimum garanti. Le Conseil de prud'hommes vient nuancer
ici ce principe. Certes, il constate que la salariée « n'apporte pas d'éléments
susceptibles d'établir que le montant des pourboires était inférieur au SMIC ».
Mais il ajoute que la société « produit diverses attestations témoignant que la
salariée recevait des pourboires supérieurs au montant forfaitaire déclaré ». Si
le Conseil de prud'hommes ne remet pas directement en cause le principe, il se prononce
quand même en partageant la charge de la preuve entre l'employeur et le salarié.
Peut-être l'employeur aurait-il eu plus de difficultés pour obtenir gain de cause en
l'absence de témoignages probants ?
En conclusion, il est formellement conseillé à tous ceux qui veulent continuer de
pratiquer la rémunération aux pourboires de rédiger un contrat de travail décrivant ce
mode de rémunération et informant les parties des conséquences d'une insuffisance de
pourboires. Cela est important si l'on veut que se perpétue ce type de salaire qui, il
est vrai, continue de satisfaire le pus grand nombre.
Franck Trouet SNRLH
Pourboires et charges socialesLorsque le salarié reçoit chaque jour son salaire brut, qu'il
s'agisse des pourboires constituant sa seule rémunération ou même du traditionnel
pourcentage service, le salarié se doit de payer à son employeur ses charges salariales.
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Réponse ministérielleM. Bernard Roman expose à Mme le ministre de l'emploi et de la
Solidarité que, pour l'application de l'assiette forfaitaire servant de base de calcul
des cotisations sociales, les salariés des hôtels, cafés et restaurants sont répartis
selon leur qualification en trois classes. La première catégorie vise en particulier les
hommes et les femmes toutes mains, dans les établissements n'occupant pas plus de deux
salariés. Il lui demande de bien vouloir préciser la nature des travaux relevant
normalement de cet emploi et de lui préciser s'il inclut ou exclut les contacts
(habituels) avec la clientèle et l'encaissement des notes relatives aux prestations
servies.Réponse |
L'HÔTELLERIE n° 2584 Hebdo 22 Octobre 1998