Willy Dorr, à la tête de Bistro et Compagnie,
reste un indépendant dans l'âme. Il le dit et le répète, les cinq établissements de
l'enseigne sont et restent autonomes. C'est sans doute une des raisons pour lesquelles il
voit arriver la loi sur les 35 heures avec autant d'appréhension. "D'une façon
utopique, ça paraît idéal de ne travailler que 35 heures, mais ce n'est pas réalisable
au sein de petites structures, assure-t-il. Cela va représenter un tel coût
supplémentaire que je ne vois pas comment on va le gérer. Peut-être qu'on finira au
sein d'un groupe et qu'on perdra de notre entité. Voilà ce qui risque d'arriver à
vouloir tout standardiser."
Ce pessimisme, il le justifie en quelques chiffres. "Passer aux 35 heures, c'est
une utopie totale. Cela représente une réduction du temps de travail de 19 % en cuisine
et de 22 % en salle, soit 21 % en moyenne !" Une telle diminution des horaires
est difficilement compatible avec les contraintes de la restauration. "On
travaille quand les gens se détendent. On est toujours à contre-courant. Et pour
supporter les frais, on est obligé d'ouvrir de plus en plus. Tous mes établissements
sont ouverts sept jours sur sept pour permettre de faire des roulements, des
rotations."
Alors, si cette mesure devient réellement applicable aux CHR, que faire ? Si Willy Dorr
avoue n'avoir "pour l'instant pas vraiment évoqué le sujet avec ses
salariés", il envisage plutôt un recours accru au repos compensatoire. Mais la
solution est loin d'être idéale. "Il faudrait, à un moment donné, faire
rentrer quelqu'un qui ne fasse pas vraiment partie de l'entreprise. Mais on arrive à
proposer des prix raisonnables parce que notre structure n'est pas trop lourde. Si on est
obligés de mettre en place une structure trop lourde, on sera fragilisés."
Les promesses de réduction de charges sur les nouvelles embauches ne le rassurent pas
vraiment. En chef d'entreprise avisé, il sait qu'il faut compter à plus long terme. "On
nous propose une baisse de charges sur une période de temps, mais après on se retrouve
avec le bébé sur les bras." Sans compter qu'avec une faible part de l'effectif
au niveau du Smic, les charges de personnel sont d'autant plus lourdes. A cela s'ajoutent
les difficultés de recrutement.
"Créer de l'embauche, c'est bien ; mais encore faut-il trouver du personnel
qualifié, se désespère-t-il. On est en recrutement permanent, dans l'un ou
l'autre des établissements."
Qu'on ne s'étonne pas, dans ces conditions, s'il ne trouve "pas tellement
d'avantages à cette mesure"... Une chose est sûre, Bistro et Compagnie ne sera
pas de ceux qui passeront à 39 heures plus tôt que prévu, malgré les exonérations de
charges incitatives. "Nous n'allons pas devancer l'obligation parce que c'est la
vie de l'entreprise qui sera en péril. Il faudrait une réduction de charges
phénoménale pour compenser les coûts de la mesure."
Et c'est un léger sourire au coin des lèvres, que Willy Dorr résume sa pensée : "En
deux mots, la loi Aubry, je ne suis pas tellement pour !" On l'aura compris.
« Bistro et Compagnie ne sera pas de ceux qui réduiront le temps de travail plus
tôt que prévu, malgré les exonérations de charges incitatives. »
L'HÔTELLERIE n° 2587 Supplément Emploi 12 Novembre 1998