Pierre Blanc se sent doublement concerné par le
sujet. Au titre de président du groupe des frères Blanc, bien sûr, mais également à
celui de responsable syndical et président des restaurateurs du SNRLH. Cette seconde
position ne le pousse pas
à l'optimisme. "La réduction du temps de travail va donner un avantage aux gros
par rapport aux petits et entraînera donc la fermeture d'un grand nombre
d'établissements traditionnels."
Il évoque, à l'appui de sa démonstration, l'évolution du poids des charges de
personnel dans la restauration. "Il y a 30 ans, les marchandises représentaient
50 % des charges et les frais de personnel 25 %. Aujourd'hui, en faisant 43 heures, on a
presque 50 % de frais de personnel et 25 % de marchandises. Si je dois réduire le temps
de travail, je vais passer à 53 % de frais de personnel contre 22 % de frais de
marchandises !"
Pour les 18 établissements et les 1 300 salariés de son groupe, l'enjeu est quelque peu
différent. "Au niveau du groupe, je pense qu'à chaque fois qu'il y a des
modifications importantes, c'est une chance à saisir pour se remettre en cause. Il nous
faut retrouver des moyens d'augmenter la productivité, mais c'est beaucoup plus facile à
faire pour un groupe important que pour un restaurateur lambda."
Reste que Pierre Blanc n'est pas un fervent partisan de la RTT. Il déplore d'abord que
cette réforme soit évoquée quelques mois seulement après la signature de la convention
collective. "Je veux bien gagner une partie, mais encore faut-il qu'on ne me
change pas les règles en cours de jeu !" Mais il se plaint surtout de "l'augmentation
sensible du coût de la profession"
qui touche d'abord "la qualité et le service".
"On va aller de plus en plus vers le libre service", prévoit-il. Si le
client ne ressort donc pas gagnant de cette loi, les salariés du secteur non plus. "Des
études montrent qu'il est plus facile de travailler 50 heures dans le calme que 35 heures
à plein régime tout le temps. Psychologiquement, c'est une très grosse erreur."
Erreur d'autant plus fondamentale que les salariés, souvent payés au pourcentage, seront
également confrontés à une baisse de leur salaire.
"Il y a un côté malsain du système à dire que les gens doivent être
malheureux au travail, ajoute Pierre Blanc. Ce n'est pas forcément le cas. Ce
qu'ils voudraient souvent, c'est gagner plus d'argent."
Autre motif de colère : le caractère obligatoire de la mesure. "On est
aujourd'hui dans un carcan administratif qui nie toute liberté. Je trouve ça
scandaleux." Surtout que cette fois, la réforme est de taille. "Passer
de 43 heures à 35 heures, c'est comme de passer de 5 à 10 semaines de congés payés
d'un coup."
Alors, quelles compensations envisager pour l'entreprise ? En tout cas, certainement pas
un système d'aides à l'embauche, que Pierre Blanc rejette catégoriquement. "Vous
devez arriver par vous-même, parce que le jour où l'Etat vous coupe ces aides, il faut
que votre entreprise puisse vivre par elle-même." Des solutions, il n'en voit
qu'une.
"Il nous faut une réduction des coûts." En clair, "si on nous
donne une TVA à 5,5 %, on pourra passer à 35 heures." Voilà une proposition
susceptible de satisfaire aussi bien le professionnel que le responsable syndical ! *
« Passer de 43 heures à 35 heures, c'est comme de passer de 5 à 10 semaines de
congés payés d'un coup. »
L'HÔTELLERIE n° 2587 Supplément Emploi 12 Novembre 1998