"Les gens préfèrent toucher le RMI
plutôt que de travailler", déclarent les responsables de l'hôtel Madeloc
(Pyrénées Orientales). "Le problème de base, c'est que la plupart du temps, les
candidats manquent de motivation. Ils ne sont pas toujours très compétents",
ajoute le patron de l'Hôtel de Troyes. A l'image de ces deux témoignages, beaucoup de
professionnels de l'hôtellerie et de la restauration considèrent que recruter est devenu
un véritable casse-tête chinois. Le malaise semble d'ailleurs tellement profond que plus
de 48 % des entreprises interrogées par nos soins sur la question avouent rencontrer de
nombreuses difficultés en matière de recrutement. Un phénomène, qui se serait en outre
fortement aggravé au cours des derniers mois à l'occasion notamment de la Coupe du Monde
de football.
"Plusieurs de mes collègues ont souligné le manque de collaborateurs cet été,
en particulier pour des postes en cuisine", explique désabusée, Renée Ougier,
présidente de la Fédération nationale des Logis de France. Qu'on le veuille ou non en
effet, l'industrie hôtelière française est confrontée à une véritable pénurie de
personnel fiable et bien formé. Si les managers potentiels affluent avec l'élévation du
background des étudiants, les candidats aux postes de premier niveau manquent eux en
revanche sérieusement à l'appel. "On observe aujourd'hui un déficit global de
main d'uvre dans nos métiers", explique ainsi Alain Jacob, patron du
cabinet de recrutement AJ Conseil.
"Nés fatigués"
Chacun a bien entendu sa petite idée pour tenter d'expliquer le problème. Pour
commencer, la motivation des salariés et les contraintes horaires de ces professions. "Comment
voulez-vous attirer du personnel compétent avec les conditions de travail auxquelles sont
soumis les employés ? Prenez le cas de la coupure en restauration. Durant cette
dernière, les équipes ne peuvent bien souvent même pas regagner leur domicile",
constate Patrick Laborieux, directeur d'ITC Development, cabinet de recrutement
spécialisé dans ce secteur d'activité. "Exceptés ceux qui ont véritablement
ça dans le sang, les autres, même performants, préfèrent parfois travailler en
qualité de manutentionnaire dans la grande distribution. Avec de tels jobs, ils disent
non seulement travailler moins, mais être aussi mieux rétribués", surenchérit
Stéphane Coasne, directeur d'agences dans la région Ile-de-France pour le compte de la
société Adecco.
Autre élément avancé : des formations inadaptées aux besoins des professionnels. "Je
ne sais pas ce qu'on leur enseigne dans les écoles, mais les jeunes manquent de pêche et
d'esprit d'initiative. Ils sont nés fatigués et refusent désormais de faire leurs
"classes" ! Ils n'ont pourtant qu'une seule idée en tête : diriger et gagner
beaucoup d'argent", s'étonne un hôtelier, qui tient à garder l'anonymat. Il
semble en fait que la profession souffre d'un profond déficit d'image. "Les
métiers de service ne sont aujourd'hui guère valorisés. Bien au contraire ! D'ailleurs,
pour certains jeunes, nos métiers riment avec avilissement", indique Alain
Jacob.
S'il existe de "bons patrons" qui savent fidéliser, intéresser et motiver leur
personnel en le respectant et en étant attentif aux conditions de travail, il faut hélas
bien reconnaître que l'attitude de certains professionnels ne redore pas le blason de ces
corps de métier. D'autant que quelques-uns, c'est le moins que l'on puisse dire, ne
montrent pas toujours un grand respect à l'égard de leur personnel.
"Les barbouillés"
Les vociférations du chef passent encore. Mais, lorsque l'on entend en effet les patrons
d'entreprise clamer haut et fort "qu'ils ne souhaitent pas employer de
barbouillés ou bien encore de petits gris", il a là de quoi vraiment
s'interroger. Sans compter le mépris flagrant exprimé envers certaines fonctions. "J'aime
énormément mon métier. Mais, quand je vois aujourd'hui la manière dont sont traitées
les femmes de chambre, je me demande ce qu'il faut faire et où il faut aller pour être
considérée à sa juste valeur", nous écrit Laurette Marchiolli. "Comment
se fait-il d'ailleurs que l'on ne trouve pas de femmes de chambre tandis que le marché
regorge de femmes de ménage ?", ironise Patrick Laborieux.
Des comportements qui heureusement ne sont pas encore devenus des généralités. Car
maints hôteliers et restaurateurs s'organisent afin de séduire les bons candidats et
s'essaient à les fidéliser. Pour réussir dans cette difficile tâche, ils disposent de
différentes armes telles : le logement (avantage en nature non négligeable), le
paternalisme, les petits bonus... Beaucoup élargissent également leurs critères de
sélection en accordant davantage d'importance au savoir-être qu'au savoir-faire. Du
côté des grands groupes, les partenariats avec certaines écoles se multiplient et la
valorisation des filières (vente, accueil...) est dorénavant à l'ordre du jour. Autant
de démarches intéressantes qui risquent hélas de ne pas aboutir sans une réelle
amélioration des conditions de travail.
C.Cosson
« Certaines filières de formation devraient être revues et corrigées pour mieux répondre aux besoins du marché » , ironise Patrick Laborieux, d'ITC Development
« On observe aujourd'hui un déficit global de main-d'uvre dans nos métiers » , indique Alain Jacob, patron du cabinet de recrutement AJ Conseil
L'HÔTELLERIE n° 2587 Supplément Emploi 12 Novembre 1998