Véritable révélation des années 1980, la thalassothérapie promettait un avenir radieux. Or, le marché plutôt secoué de ces dernières années n'a, semble-t-il, pas présenté l'évolution escomptée en France. Il stagne. Les professionnels cherchent, aujourd'hui, à le relancer à l'aide de nouvelles démarches marketing et parviennent enfin à exporter leur savoir-faire.
En 1899, à Roscoff, le docteur Louis Bagot, convaincu des vertus du milieu marin (principalement le climat et l'eau de mer), fonde l'Institut Rockroum qui peut être considéré comme le premier centre de thalassothérapie moderne. Mais il faut attendre 1950 pour qu'apparaissent les grands centres axés sur la rééducation fonctionnelle et la rhumatologie, notamment, en milieu marin. Entre les années 1960, qui consacrent la véritable naissance de la thalassothérapie et les années 1990, le concept thalasso a fait un bond de géant. D'abord établissement à vocation curative, sorte d'hôpital marin, le centre de thalasso a peu à peu évolué vers un objectif de remise en forme, permettant ainsi un nouvel engouement auprès d'un public plus large.
Entre 1985 et 1993, plus d'une vingtaine de centres ont été créés. Presque autant que durant les trente années précédentes. « L'apparition des derniers centres a malheureusement déséquilibré le rapport entre l'offre et la demande », constate Serge Raulic, président des Thermes marins de Saint-Malo. Dans les années 1980, le nombre de curistes connaît une forte progression (entre 5 et 6% chaque année). Pourtant, le doublement de la capacité d'accueil n'a pu être suivi par le nombre de curistes, qui ne croît pas au même rythme. A partir de 1990, la progression de la demande chute à 2% sur les centres déjà bien installés et les nouvelles implantations. En fait, on se rend compte que la thalassothérapie concerne une clientèle très ciblée et donc très restreinte, qui se renouvelle mal, contrairement à ce qu'on avait cru. Les essais de popularisation, voire de banalisation de la thalasso, ont été rarement concluants. Le prix étant un des premiers freins (un séjour coûte en moyenne de 5.000 à 12.000 francs par personne, hébergement compris). Par ailleurs, la clientèle ne bénéficie que d'un remboursement symbolique par la Sécurité sociale. Le centre de thalassothérapie de Pornichet, géré par le groupe Yves Rocher avec son enseigne Daniel Jouvance, est un des seuls exemples de popularisation réussie. Il se commercialise presque exclusivement par VPC, jouant donc sur les réductions tarifaires et sur les cadeaux. Bénéficiant d'un taux d'occupation exceptionnel à l'année, il attire une clientèle qui majoritairement n'avait jamais mis les pieds dans une thalasso auparavant.
Les créations se font aussi désormais plus rares et sont de plus petite envergure. Selon la Fédération internationale de thalassothérapie, qui a réalisé une enquête auprès de 25 centres en France, 40% des instituts ont été créés entre 1960 et 1980, 40% également entre 1986 et 1990 et 20% depuis 1991. Le dernier en date, installé dans l'Ile-de-Ré, peut accueillir seulement 60 curistes maximum par jour, contre une moyenne de 200 à 250 dans les créations précédentes. « Un centre de thalassothérapie se rentabilise vraiment à partir d'une capacité moyenne de près de 180 curistes/jour », dit un expert. L'investissement très lourd explique aussi ce ralentissement dans les ouvertures. Un centre de thalassothérapie accueillant environ 250 curistes/jour, avec un hôtel relié comportant une centaine de chambres et avec une piscine couverte, coûte aujourd'hui entre 80 et 100 millions de francs ; de quoi refroidir les plus ambitieux investisseurs, sachant que les charges d'exploitation sont ensuite très pesantes également.
Aujourd'hui, les professionnels sont contraints de relever plusieurs défis : redynamiser la demande à partir des centres existants et s'adapter à cette nouvelle génération de curistes qui opte pour des séjours plus courts. Selon les sources de la Fédération internationale de thalassothérapie, la durée moyenne des séjours s'est encore raccourcie entre 1995 et 1997, en passant de 6,2 à 5,6 jours. Les réponses apportées le sont, par ailleurs, dans un cadre nouveau. Alors qu'il y a quelques années, la plupart des actions de développement et de marketing étaient individuelles, aujourd'hui on peut faire jouer la dynamique de groupe. Les centres l'ont compris. Il est difficile d'avancer seul. Ceux qui n'adhèrent pas à de grands groupes, tel Accor à travers Thalassa International, intègrent, par exemple, des groupements régionaux de promotions (Thalasso Bretagne, etc.). Cette nouvelle situation donne, en effet, plus d'ampleur aux démarches initiées.
Les instituts rivalisent d'ingéniosité et l'imagination est au rendez-vous dans les services marketing afin de dénicher de nouvelles idées ou de lancer des concepts novateurs. « Auparavant, le curiste se voyait dispenser un traitement personnalisé, indique Serge Raulic. Aujourd'hui, les spécialistes ont mis au point des forfaits correspondant à des pathologies récurrentes (fatigue et stress, jambes lourdes, maux de dos, cures antitabac, etc.). » Mieux ciblés et circonscrits à des besoins plus précis, ces nouveaux soins permettent de capter un public de plus en plus large, même s'il s'agit de niches de clientèles. Afin de correspondre à l'aspiration de la réduction des séjours, les instituts proposent également des cures « découvertes » le temps d'un week-end. La modulation des prix est une solution appréciée et possible pour les centres bénéficiant d'un hébergement (hôtel et/ou résidence hôtelière) intégré. Elle se traduit par l'offre d'une prestation ou d'un soin supplémentaire, des remises pour des clients fidèles, etc. Elle a néanmoins ses limites en dessous desquelles il y a un risque de perte de crédibilité et également de problèmes financiers. « La rentabilité d'un centre est faible en raison du coût élevé des investissements et du fonctionnement et de la faible marge dégagée (taux de TVA à 20,6%), explique le responsable du centre de Saint-Malo. Nous gagnons plus d'argent grâce aux marges dégagées dans l'hébergement.» D'après la Fédération de la thalassothérapie, en 1997, le chiffre d'affaires total des établissements de cure était de 343,8 millions de francs, soit une progression de 1,8% par rapport à 1996. Celui des hôtels, toutes gammes confondues, a été de 501,6 millions de francs, soit une progression de 4,5%.
80% des centres disposent d'un hébergement intégré. On constate par ailleurs que le volume des cures comprenant de l'hébergement intégré représente 56% du volume total. Les chaînes hôtelières sont très présentes sur les sites de thalasso. Les 11 centres du groupes Accor proposent un hébergement en hôtel Ibis, Novotel, Mercure ou Sofitel. Thalacap possède 4 petits centres complétés chacun d'un hébergement intégré. Thalassothérapie, hébergement, restauration et activités sont désormais pratiquement toujours associés pour offrir à la clientèle d'authentiques « vacances ». « Les centres de thalassothérapie sont devenus de véritables resorts qui réunissent à la fois des unités de soins, des lieux d'hébergement, hôtel ou résidence hôtelière, des animations sportives ou de détente », commente Serge Raulic. Les professionnels tentent, par ailleurs, de développer de plus en plus une philosophie de bien-être dans un milieu touristique. Les centres s'attachent, par exemple, les services d'animateurs et combinent des forfaits (visites à caractère culturel, sportif, ou de loisirs) avec les organismes de tourisme locaux.
On y vient en vacances mais dans le cadre d'une démarche bien précise de remise en forme. Or, cette tendance tend à se généraliser dans de nombreux sites touristiques ou lieux d'hébergement, amenant ainsi à considérer la thalasso comme un concept de loisir à part entière. Dans le cadre d'un nouveau projet intitulé « Gestion du capital santé », Accor a souhaité communiquer sur le thème de la santé. Le groupe hôtelier travaille avec Harvard University Health Services afin de développer un programme de prévention adapté au profil de ses différentes clientèles hôtelières, notamment à travers la mise à disposition dans les hôtels du groupe, en France et à l'étranger, des ressources, des équipements et des services qui participent à l'amélioration de la santé et du bien-être. L'objectif est de sensibiliser le grand public au problème de la santé en orientant les démarches sur la prévention. « Ce projet est en parfaite adéquation avec la vocation actuelle de la thalassothérapie qui attire de plus en plus une clientèle soucieuse de sa forme et de sa beauté », précise Martine Brion, responsable de la communication à Thalassa Biarritz.
Les professionnels ne sont donc pas à court d'idées. Et si les résultats sont à la hauteur de leur ingéniosité, la thalassothérapie pourrait s'enorgueillir de très beaux jours à venir. On constate, par ailleurs, une augmentation du nombre de curistes plus que rassurante, puisqu'à quantité égale de centres, leur nombre passe de 141.973 en 1996 à 147.416 en 1997, soit une progression de 3,8%. En outre, le concept s'exporte de mieux en mieux. « La thalassothérapie est un produit très français », affirme Martine Brion. Mais quoique la clientèle étrangère soit moindre dans les instituts français, l'offre hexagonale en matière de thalassothérapie est de qualité et fait référence dans le monde entier. 89,6% des curistes sont de nationalité française, 3,3% des curistes sont de nationalité suisse, 1,8% sont Belges. L'Allemagne, la Grande-Bretagne, l'Espagne et l'Italie représentent à peine 1,3% du marché. Néanmoins, on exporte de plus en plus la technologie française. « Notre empreinte est particulièrement remarquable sur le bassin méditerranéen et particulièrement en Tunisie où sont réunis 8 centres de marque hexagonale », confirme Serge Raulic. C'est sans doute là le signe que la thalasso est en route pour sa deuxième heure de gloire.
A. Vallée
La rentabilité des centres est faible en raison du coût élevé des
investissements.
Auparavant le curiste se voyait dispenser un traitement personnalisé.
Source : Fédération internationale de thalassothérapie - 1997
L'HÔTELLERIE n° 2591 Supplément Économie 10 Décembre 1998