Président du jury pour la France, Michel Guérard découvrait le Bocuse d'Or. Au soir de l'épreuve, il l'analysait pour L'Hôtellerie traçant, du même coup, le portrait du cuisinier de demain...
"Le Bocuse d'Or est, à ma connaissance, la première
manifestation mondiale mettant en scène, avec à-propos, l'art de l'interprétation
universelle culinaire et, en exergue, l'intérêt du métissage des cuisines du monde
entier, créatrices de sensations nouvelles. Car, est-il besoin de le rappeler, si le
goût est la ligne de force de la cuisine, son corollaire immédiat en est- et en sera
toujours le plaisir. C'est donc à travers ce challenge international que l'homme de l'art
culinaire vient s'exprimer ici tous les deux ans... et exprimer, à travers son propre
tempérament, les rites, les gestes, les coutumes, les modes d'expression ancestraux de
son pays, témoignant ainsi qu'il ne faut pas confondre mondialisation des goûts et
multiplicité des saveurs.
Quelle que soit sa nationalité, le dessein essentiel de sa démarche reste la recherche
de l'excellence, convergence de connaissances, de curiosité, d'humilité, de
générosité et de sacrifices. Pour l'atteindre, il a besoin comme le peintre, le
musicien, l'homme de littérature, de théâtre ou de cinéma, de se nourrir, au niveau
international, de la pensée et du talent des autres.
Ainsi, sans qu'il y paraisse, le Bocuse d'Or est en train de nous mijoter le cuisinier
moderne de demain. Celui qui, plutôt que de sombrer dans des habitudes de routine, de
confort et un optimisme de croisière de père tranquille, a décidé de se remettre en
cause. De se débarrasser et de se dépouiller de certains concepts et habitudes, pour se
retrouver dans une espèce d'état originel qui oblige à évaluer, sans concession, la
connaissance objective de ses points faibles, en même temps que la découverte et
l'estimation des points forts des autres...
Dans sa perpétuelle quête du mieux, le cuisinier de demain aura l'habilité de bousculer
sa pensée et son comportement. De même qu'il saura, en tenant grandes ouvertes ses
fenêtres sur les cuisines d'ailleurs, éviter l'immobilisme, être audacieux voire
insolemment créatif pour analyser et réagencer les jeux complexes et excitants des
commerces culinaires de demain, pour consommateurs en quête d'identité et de
nouveautés.
A l'orée du troisième millénaire nous sommes, à mon avis, proches d'une nouvelle
"époque Renaissance" dont il faudra savoir tirer parti. Le luxe se mesurera
moins en kilo or, qu'en kilo idées, en kilo charme, en kilo ingéniosité. Plus que
jamais, la stratégie commerciale va devenir un art militaire majeur qu'il faudra
pratiquer avec discernement et persuasion. Dans cette nouvelle foire aux idées, le
cuisinier de demain se devra d'être toujours un artisan aux mains d'or, la tête habitée
de neurones à géométrie variable et l'esprit d'un metteur en scène pour nouveaux
opéras... bouffes. Merci au Bocuse d'Or de commencer à armer les nouveaux cuisiniers
pour cette captivante aventure de reconquête.
Propos recuillis par J.-F. Mesplède
L'HÔTELLERIE n° 2599 Hebdo 4 Février 1999