La Meunerie vendue à Téteghem (59)
«L'affaire était viable, mais je n'avais plus
guère le cur de la mener. Après le décès de mon mari, j'avais voulu tenir la
dragée haute pour trois raisons. Pour moi-même, afin de garder une raison de vivre. Pour
notre personnel, et pour mes enfants. Mon fils a choisi une autre voie, ma fille est bien
dans la partie mais souhaite faire carrière différemment. Je tire un trait sur vingt-six
ans de notre vie. Mon entourage me dit que la décision est sage. C'est difficile. »
Six ans après la mort de son mari, Marie-France Delbé a vendu la meilleure table et
l'hôtel le plus confortable de l'extrême nord de la France à un couple de
professionnels décidés à tenter le grand banco de leur carrière. Jean-Pierre et
Marie-France Delbé avaient débuté à la Meunerie en mai 1972. Modestement, ils avaient
gravi les échelons. Jean-Pierre Delbé, 22 ans lors de son installation, n'avait pas fait
la tournée des grandes maisons avant de s'installer. La Meunerie était une maison de
campagne, un peu perdue à l'écart des grandes routes, trop loin de la mer pour attirer
directement les touristes, a priori trop loin de la ville, trop loin des industries, loin
de tout. Ce travailleur acharné a conçu seul sa propre cuisine, gagné un macaron et un
16 au Gault et Millau, était devenu l'une des deux ou trois premières références
régionales. Chef d'entreprise avisé, il s'était rendu compte que quelques chambres
permettraient aux clients venant de loin de prendre du repos le week-end, et aux grandes
entreprises de la région de loger leurs présidents et meilleurs clients discrètement et
à proximité. La Meunerie était ainsi devenue avec ses neuf chambres la seule mais très
appréciée halte quatre étoiles de la région dunkerquoise. Le nom attirait les
connaisseurs français et surtout étrangers, particulièrement belges et britanniques à
des heures de route. La maladie l'a emporté en quelques mois en août 1993. Avec l'appui
de l'excellent second Alain Gellé formé par Delbé, et de sa fille Laurence, la maison a
conservé son étoile jusqu'à présent, malgré la crise des années 93-96 en grande
restauration. La partie restaurant tardait
à retrouver le chiffre d'affaires qu'elle méritait, un rafraîchissement des lieux
était nécessaire... Sans héritiers intéressés, la première opportunité de vente fut
la bonne.
Banco
C'est un fameux pari que tentent David Caudron, chef propriétaire, et son épouse Fanny.
Il est bien difficile de prendre possession d'un pareil nom, encore nanti d'une étoile et
de son aura, en principe pour un an. Comment ne pas se donner pour objectif de la garder ?
Ils ont fait leurs preuves de professionnels gestionnaires au Fournil, en milieu rural
près de Fruges au cur du Pas-de-Calais. Partis d'un routier, ils ont su créer une
table bourgeoise fréquentée notamment par les entreprises de la région. « Beaucoup
de travail à budget donné, pour un laboratoire pharmaceutique par exemple »,
commente Fanny Caudron. «On nous appelle là-bas la petite Meunerie»,
sourit-elle. Tous deux connaissent la maison pour y avoir travaillé en 1985 et 86 avec
Jean-Pierre Delbé et son épouse. Ceci explique cela. Pour gagner leur banco, les Caudron
comptent ouvrir large leur éventail de prestations avec comme premier objectif de gagner
en clientèle. Ils ouvriront sept jours sur sept, dimanche soir excepté seulement. Outre
la carte, ils proposeront un menu d'appel les midis de semaine à 150 F environ, des menus
intermédiaires à 220-230 F et un menu dégustation à 380 F. Les atouts sont réels. La
région dunkerquoise et notamment son port présentent un potentiel économique important
et de vraies promesses de développement. L'autoroute A16 littorale, le tunnel transmanche
facilitent l'accès de tous côtés. Avec le Cornet d'Or à Bergues, à quelques
kilomètres de là, la Meunerie est le seul macaron dans cette région de France. La
concurrence est rude en Belgique avec d'excellentes adresses à moins d'une demi-heure. Le
coup est difficile, mais jouable.
A. Simoneau
L'HÔTELLERIE n° 2599 Hebdo 4 Février 1999