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Il conteste les clauses de son contrat de boissons

Bistrot en grève dans la banlieue lilloise

Depuis près de dix ans, Alain Bonnet, bistrotier au Mac Ewan's dans la banlieue sud de Lille, conteste les prix pratiqués par son fournisseur contractuel Soldib. Condamné en justice, il poursuit sa croisade par medias interposés.

Un grand calicot rouge domine la façade du Mac Ewan's, rue Ferrer à Faches Thumesnil, une grosse commune de la banlieue sud de Lille : « Bistrot en grève », est-il écrit, et précisé au-dessous : « service maximum assuré ». Sur la vitrine, des affichettes jaunes expliquent les raisons d'agir du patron. Alain Bonnet a décidé de faire connaître au grand public sa querelle avec Soldib, l'un des tous premiers entrepositaires de la région Nord-Pas-de-Calais et filiale depuis quelques années du groupe Interbrew. En deux mots, Alain Bonnet refuse de payer sa bière de un à trois francs le litre plus cher que le prix du marché local auprès de son distributeur contractuel. « Je ne suis pas opposé du tout au principe du contrat, c'est-à-dire l'obligation de fourniture dans les marques du prêteur. C'est indispensable pour débuter dans notre métier. Mais encore faudrait-il qu'un minimum d'équilibre commercial soit respecté. »
Au terme d'une longue procédure, il a perdu en appel, et a été condamné à payer le prix de ses quatre pompes, soit
16 167,70 F, une indemnité de rupture de contrat de 56 000 F, les dépens. Il n'a jamais accepté de payer un franc, ce qui rend son recours en cassation non recevable. Il est aussi en situation de rupture de contrat. Après visites d'huissier, après que ses pompes reprises par Soldib ont été remplacées par celles de son nouveau fournisseur actuel Duriez, la justice a fait saisir ses comptes bancaires.

Il n'abandonne pas
L'addition approche à présent les 120 000 F, intérêts compris. « Je ne paierai rien par principe. Ils se serviront, puisqu'ils sont les plus forts. Je veux obtenir la révision du procès et me battre pour la profession », commente Alain Bonnet. Un recours auprès du juge de l'exécution a échoué pour raison de forme, il fallait le saisir par voie d'huissier et non par lettre AR. La prochaine étape est une plainte déposée auprès de la direction régionale de la concurrence et des prix et de la répression des fraudes pour frais de facturation ajoutés « illégalement » selon lui, à la facture de Soldib. Ses affaires saines lui permettent d'être dépouillé de cette somme sans mettre la clé sous la porte, même si cela fait mal. Comme dit son épouse Christiane : « Il n'abandonne pas facilement. » C'est le moins que l'on puisse dire. Le Mac Ewan's (sans rapport avec la chaîne régionale du même nom précise encore notre patron) est un petit bistrot sympa propre et accueillant, voué à la bière bien servie. Les dames du quartier s'y sentent manifestement à l'aise. Le patron montre fièrement son trophée gagné à un concours de tirage. Il se concentre sur le liquide, l'accueil et l'animation. Pas de petite restauration, juste un croque de secours. En revanche, on peut apporter son manger, et un micro-ondes est à la disposition des clients. Le soir est actif, avec par exemple ses « soirées tartines », où on sort des partitions pour chanter ensemble avec l'accordéon du patron en accompagnement. Alain Bonnet était cadre commercial dans une multinationale américaine qui l'a licencié voici une douzaine d'années. Après trente mois de recherche, il pense à un café. Le hasard le met sur la piste du café de son grand-père. Les photos de l'établissement d'autrefois ornent aujourd'hui l'arrière salle. Mais à l'époque, le café est en ruine. Les banques n'aiment guère les chômeurs et le fonds, fermé depuis plusieurs mois, ne vaut rien. Comme il l'explique lui-même, c'est bien une bonne connaissance chez Soldib qui l'aide, lui permet d'obtenir un prêt bancaire et y ajoute un financement de 70 000 F de Jupiler moyennant contrat de fourniture. Le 14 février 1989, il signe en tournant douze feuilles à la va vite et en apposant des paraphes imprudents. Lorsque le contrat revient en mars, il lui trouve bien des défauts.

Dialogue de sourd
Mais il est trop tard. Alain Bonnet refroidi par le premier contact avec le syndicat, qu'il juge alors froid et administratif, n'a pas demandé de conseil. Au début, il réalise son contrat en volume. 146 hl en 1989, puis 183 hl, 168 hl, 155 hl, 158 hl, 141 hl en 1994. Puis c'est la chute qu'il attribue à la loi Evin et à un changement d'ambiance générale. Généralement, selon divers témoignages, cette chute comprise des distributeurs s'est traduite non par des pénalités, mais par un allongement de deux ans de la durée du contrat. Magnanime, à condition de marcher droit, et d'accepter le principe de l'exclusivité à n'importe quel prix. Mais Alain Bonnet ne marche pas droit.
A l'occasion d'une grève chez Soldib en 1989, il compare les prix de son fournisseur avec ceux de Métro ou d'autres dépositaires, et constate des différences importantes. Il décide alors de remplir son contrat de 140 hl auprès de Soldib, et de s'approvisionner ailleurs pour le solde. Il demande les tarifs à son fournisseur, qui ne les lui remet pas. Et en 1992* il passe progressivement vers d'autres fournisseurs, parce qu'il n'admet pas « d'être traité non pas comme un client mais comme un humble redevable ». Les choses se gâtent en 1993, les courriers deviennent menaçants quand Soldib apprend que son client et surtout obligé n'applique pas les règles d'exclusivité. C'est un dialogue de sourd « veuillez me remettre vos conditions » d'un côté, et « appliquez le contrat » de l'autre. A une lettre de mise en demeure du 2 février 1993, Alain Bonnet répond comme un commerçant qu'il est. Il constate par lettre du 3 mars 1993 « que le fût de Jupiler est à 7,60 F le litre chez Soldib, et à 5,60 F chez Métro ». De mises en demeure en sommations, d'huissier, l'affaire va au tribunal de commerce où Alain Bonnet se défend fort mal par lui-même, et en cour d'appel, où son avocat défaillant est remplacé par un acteur semble-t-il muet. La cour d'appel relève bien un manquement au contrat d'exclusivité. A noter parmi les attendus qu'à l'objection d'indétermination du prix, la cour répond qu'au contrat « se trouvait annexée une liste des prix en vigueur à la signature de la convention, laquelle leur (N.D.L.R. aux époux Bonnet) réservait également de contester toute variation de prix ainsi que le recours à une procédure d'arbitrage ».

Elever le débat
Parallèlement, Alain Bonnet essaye d'élever le débat, saisit le président de la République, les ministres successivement compétents, tous les députés du Nord, sans rencontrer beaucoup d'écho sinon des réponses très prudentes.
La DRCPRF a constitué un dossier. Il est trop tôt pour savoir s'il y sera donné suite. A noter que ce jugement et l'action médiatique d'Alain Bonnet interviennent en pleine réflexion de Bruxelles sur le droit voire l'existence des contrats d'obligation, réflexion que contestent fortement les grands brasseurs européens directement visés, mais aussi les syndicats européens des CHR dans la mesure où ces contrats sont actuellement le seul moyen de démarrer une affaire sans fonds propres. Hotrec à Bruxelles s'est prononcée clairement pour le statu quo. Les seuls terrains sur lesquels il est possible encore de tenter une résistance sont ceux de la clause abusive, et de l'information préalable des candidats à l'obligation. Mais le futur obligé en mal d'argent ou le déjà obligé sont-ils en mesure de contester quoi que ce soit ? Un différentiel de prix abusif par rapport au marché dans le cadre d'un contrat d'obligation peut-il être comparé à un taux d'emprunt usuraire ? Le jugement n'en fait aucune mention. La baisse des débits aux pompes depuis 1994, la concentration de la distribution en intégration verticale avec l'industrie n'ont fait que durcir l'attitude des brasseurs et la nature du contrat. Ce « bistrot en grève » veut changer les choses pour tous. Sans doute y a-t-il à faire, mais si l'on veut éviter que l'Union européenne ne légifère brutalement, les professions doivent s'asseoir rapidement autour de la table des négociations et déterminer des règles de bonne conduite. Or rien n'est plus difficile que de partager une marge.
A. Simoneau

* La durée d'un contrat est de cinq ans. En 1992, Alain Bonnet se trouve donc en cours de contrat.

Pour et contre

Du bon usage des contrats d'exclusivité

Sujet longtemps tabou, à la fois décriés et nécessaires, les contrats d'exclusivité s'inscrivent pourtant dans la pure logique commerciale. Le cas de figure le plus courant porte sur un besoin de trésorerie dans le cadre, par exemple, d'une acquisition de matériel ou de travaux d'aménagement. Le cafetier n'a pas les fonds suffisants et les banques refusent de suivre. Reste alors le principal fournisseur. Celui-ci débloque au revendeur soit une somme d'argent, soit d'autres avantages économiques en échange de quoi le cafetier va s'engager à acheter en exclusivité chez ce fournisseur la liste des produits indiqués dans le contrat, dans des conditions qui seront également précisées.
Nous sommes dans un contexte de droit privé. Les termes d'un contrat signé bilatéralement font foi en cas de litige. Normalement, impossible, par exemple, de remettre en cause le montant des pénalités si les quotas de vente déterminés par le fournisseur ne sont pas atteints par le revendeur. Le principe de base de ce type de contrat étant, côté brasseur (ou torréfacteur) et distributeur, de s'assurer un volume «x» de vente sur une certaine durée. Si les quantités arrêtées ne sont pas obtenues, le revendeur, qui s'est engagé à passer ce volume minimum, sera soumis à pénalités. Dans la pratique, les clauses de pénalités sont rarement mises à exécution, le fournisseur préférant généralement proroger la durée du contrat de deux ou trois ans. Sachant que les contrats d'exclusivité courent actuellement sur 5 à 10 ans et que tout désaccord sur les conditions tarifaires sera tranché par les tribunaux de commerce (ce qui n'est pas toujours rassurant de nos jours).

Le bon choix
Il existe aujourd'hui deux grands types de contrats d'exclusivité : à fonds perdus ou avec promesse pour subvention. Le premier est fiscalement moins intéressant pour le cafetier qui se verra imposé sur la somme accordée par le fournisseur. Au regard de l'administration, il ne s'agit pas de prêt... La deuxième possibilité, qui implique des remboursements réguliers de la part du cafetier, permet d'éviter une imposition relativement injuste.
La colère d'Alain Bonnet porte principalement sur les différences de prix affichés entre entrepositaires et autres distributeurs. Le cafetier s'estime ici lésé. A produit identique, les tarifs chez Métro sont effectivement inférieurs. Mais il ne faut pas perdre de vue que ce type de distributeur n'assure pas, contrairement à l'entrepositaire-grossiste, l'installation des pompes à bière, n'inclut pas dans le prix de vente du fût les contrats de sanitation et n'assure pas non plus la livraison des produits. Tout cela a un coût, auquel vous ajoutez bien sûr l'apport de trésorerie ou de matériel dégagé lors de l'établissement du contrat d'exclusivité.

Un contrat de fourniture exclusive, pour être valable, comporte une détermination très précise des prix. L'entrepositaire-grossiste ne peut en aucun cas augmenter ses tarifs dans le cadre d'une exclusivité. En revanche, ses tarifs sont négociables à la baisse lorsqu'un limonadier se trouve libre d'engagement. Deux poids, deux mesures certes. C'est au cafetier, en amont de l'établissement d'un éventuel contrat, de peser le pour et le contre. Difficile de faire le bon choix quand on est pris à la gorge ou qu'un commercial aguerri vous brosse un tableau idyllique. Il faut toutefois avoir en tête que les fournisseurs ne sont pas des mécènes. Signer un contrat d'exclusivité peut être valable pour un cafetier mais c'est au cas par cas qu'il faut avancer. Alain Bonnet avait-il suffisamment de recul, lorsqu'il s'est lié avec la Soldib, pour comprendre à quoi il s'engageait ? Tout le problème est là.
« Plûtot que de revoir le principe des contrats, souligne un cafetier parisien interrogé sur le principe de l'exclusivité, ne serait-il pas plus judicieux de se pencher sur les marges prises par les entrepositaires ? » Sachant qu'un professionnel de la limonade ne se fournira jamais en direct en France auprès des brasseurs. Question de déontologie.
S. Soubes

* Certains évoquent la légitimité de ce type de contrat sur le terrain européen. Sachez que la Cour européenne ne remet pas en cause actuellement le principe de ces contrats, mais devrait vraisemblablement mettre des garde-fous sur la durée maximum des contrats.


L'HÔTELLERIE n° 2600 Hebdo 11 Février 1999

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