Après une vie de travail
On ne connaît malheureusement que trop bien les
conséquences désastreuses que peuvent entraîner des erreurs administratives, laissant
derrière elles des hommes et des femmes désemparés. Voici un exemple de plus qui se
déroule cette fois-ci en Vendée. Sylviane et Henri Pajeot font face à l'absurde, à
l'incompétence, à la déresponsabilisation... "Je suis fatiguée de cette
histoire, témoigne Sylviane Pajeot. Depuis cinq ans, nous marchons sur la tête mais,
quittes à en crever, nous irons jusqu'au bout." Aujourd'hui, ce couple d'anciens
hôteliers à la retraite vit "de façon bien inférieure aux Rmistes".
"Ce sont nos enfants qui nous font vivre". Les Pajeot, après
trente années de travail dans leur établissement de Challans, vivent avec 5 000 francs
par mois. Ils versent chaque année 27 000 F de charges foncières et le tribunal
d'instance des Sables-d'Olonne les a condamnés à verser un million de francs. A
l'origine de ce désastre ? Deux erreurs administratives.
Le 1er mai 1970, les Pajeot achètent un fonds de commerce à Challans. Ce dernier
comprend un bar-tabac-journaux et un hôtel de 8 chambres à l'étage. Ils exploitent
l'affaire en l'état pendant deux ans et rachètent pour 3 MF en viager les murs et le
terrain en mars 1972. Ils construisent alors un self-service, Le Roc, de 150 à 160
couverts. En 1976, l'affaire comprend un hôtel, cette fois de 21 chambres, un
rez-de-chaussée bar-tabac et une salle self-service attenante. En 1978, les époux, dont
l'affaire tourne rondement, investissent dans un restaurant gastronomique, Le Dauphin. Les
affaires appartiennent au même ensemble, mais ne communiquent pas.
Permis accordés
Au fil des aménagements, les autorisations administratives se succèdent sans problème.
Un permis de construire est délivré le 9 mars 1972 pour la création du self-service
(avec certificat de conformité des travaux de la DDE). Un second permis est accordé en
1975 pour la refonte de l'hôtel (ouvert en 1976). Une visite de sécurité intervenant en
1977 fait apparaître certains vices (isolation par rapport à la citerne de gaz, fil
électrique passant devant un balcon...). Les travaux sont alors réalisés et une seconde
visite de sécurité délivre un certificat de conformité en décembre 1977. L'hôtel est
classé 2** NN en 4e et 5e catégorie. De 1977 à 1988, aucune visite de sécurité n'est
enregistrée, si ce n'est en 1978 pour Le Dauphin, sans conséquence.
En 1987, suite à un grave problème de santé impliquant Henri, le couple cède le fonds
à M. et Mme Van Lul. Les Pajeot restent propriétaires des murs. En octobre 1988 - "une
date noire dans notre vie", lâche Sylviane Pajeot - une visite de sécurité
intervient. Le rapport mentionne que "la salle de restauration du self a été
créée lors d'une demande de modification de façade et non avec un permis de construire".
Grossière erreur de l'administration, que tout le monde reconnaît aujourd'hui. Dans une
lettre adressée aux Pajeot, le maire de Challans (qui ne l'était pas à l'époque des
faits), mentionne : "C'est donc à tort qu'il est indiqué dans le rapport du 10
octobre 1988 (...) que la salle de restauration a été créée lors d'une demande de
restauration de façade, qui elle date de 1983." Le médiateur de la République,
sollicité en décembre 1997, a même noté "un éventuel dysfonctionnement de
service public..." Mais rien n'y fait et cette erreur déclenche un effet boule
de neige incontrôlable et dévastateur !
Changement de catégorie
D'autant que le même rapport d'octobre 1988 classe l'établissement en catégorie 3, ce
changement imposant une sécurité renforcée qui entraîne de coûteux travaux. "Il
était convenu que nous réalisions les travaux extérieurs et les Van Lul, l'intérieur.
Mais à l'époque, nous faisions ces travaux sans savoir qu'ils correspondaient à un
changement de catégorie !", souligne Sylviane Pajeot. Les Van Lul n'exécutent
aucuns travaux et revendent même le fonds à la SNC Bigan-Colson en 1990. Ils leur
versent une somme de 30 000 F correspondant aux travaux à effectuer. La SNC Bigan-Colson
achète donc en parfaite connaissance de cause. Cette clause est notée noir sur blanc
dans l'acte de cession. En 1993, l'affaire est mise en redressement judiciaire et fermée
en 1994 sur arrêté de la mairie. Les Bigan-Colson (imités par les Van Lul et d'autres
repreneurs apparus par la suite) se retournent alors contre les Pajeot... pour avoir
masqué des éléments lors de la vente ! Premier adjoint à la mairie de Challans chargé
de l'urbanisme, Jean Voyeau souligne que "les Bigan-Colson étaient loin d'avoir la
qualité et la rigueur des Pajeot. Mais après l'arrêté de fermeture, ils ont beau jeu
de dire : Comment voulez-vous que nous puissions exploiter s'il y a une fermeture
administrative pour travaux non effectués ?"
Cette fermeture de l'hôtel décidée en 1994 fait suite à une... seconde erreur
administrative. Se basant sur le premier rapport de la commission de sécurité de 1977,
un lieutenant en charge de la prévention note qu'"aucune solution n'a été
apportée aux non conformités constatées depuis bientôt 18 ans". Voilà donc
un agent public qui délivre des conclusions sans prendre connaissance des rapports
postérieurs. On se souvient en effet que ces travaux avaient été réalisés par les
Pajeot et avaient fait l'objet de la délivrance d'un certificat de conformité en
décembre 1977.
Fausse compassion
Aujourd'hui, tout le monde prend conscience des manquements de l'administration. Mais
comme le dit Jean Voyeau : "Je ne comprends pas. Les Pajeot ont toujours perdu
devant les tribunaux. Peut-être ont-ils eu de mauvais avocats ?" A la mairie de
Challans et à la préfecture, on reconnaît leur bonne foi... Mais cette reconnaissance
ressemble à une mauvaise compassion. Car les deux erreurs ont en effet été commises
respectivement par des agents dépendant de la mairie (en 1988) et de la préfecture (en
1993). Ces deux administrations ne peuvent-elles pas admettre leur responsabilité et
proposer un dédommagement ? Chacun se renvoie la balle. Selon Jean Voyeau : "Ce
n'est pas une responsabilité unique de la ville. La responsabilité est conjointe."
Sylviane et Henri Pajeot ne le savent que trop bien. Mais aujourd'hui, ce sont eux qui
sont au bord du gouffre. M. Voyeau reconnaît qu'à Challans "nous sommes tristes
de cette histoire, on se connaît tous dans cette ville". C'est gentil, mais il
faudrait peut-être cesser de se flageller faussement et passer aux actes.
O. Marie
Sylviane et Henri Pajeot font face à l'absurde, à l'incompétence, à la
déresponsabilisation.
L'HÔTELLERIE n° 2601 Hebdo 18 Février 1999