Baux commerciaux
par E. Duroux Avocat au barreau de Paris
Les circonstances peuvent conduire un propriétaire à ne pas vouloir louer son local commercial pour une durée trop longue. Il a le choix entre trois types de contrats qui lui permettent d'échapper au régime très protecteur des baux commerciaux, et donc d'une durée minimum obligatoire de 9 ans. Un locataire peut lui aussi de son côté être intéressé par un contrat de courte durée qui ne l'engage pas trop longtemps. Mais pour être valable, ces baux doivent respecter des conditions imposées soit par la loi ou la jurisprudence. Le non-respect des règles a pour sanction de soumettre le bail au régime du droit commun des baux commerciaux.
Les baux de courte durée |
Il s'agit de baux conclus pour une durée maximum de deux ans. L'article 3-2 du décret de 1953 prévoit ce type de contrat. En effet, cet article précise : "Les parties peuvent, lors de l'entrée dans les lieux du preneur, déroger aux dispositions du présent décret à la condition que le bail soit conclu pour une durée égale au plus à deux ans. Si à l'expiration de cette durée, le preneur reste et est laissé en possession, il s'opère un nouveau bail dont l'effet est réglé par le présent décret. Il en est de même en cas de renouvellement exprès du bail ou de conclusion, entre les mêmes parties, d'un nouveau bail pour le même local."
Pour échapper au statut protecteur des baux commerciaux, le bail de courte durée doit
respecter les conditions suivantes :
w ce bail doit être conclu par écrit ;
w la durée prévue dans le bail ne peut être supérieure
à 2 ans ;
w le bail doit être conclu lors de l'entrée dans les lieux
du locataire ;
w la volonté de déroger au régime des baux commerciaux
doit être claire et non équivoque. Il est recommandé de le mentionner expressément
dans le contrat.
Dans le cas d'un bail de courte durée, il n'est pas nécessaire d'avoir de motif
spécifique pour le conclure. Il faut simplement la volonté des parties de placer le
contrat de bail en dehors des dispositions du décret.
L'usage s'est instauré dans la pratique, mais sans aucun fondement légal, de signer des
baux de 23 mois, souvent intitulés "bail précaire", d'où le risque de
confusion avec les conventions d'occupation précaires qui répondent à d'autres
critères de validité.
Aux conditions posées par l'article 3-2 du décret, la jurisprudence a dégagé les
principes suivants.
Le renouvellement ou la prorogation d'un bail de courte durée, même si la durée du bail
renouvelé ou prorogé n'excède pas 2 ans, entraîne sa transformation en bail commercial
3/6/9 soumis au statut. Ce qui veut dire que la dérogation au statut n'est possible que
pour le premier contrat conclu. A partir du moment où le bail est renouvelé, il est
soumis au décret de 1953, et ce même si la durée cumulée des deux contrats est
inférieure à 2 ans.
A l'expiration du contrat, le locataire doit quitter les lieux.
Le bailleur doit manifester son intention de mettre fin au bail à son échéance avant
son expiration en notifiant un congé par acte d'huissier ou lettre recommandée.
Si le locataire reste dans les lieux, le bailleur doit manifester de façon non équivoque
ses intentions (sommation de quitter les lieux, procédure d'expulsion, refus de percevoir
les loyers).
Lorsqu'il est resté dans les lieux à l'expiration du bail dérogatoire, le locataire
peut demander le bénéfice du statut des baux commerciaux, même s'il n'est pas
immatriculé pour le local en question. Le locataire aura donc un bail de 9 ans. Par
contre, si ensuite le locataire veut obtenir le renouvellement du bail à la fin des 9
ans, à ce moment-là il devra être immatriculé pour pouvoir bénéficier du droit au
renouvellement de son bail.
Le locataire renonce au statut
Il est possible pour le locataire et le propriétaire de conclure un nouveau bail de
courte durée qui ne soit pas soumis au statut des baux commerciaux, si le locataire
renonce expressément à ce statut protecteur. Cependant, il faut faire très attention,
car en pratique cette situation peut être qualifiée de fraude à la loi, et le locataire
pourra alors demander à bénéficier d'un bail commercial de 9 ans. Pour que le nouveau
bail reste dérogatoire, il faut qu'il remplisse les conditions suivantes :
w le nouveau bail ne peut être conclu que postérieurement
à l'expiration du premier ;
w le locataire doit clairement renoncer au bénéfice du
statut des baux commerciaux après l'échéance du premier bail dérogatoire.
Dans cette hypothèse, il est conseillé d'insérer une clause du style : "Le
locataire a parfaite connaissance que la conclusion de ce nouveau bail lui donne droit au
statut des baux commerciaux, mais qu'il y renonce expréssement. Par conséquent ce bail
est exclu du statut sur les baux commerciaux."
En outre, cette renonciation au bénéfice du statut des baux commerciaux doit être
postérieure. En effet, la renonciation faite antérieurement à l'échéance
contractuelle du bail dérogatoire d'origine est nulle, le locataire n'ayant aucun droit
acquis.
La renonciation au statut n'a pas été acceptée
Dans un arrêt rendu le 4 septembre 1997 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence les faits
étaient les suivants :
Le bailleur a consenti à la société locataire un bail précaire d'une durée de 23 mois
commençant le 15 mai 1988 et finissant le 15 avril 1990.
Avant l'expiration de ce bail, les parties signent le 21 mars 1990 devant notaire un
nouveau bail précaire de 23 mois avec effet rétroactif du 15 mai 1989 et se terminant le
15 avril 1991.
Dans ce deuxième bail figure la clause suivante : "Le preneur déclare
expressément qu'il a parfaitement connaissance des dispositions de l'article 3-2 susvisé
et qu'il a la volonté commune avec le bailleur de déroger au statut de la propriété
commerciale résultant du décret de 1953..."
La cour d'appel motive ensuite sa décision comme suit :
En droit, la renonciation du locataire au bénéfice du statut doit répondre à une
double condition :
1. Elle doit être expresse ou résulter d'actes manifestant sans équivoque
l'intention de renoncer.
2. Elle doit être postérieure à l'expiration du bail de courte durée initiale
sans quoi elle est inopérante car, ne portant pas sur un droit né et acquis.
Or, dans cette affaire, le bail dérogatoire initial expirait le 15 avril 1990, et c'est
le 21 mars 1990, c'est-à-dire avant l'échéance contractuelle et pendant la durée de ce
bail, qu'est intervenue la renonciation. A la date du 21 mars 1990, le locataire n'avait
donc aucun droit acquis et la renonciation anticipée au statut est par conséquent nulle,
peu importe l'effet rétroactif du 2e contrat qui n'est destiné qu'à frauder la loi, et
notamment l'article 3-2 du décret de 1953, ce qui ne permet pas sérieusement de soutenir
que la renonciation alléguée est non équivoque.
En conséquence, le locataire peut légitimement prétendre bénéficier d'un bail
commercial pour la période allant du 15 avril 1990 au 15 avril 1999.
Le juge peut également considérer dans certaines circonstances que le renouvellement
successif de baux de courte durée est nul comme constituant une fraude à la loi.
C'est ce qu'a considéré la Cour de cassation dans une décision du 9 février 1994
relevant "que la succession de baux dérogatoires de courte durée consentis en
alternance à Mme X et à des tiers, agissant comme prête-noms, dont Mme Y, alors que la
locataire restait dans les lieux depuis 1979, payait les loyers, les impôts,
l'électricité, l'assurance, était inscrite au répertoire des métiers puis au registre
du commerce, n'avait pour but que de faire échec à l'application du statut des baux
commerciaux dont Mme X pouvait bénéficier et révélait que cette fraude interdisait aux
bailleresses de prétendre que Mme X avait valablement renoncé à un droit acquis".
Le bénéfice de l'application du statut des baux commerciaux est une arme à double
tranchant et peut également être invoqué par le bailleur (si le locataire est resté
dans les lieux à l'expiration du bail de 2 ans), pour empêcher le locataire de quitter
les lieux avant l'expiration d'une période triennale ou à tout le moins d'obtenir le
règlement des loyers jusqu'à l'expiration de cette période.
C'est ce que la jurisprudence a affirmé dans plusieurs décisions et notamment la cour
d'appel de Paris dans un arrêt du 4 juillet 1995.
Les conventions d'occupation précaire |
Ce contrat s'est développé pour les besoins de la pratique et a été entériné par
la jurisprudence.
Le critère essentiel de cette convention est sa nature précaire et la possibilité de la
révoquer à tout moment. Ce caractère précaire dépend le plus généralement d'un
événement extérieur et indépendant de la volonté des parties.
Une convention d'occupation précaire pourra ainsi être notamment conclue pour des locaux
situés dans un immeuble devant prochainement être démoli, reconstruit, transformé ou
exproprié.
C'est le cas également des conventions d'occupation portant sur des locaux ou des
terrains faisant partie du domaine public.
Les autres critères permettant selon la jurisprudence de caractériser une convention
d'occupation précaire échappant au statut du décret du 30 septembre 1953 sont :
w un loyer ou une redevance inférieur au loyer qui serait
normalement payé pour des locaux équivalents ;
w l'absence ou la modicité du dépôt de garantie versé ;
w le fait que les lieux sont occupés pour une durée
limitée à titre de simple dépannage provisoire.
Une convention, même si elle dure plusieurs années, est susceptible de demeurer une
convention d'occupation précaire, non soumise au décret du 30 septembre 1953 et ce, tant
que subsiste le motif de précarité.
Le critère de précarité
Dans un arrêt du 25 avril 1990, la Cour de cassation retient la qualification de
convention d'occupation précaire en relevant que "l'autorisation d'installation
moyennant un prix modique concernait un emplacement distinct de celui pour lequel un
permis de construire avait été obtenu et que les parties avaient conscience du
caractère aléatoire de l'occupation qui devait prendre fin en cas d'édification d'une
construction définitive...".
Dans une autre décision rendue le 21 mars 1990, la Cour de cassation retient encore la
qualification de convention d'occupation précaire pour les motifs suivants : "Attendu
qu'après avoir, procédant à la recherche de la commune intention des parties, retenu
que le bailleur, envisageant la démolition de son immeuble à brève échéance, n'avait
consenti qu'à une remise de jouissance des locaux pour une période limitée à 21 mois,
renouvelée, mais avec faculté de résiliation à tout moment, les locataires n'avaient
pu ignorer la fragilité de leur installation dans l'immeuble de leur bailleur et espérer
y créer un fonds de commerce."
Dans un arrêt du 3 juin 1992, la Cour de cassation retient : "En raison de la
surface et de l'emplacement exceptionnel du local, un bail n'aurait pu être conclu sans
le versement d'un pas-de-porte d'un montant très élevé. N'étant pas assuré de la
rentabilité de cet investissement, le gérant de la société concernée, qui n'était
pas certain du succès de son installation sur une des plus belles artères de la ville,
avait préféré la formule de l'occupation précaire, les parties ayant manifesté leur
ferme intention de ne pas se lier dans les termes du décret du 30 septembre 1953, en
précisant dans leurs conventions que l'autorisation d'occuper les lieux était donnée à
la société à titre précaire et révocable, moyennant une redevance forfaitaire."
Dans une décision rendue le 31 mai 1991 par la cour d'appel de Paris, les faits étaient
les suivants : quatre conventions précaires successives de 23 mois chacune avaient été
consenties par le bailleur, à une société mère puis à trois de ses filiales.
Les premiers juges avaient estimé que la société mère locataire avait acquis le
bénéfice d'un bail de 9 ans soumis au décret du 30 novembre 1953.
La cour d'appel de Paris infirme cette décision en retenant que le loyer de ces
conventions était à un montant très bas, s'expliquant par le désir du bailleur de
reprendre la disposition des locaux dans un court délai, dès que s'ouvrira pour lui
l'opportunité de continuer la construction d'un garage, actuellement inachevé, voire de
le vendre dans son état actuel.
A l'inverse, dans un arrêt du 12 juin 1996, la Cour de cassation a annulé et requalifié
une convention d'occupation précaire qui avait été conclue pour une durée de 15 mois
entre le propriétaire des murs, qui était en même temps le vendeur du fonds de
commerce, et l'acquéreur du fonds de commerce.
Le bailleur, vendeur du fonds de commerce faisait valoir qu'une promesse de vente des murs
avait parallèlement été signée ce qui justifiait la conclusion d'une convention
d'occupation précaire.
Cette nullité est motivée par les dispositions de l'article 16 du décret qui prévoit
que "le propriétaire... qui, en même temps qu'il est le bailleur des lieux est
le vendeur du fonds de commerce qui y est exploité et qui a reçu le prix intégral, ne
peut refuser le renouvellement qu'à la charge de payer l'indemnité d'éviction...".
Les locations saisonnières |
Il s'agit essentiellement des locations consenties pendant les périodes de vacances
estivales et hivernales dans des localités à vocation touristique. La location
saisonnière se caractérise principalement par la faculté pour le propriétaire de
reprendre les locaux entre deux saisons.
Ces locations sont exclues du statut des baux commerciaux. Le dernier alinéa de l'article
3-2 du décret de 1953 précise que le statut ne leur est pas applicable même en cas de
tacite reconduction, de renouvellement amiable ou de conclusion d'un nouveau bail.
Ainsi, une location saisonnière pourra faire l'objet de renouvellement successif de
saison en saison entre le bailleur et le preneur sans que le locataire puisse bénéficier
du statut des baux commerciaux.
Toutefois, il convient de faire la distinction entre une location saisonnière et une
exploitation saisonnière.
La location purement saisonnière sera consentie par exemple de mai à septembre pour une
activité de location de planches à voile ou de bicyclettes dans une station de
plaisance. Le locataire ne payant un loyer au propriétaire que pendant cette période,
débarrassant les lieux et restituant les clefs au propriétaire en fin de saison.
A l'inverse, une exploitation saisonnière pourra s'exercer dans le cadre d'un bail
commercial classique si le locataire règle le loyer et garde la jouissance des lieux tout
au long de l'année.
Entre ces deux cas de figures, une location prétendument saisonnière pourra être
requalifiée par le juge de bail commercial soumis au statut en fonction de
l'appréciation des éléments de fait propre à chaque affaire.
Ainsi, ce pourra notamment être le cas lorsque le locataire soi-disant saisonnier
conserve du matériel ou des marchandises entreposés dans les lieux tout au long de
l'année et qu'il garde l'accès des locaux à discrétion.
A titre d'exemple, dans une décision du 15 janvier 1992, la Cour de cassation a
considéré qu'une location qualifiée de saisonnière était en fait un bail soumis au
statut dans la mesure où le locataire conservait les clés des locaux, y entreposait son
matériel, réglait les charges locatives, l'abonnement de téléphone et d'électricité
pour toute l'année.
Ne confondez pas ces trois contratsBail de courte durée Convention d'occupation précaire Locations saisonnières Attention : le non-respect des caractéristiques d'un de ces contrats se traduit par la requalification en bail commercial bénéficiant du statut protecteur des baux commerciaux. |
L'HÔTELLERIE n° 2604 Hebdo 11 Mars 1999