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Hôtellerie l Un resort global

L'hôtellerie thématique a fait son lit à Las Vegas

Alors que Las Vegas a perdu son exclusivité de seule destination de jeux d'argent aux Etats-Unis, la ville a réagi en jouant à fond la thématisation de ses hôtels-casinos, pour continuer à s'attirer à elle une clientèle. Au prix d'investissements inimaginables, le résultat est prometteur et professionnellement très intéressant.

On le sait, les restaurants thématiques, ça marche. On en dénombrerait environ 25.000 en France, qui vont du concept se basant sur un sujet imaginé de toutes pièces, aux crêperies, aux restaurants ethniques et régionaux, en passant par les tex-mex... La thématique, c'est un peu raconter une histoire aux clients. Et tout le monde aime qu'on lui raconte une belle histoire. Mais, à côté de la restauration, il faut longtemps chercher pour trouver des hôtels thématiques en France. Il y a bien quelques exemples qui existent ici et là, mais les thèmes ont la plupart du temps un fondement historique utilisant notre patrimoine hérité : anciens moulins, anciennes demeures de la noblesse, etc. Ce qui n'est déjà pas si mal. En France, les vrais hôtels thématiques se trouvent sur une demi-douzaine d'établissements, à Disneyland, pour un total de près de 5.300 chambres. Mais, si on veut voir plus imposant et plus complet, il faut se rendre à Las Vegas, dans le Nevada. C'est là, aujourd'hui, que se trouve la plus forte concentration d'hôtels thématiques au monde. Si la ville n'est dotée que de près de 90 hôtels, ils proposent plus de 115.000 chambres (soit 1/5 du parc hôtelier français !) et sont concentrés essentiellement sur une bande d'à peine 3 km de large sur 10 km de long, dans la ville aux mille strass et lumières.

Des taux d'occupation spectaculaires

Las Vegas a enterré ses vieux clichés. Ce n'est plus une ville folle où l'on joue 24 h / 24 dans les cliquetis de ses 200.000 machines à sous ou autour des tables de roulette. C'est devenu une destination à part entière, qui a trouvé ses lettres de noblesse et qui se veut raffinée. En tout cas, elle se montre très séduisante. Car, on aime ou on n'aime pas Las Vegas, mais la ville ne laisse personne de glace. Artificielle, si elle en est, elle s'est créée à partir de rien : un désert aride de sable, sans eau, et quasiment sans végétation. Le passage à quelques kilomètres de là du puissant Colorado a aidé à faire naître cette mégapole hôtelière, lui apportant eau et électricité pour ses immenses besoins. Son histoire a commencé réellement après la Seconde Guerre mondiale, où le Nevada a été le seul Etat à autoriser les jeux aux Etats-Unis. Depuis, la croissance a été phénoménale. Avec à peine 180.000 habitants il y a trente ans, on en dénombre à présent 1,5 million et chaque mois, la ville accueille près de 4.500 nouveaux habitants. Il faut dire que Las Vegas a de quoi offrir du travail. L'hôtellerie tourne à près de 88 % de taux d'occupation annuel (en 1998) et les derniers hôtels ouverts se sont remplis à 95 / 98 %.

Une destination complète

Alors que l'on croit que Las Vegas est seulement un univers d'argent et de paris, on peut se rendre compte sur place que c'est une destination touristique très complète où les jeux sont une activité parmi d'autres. Un resort qu'envient la plupart de nos casinotiers européens, car on y trouve tout. Dès la sortie de l'avion, des centaines de machines à sous étincelantes vous accueillent dans l'aéroport ultramoderne de Las Vegas Mc Carran. Chaque établissement hôtelier est une ville à lui tout seul, conçu toujours selon le même principe. Les hôtels-casinos offrent autour des salles de jeux aux milliers de bandits manchots, des chambres spacieuses, une quinzaine de formules de restaurants (toutes thématiques) et des food-courts, des bars, des galeries de boutiques (voire un véritable centre commercial), des spectacles, des attractions, des piscines ludiques, etc... Chaque grand hôtel est une solide PME employant entre 4.000 et 10.000 personnes.

Des megas hôtels-casinos

La première sensation qu'impose Las Vegas est le gigantisme auquel les Européens ne sont pas habitués. Rien n'est fait dans la demi-mesure : 2.800 chambres pour le Bally's, 3.300 pour le Mirage, 3.700 pour le Circus Circus, 4.000 pour l'Excalibur, 4.500 pour le Luxor ou encore 5.000 pour le MGM Grand. Les piscines sont immenses, comme les salles de jeux, comme les spectacles, comme les illuminations de toute nature. La clientèle vagabonde d'établissement en établissement, au gré des décors et des ambiances qu'elle a envie de voir. Tous les accès sont gratuits et libres, on ne paie que ce qu'on joue et ce qu'on consomme. Car les concepteurs ont imaginé des lieux de rêve, créés de A à Z avec un sens inouï du détail. Tout l'argent utilisé se voit et a servi à flatter les sens et à enrichir le confort. Les stucs et le toc font vrai. Cela sonne massif plutôt que creux. On est loin du carton-pâte. Et tout est propre et entretenu comme dans peu d'endroits au monde, des bâtiments aux trottoirs. La thématique est totale. Entre le New York - New York reproduisant un quartier de Manhattan, le luxueux Bellagio (dernier né) rappelant le village du même nom sur le bord du lac de Côme, l'Excalibur habillé en château moyenâgeux du roi Arthur, le Luxor sous son immense pyramide pharaonique, le Caesar Palace vous immergeant dans un ersatz de la Rome antique ou encore le Mirage aux décors de forêt tropicale et aux immenses aquariums d'eau de mer... tout attire l'œil et stimule l'imagination. Et ce n'est pas fini. On termine de construire le Venitian, en face du Bellagio, qui proposera dans le haut de gamme toujours, avec un casino et beaucoup d'activités de loisirs, 3.000 chambres-suites dans une première tranche, puis 3.000 de plus (ce sera l'hôtel le plus grand du monde). Le tout est inscrit sur le thème de Venise avec un campanile quasiment grandeur nature, un mini-palais des Doges, la place Saint-Marc, le Grand Canal...

Des investissements pharaoniques

A côté du Venitian, s'ouvrira l'hôtel Hilton Paris avec 2.900 chambres et la reproduction sur une hauteur de 100 mètres de la Tour Eiffel, d'une aile du Louvre, de l'Arc de Triomphe... Le Mandalay Bay est attendu aussi, avec ses 3.700 chambres, agrémentées d'un lagon tropical, d'une plage et d'un plan d'eau pour surfeurs avec de vraies-fausses vagues. Mais, d'autres projets sont en cours à Las Vegas. On parle d'un hôtel San Fransisco avec son "câble car" et son "Golden Gate", d'un Athenias, avec ses "remakes" de la Grèce antique, ou encore d'un Nemo hotel-casino, où le monde imaginaire de Jules Verne devrait s'illuminer. A Las Vegas, les investissements sont à la hauteur de cette cascade de réalisations et de projets. Le Bellagio a coûté près de 9 milliards de francs ; la facture du Hilton Paris se montera à 4 milliards de francs, et celle du Venitian portera sur un budget de près de 12 milliards de francs ! La plus chère réalisation hôtelière au monde. Contrairement à la vieille Europe où l'on rénove vaille que vaille les hôtels vétustes, à Las Vegas on ne fait pas les choses à moitié. L'hôtel-casino Aladdins a été complètement rasé il y a plus d'un an et va être reconstruit au goût du jour. La démolition de l'hôtel avait d'ailleurs donné lieu à une fastueuse fête, avec des milliers d'invités et le train de feux d'artifices d'usage, ce qu'on ne fait jamais ailleurs.

Une clientèle multiciblée

Les normes de créations et de rentabilisation de ces hôtels-navires n'ont aucune commune mesure avec ce qu'on connaît ailleurs en hôtellerie. Le secret de la réussite se base sur un marketing de destination très musclé. En début de week-ends, les avions déversent toute la journée leurs flots de retraités venus des quatre coins des Etats-Unis dépenser leur pension. On y vient aussi en Greyhound ou par voiture de la Californie voisine et d'autres Etats. Mais les familles en quête de distractions et les couples venus pour les mariages rapides se côtoient aussi à Las Vegas. On s'y bouscule pour les machines à sous, mais pas seulement. Toutes les activités ludiques existent. Les spectacles proposés sont grandioses et haut de gamme et n'ont rien à envier aux grands shows de Broadway. Les salles font le plein pour des places vendues 600 francs et plus. Las Vegas est devenu également une immense destination de congrès nationaux et internationaux. Chaque hôtel possède ses propres salles de conventions déclinées en centaines de mètres carrées ultra équipées, qui ont de quoi faire rougir nos palais des congrès les plus modernes.

Une forte réserve de clientèle étrangère

En tout, 30 millions de touristes sont venus à Las Vegas en 1998, dépensant plus de 25 milliards de dollars, soit plus que le PIB du Zimbabwe ! Pour l'instant, la ville n'accueille que 18 % d'étrangers, mais c'est le double d'il y a dix ans. Les Français viennent en quatrième position, après les Japonais, les Britanniques et les Allemands. C'est dire s'il y a une forte réserve de clientèle potentielle. La chambre de commerce de Las Vegas en est consciente et prend en ce moment le taureau par les cornes pour développer une promotion plus forte sur l'étranger. Toutefois, cela nécessitera aussi que des lignes aériennes directes soient créées à partir des grandes capitales européennes, ce qui manque encore. La politique tarifaire sur la destination de Las Vegas a également beaucoup changé. Le yield management s'y pratique depuis longtemps. Mais, on vend également les chambres plus cher qu'avant. Alors que dans les années 1980, les hôtels louaient des chambres de haut de gamme pour 40 à 50 dollars, on est passé pour la même offre de 60 à 140 dollars selon la période. Le Bellagio propose les siennes pour un montant de 220 à 650 dollars, ce qui sera aussi le cas du Venitian. En fait, il y a 15 ans, le revenu des jeux était de 3 à 5 fois plus important que celui des hôtels. Il est aujourd'hui à égalité. Les opérateurs disent que s'il n'y avait pas les jeux, ils seraient obligés de vendre leurs chambres pour 5.000 francs la nuit, étant donné les investissements réalisés. On ne cerne pas les chiffres d'affaires par type d'activité, mais selon une logique de marketing global. L'activité professionnelle sur Las Vegas est également idéale, où le comté prélève une taxe de "seulement" 6 % sur le chiffre d'affaires des jeux. C'est peu comparé à ce qui se pratique en France. L'hébergement et les autres activités ne sont pratiquement pas taxés non plus, hormis une TVA fédérale faible.

Un avenir qui laisse perplexe

Certains observateurs sont pessimistes pour l'avenir de Las Vegas. Le nombre de nouveaux hôtels en création ou en projet donne le vertige et on craint, comme depuis des années, une surcapacité hôtelière. Il est prévu environ 20.000 chambres nouvelles sous 3 ans. Par ailleurs, Las Vegas a profité jusqu'ici d'une quasi-exclusivité dans la pratique des jeux autorisés. A présent, près de 40 Etats américains ont légalisé les casinos, sous une forme ou une autre, qui représentent pour l'ensemble de cette industrie près de 31 milliards de dollars de recettes uniquement sur les jeux (hors dépenses complémentaires d'hébergement, de restauration, de loisirs et de transport). Par comparaison, les produits annuels des casinos en France se montent à 8,5 milliards de dollars. On peut penser que dans un avenir proche, moins d'Américains se déplaceront pour se rendre à Las Vegas, car ils trouveront plus proche de chez eux. Mais, la ville a sans doute encore de beaux jours devant elle. La thématisation et le "resort total" permettent encore à Las Vegas de se distinguer des autres destinations. Elle ne manque ni d'ambition, ni d'imagination et sait encore attirer à elle les grandes locomotives du show business et du sport (beaucoup de spectacles et de compétitions s'y déroulent), créant l'événement toute l'année. Elle possède aussi un vivier de clientèle étrangère qui est encore en friche et ne fait que débuter sur le marché gigantesque des conventions-congrès et salons. Il y a donc encore une immense réserve de clientèle potentielle à conquérir. Si Las Vegas reste l'antre des entrepreneurs mégalomanes dans une compétition totale, ce ne sont pas les touristes qui s'en plaindront.
M. Watkins


Le Caesar Palace, imitation Rome antique.


L'HÔTELLERIE n° 2606 Supplément Economie 25 Mars 1999

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