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Restauration l La mode culinaire au restaurant

Le produit roi et la légèreté reine

Les plats que l'on trouve dans nos restaurants suivent souvent une mode. Parfois, elle s'impose tellement qu'il y a risque d'uniformité pour le consommateur. Si on ne sait pas toujours qui donne l'impulsion dans le lancement de nouveaux plats, on sait que les grands chefs, parce que très médiatiques, ne sont pas étrangers à la propagation des tendances culinaires.

La cuisine suit des tendances et des modes, mais on ne sait pas toujours qui les initie. La plupart des cuisiniers pensent que rien ne se crée plus en cuisine. On réadapte des recettes anciennes, c'est tout. Mais, entre une invitation chez le surintendant Fouquet au château de Vaux-le-Vicomte et un repas d'affaires dans un grand restaurant, il y a pourtant autant de différence qu'entre un boulier chinois et un ordinateur. Il en va de même pour l'art culinaire. Entre les ragoûts de nos grands-parents et notre plat du jour, il y a souvent un monde. En cuisine comme ailleurs, tout est question de modes, de tendances et de désirs. Les plats que l'on trouve sur nos cartes de restaurants proviennent souvent de la cuisine traditionnelle, ou l'ont pour base, telle qu'on l'enseigne dans nos écoles hôtelières et chez les maîtres d'apprentissage. Et puis, se rajoutent des créations.

L'impulsion des grands chefs

La plupart des professionnels pensent que ce sont fréquemment les grands chefs qui donnent l'impulsion dans la mode culinaire et lancent de nouveaux plats ou façons de cuisiner. La médiatisation fait le reste et on les trouve plus tard sous une forme ou une autre, dans les menus de beaucoup de restaurateurs. Mais, ces mêmes chefs suivent pas à pas les tendances dans les goûts et dans les attentes des consommateurs. Ils ne se risquent plus à imposer des préceptes à contre-courant de ce à quoi aspirent leurs clients. "Nous aimons la cuisine dépouillée, plutôt légère. Cela va avec la volonté qu'ont les gens de garder la ligne et la forme. Pour cela nous mettons très nettement les légumes en avant, et cette approche rencontre un très vif succès. Je constate aussi une réelle montée du poisson. D'une certaine manière, les Français sont en train de rejoindre un peu les habitudes anglo-saxonnes qui, depuis toujours, ont une base poissons et légumes". Ce point de vue c'est Jacques Pourcel du Jardin des Sens à Montpellier qui le livre.

Finies les sauces lourdes

Plus au nord, Georges Blanc à Vonnas, dit : "Ce que réclament les gens aujourd'hui c'est la primauté de la qualité des produits cuisinés, alliée à une grande fraîcheur d'expression et une grande profondeur de goût. Fini les sauces lourdes et les desserts trop sucrés. En cuisine comme dans beaucoup d'autres domaines, on est dans une époque dont le credo est : consommons moins mais consommons mieux !" Bernard Loiseau à Saulieu prône pour la loi de la matière première. "Aujourd'hui la vraie vedette ce n'est plus le cuisinier, c'est le produit !... Ensuite, c'est au chef de connaître parfaitement ses classiques, ses traditionnels, pour les revisiter tout en se méfiant des matières grasses, des alcools et des surcharges de sucre. Ici, à Saulieu, la majeure partie de mon boulot consiste à trouver des produits exceptionnels et à ne pas les trahir." A Strasbourg, Emile Jung Au Crocodile, suit la même approche et clame sans hésiter : "Pour moi la tendance c'est avant tout : lisibilité d'aspect et de goût... très net, très pur ! Cela revient à dire : respectons le produit et donnons-lui de l'esprit. Cuissons justes et cuissons courtes c'est comme cela que l'on respecte la matière, les saveurs et les couleurs. Une chose est certaine, aujourd'hui, ce sont les légumes qui font la une. C'est chatoyant, c'est savoureux, et ça forme un accompagnement tendre qui apporte la satiété, sans maltraiter la digestion et le corps. A ce propos, je reviens de San Francisco. Là le patron du Fleur de Lys (un Alsacien comme moi) m'a avoué qu'actuellement il servait dans son restaurant plus du tiers des menus en formule végétarienne."

Se sentir bien après un repas

Pour Jean-Marie Böelle, journaliste spécialisé au Figaro et à l'Auto-Journal, la tradition et le sens du terroir reviennent à grand galop. "J'ai vraiment le sentiment qu'on recherche deux choses. Tout d'abord des produits naturels de qualité. Puis, avec ces mêmes produits, on amorce un retour aux recettes traditionnelles que l'on allège le plus possible tout en restant dans l'esprit initial du terroir. Cette recherche de qualité, qu'elle soit surgelée ou non, répond sans doute aussi à une certaine obsession du poids et de la silhouette. Il est évident que cette notion diététique est présente dans nos assiettes. Aujourd'hui la tendance du "bien manger" pour "rester bien" fait très nettement son chemin." Si les grands cuisiniers sont des initiateurs de la cuisine, Dominique Bouchet, chef des restaurants Les Ambassadeurs et de l'Obélisque à l'Hôtel de Crillon en fait partie. Là encore c'est à se demander s'il n'existe pas un politiquement correct de la culture du fourneau. "Le poisson et les légumes reviennent en force. C'est ce qui me frappe en premier. D'autre part, comme nous servons une clientèle très internationale nous tenons compte aussi de certaines tendances. La demande américaine, par exemple, apprécie beaucoup le très bon veau. D'autre part, au déjeuner, je suis de plus en plus frappé par le nombre de commandes qui arrivent en cuisine avec la mention : pressé - un plat - rien avant. En fait, j'ai l'impression qu'en dehors des repas festifs les clients souhaitent surtout manger nature, léger et vite."
Inutile de préparer de lourds fonds de sauce, et l'on voit que la vente de plats à base de gibier n'a pas eu la cote cet hiver. La tendance est donc claire. Nos assiettes n'ont plus qu'une seule devise : produit roi, terroir, fraîcheur, et légèreté... et que vivent salsifis, crosnes et topinambours !
E. Fernagut

Cette tendance à la légèreté de la cuisine reste pour autant assez générale. Les classes populaires apprécient toujours les mets copieux et leurs repas se composent souvent encore de trois plats. Les classes plus aisées et les couches moyennes, qui sont d'ailleurs les plus gros consommateurs de restauration, sont beaucoup plus sensibles à cette notion d'allègement des repas. Une récente étude nous apprend que 2/3 des Français avouent faire attention à ce qu'ils consomment et que 5 femmes sur 6 déclarent suivre régulièrement ou épisodiquement des régimes plus ou moins intenses.


L'HÔTELLERIE n° 2606 Supplément Economie 25 Mars 1999

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