Que les fournisseurs et les patrons des CHR ne fassent pas toujours bon ménage, cela ne surprend personne. En revanche, que les hôteliers et restaurateurs ne fassent plus attention qu'aux prix, cela peut agacer. Les fournisseurs subissent mal les changements de comportement de leurs clients et sont obligés d'engager beaucoup de moyens coûteux supplémentaires pour vendre.
Il est loin le temps des accords commerciaux, à durée illimitée, conclus entre fournisseurs et restaurateurs-hôteliers. Il n'y a plus beaucoup de fidélité qui tienne. On change de fournisseur pour un oui, pour un non. Aujourd'hui, dans leur politique d'achat, les professionnels des CHR sont à prendre avec des pincettes. C'est en tout cas ce que pensent leurs fournisseurs. La crise, toujours elle, a fait évoluer la profession. Les fournisseurs font désormais face à de véritables personnalités, pressantes et exigeantes. En réponse, les gammes de produits ont été revues et corrigées pour susciter de nouveaux intérêts chez les clients. Les commandes émanant des CHR sont parcellaires et les volumes de ventes s'atomisent entre plusieurs fournisseurs. Ceux-là subissent de plein fouet ces nouvelles tendances, comme ils ont vécu par ricochet les affres de la baisse de la demande par les consommateurs. Ils ont été contraints, comme leurs clients restaurateurs, de se restructurer pour faire face à cette situation.
Le monde des CHR semble connaître depuis peu un regain d'activité qui devrait redonner du baume au cur à chacun. Mais, les années moroses qui viennent d'être traversées laissent des séquelles. La baisse du chiffre d'affaires et les fins de mois difficiles ont façonné hôteliers et restaurateurs en de véritables gestionnaires et en de redoutables acheteurs. Ces derniers ne veulent plus se faire berner ou veulent simplement en avoir pour leur argent, si difficile à gagner. "L'hôtelier, tout comme le restaurateur, demande de plus en plus à avoir un interlocuteur formé et spécialiste", explique Antoine Ellena du groupe Pernod. Face à cette montée en puissance de ces exigences, les structures commerciales des fournisseurs se sont réorganisées pour armer des équipes adaptées à chaque secteur : les cafés d'un côté, les hôtels de l'autre... Non seulement les commerciaux doivent parfaitement connaître le secteur mais aussi avoir une connaissance très approfondie des produits qu'ils proposent, bien sûr. "Avant, les contrats, sans tomber du ciel, ne nécessitaient pas une démarche très poussée. Un bon vendeur faisait des affaires sans trop de difficultés. Désormais, ce sont de véritables technico-commerciaux très formés que nous envoyons sur le terrain. La personne qui se trouve de l'autre côté du bureau cherche à connaître la durée de vie du produit, le mode de fabrication et des quantités d'autres détails techniques qui n'effleuraient personne auparavant", déclare à regret un directeur commercial d'une entreprise d'équipements de cuisines.
"Le plus catastrophique, c'est qu'ils ne regardent que les prix", s'indigne un autre responsable commercial, qui a préféré rester anonyme. La qualité a certes toujours un minimum d'importance et les mauvais prestataires ont parfois disparu du marché naturellement. Mais désormais, les fournisseurs se sentent désemparés car leurs clients n'écoutent plus leur argumentation commerciale. Les restaurateurs et hôteliers ne semblent se concentrer que sur la ligne finale du contrat : celle des tarifs. "Nous ne nous battons plus de la même manière qu'avant. L'hôtelier ne raisonne plus à long terme. Il veut débourser le moins possible", explique Denys Leray, directeur commercial de Minibar. On fonctionne de plus en plus à l'économie. L'autre aspect qui va de paire avec les prix, c'est la limite que s'imposent les professionnels des CHR. Ils ne renouvellent quasiment plus jamais d'un seul coup leurs équipements vétustes. Devenus très frileux avec la crise, que ce soit pour du gros ou pour du petit matériel, tout est fait de manière très réfléchie. Problèmes budgétaires ou politique à court terme aidant. "Chez les restaurateurs, on ne change pas le matériel parce que c'est démodé, ou parce que ce n'est plus fonctionnel. On change parce que c'est cassé et qu'il n'y a plus rien à récupérer", regrette Pierre Favard, commercial multicarte du secteur.
Contraints par la force, la création de nouvelles gammes de produits économiques, tirées vers le bas, a fleuri un peu partout dans les catalogues des fournisseurs. "C'était un passage obligé si nous souhaitions continuer à vivre", explique Roland Dumez, chef de produit en équipement. "Les hôteliers ont adapté leurs achats en fonction du prix moyen qu'ils perçoivent de la part de leur client. Sachant que l'addition chute un peu plus chaque jour, il est évident que la répercussion est immédiate sur les commandes et donc sur nos ventes." Les fournisseurs n'aiment pas trop communiquer sur leurs gammes économiques. Ils préfèrent vendre des produits qui dégagent plus de marge et pas des produits à faible valeur ajoutée. Ils savent aussi qu'en ce qui concerne les équipements, par exemple, ce qu'ils vendent aujourd'hui dans le bas de gamme générera peut-être demain des réclamations, quand cela s'use trop vite ou que cela casse. Dans les produits consommables ou courants, le principal problème auquel se heurtent les fournisseurs est la quasi disparition du stockage. Hôteliers, restaurateurs ou cafetiers ne stockent plus et préfèrent toujours demander une livraison express. Peur et hantise des frigos pleins, des invendus que l'on jette et de l'argent qui dort. Ce fonctionnement relativement nouveau des professionnels a obligé les fournisseurs à se réorganiser, à accepter des commandes moins importantes en volume et les a donc conduits à augmenter leurs charges et à voir diminuer leurs marges. Au-delà, tout est sujet à discussion : le services après-vente, les conditions et délais de paiement, etc.
Les fournisseurs n'ont pas trop le moral. Ce n'est pas un regain d'activité qui
devrait changer quelque chose dans les relations existantes entre fournisseurs et
professionnels des CHR. Sans être à couteaux tirés, elles sont exténuantes en raison
de l'énergie qu'il faut dépenser pour arriver à ses fins. "Bien que l'année
1998 semble avoir été plutôt bonne, les hôteliers ne se sont pas pour autant rués
vers les cahiers de commandes. La peur de l'avenir les a freinés dans leurs démarche.
Ils craignent de retrouver des périodes difficiles", souligne Denys Leray. Ce
qui est sûr, c'est que les fournisseurs savent qu'ils doivent s'accrocher pour garder
leurs clients. Un fournisseur de perdu, dix de retrouvés.
M. L. Estienne
L'HÔTELLERIE n° 2606 Supplément Economie 25 Mars 1999