Seuil de rentabilité, point mort, chiffre d'affaires critique, résultat net, il existe pléthore de synonymes pour déterminer tout simplement le stade à partir duquel le restaurateur peut espérer gagner un peu d'argent. Si chacun sait que rentabiliser un restaurant est difficile, les règles de gestion dépendent de nombreux facteurs.
Pour un restaurateur, définir son chiffre d'affaires critique, pour être sûr de pouvoir couvrir tous ses frais et envisager des bénéfices, est un peu un casse-tête. Un seuil de rentabilité ne se constitue pas uniquement d'un alignement de chiffres mais bien aussi d'une analyse marketing, d'un peu de savoir-faire et surtout de beaucoup de flair. Il existe bien des ratios pré-définis mais c'est surtout la kyrielle de paramètres comme l'emplacement, le concept, la stratégie, le thème... qui sont prépondérants. Chaque chaîne de restaurants dispose de ses propres formules valables pour ses propres établissements. Si la rentabilité d'un restaurant dépendait tout simplement de la capacité d'accueil, d'un nombre de places au mètre carré ou d'un prix moyen minimum, la France ne ferait pas chaque année le triste décompte des dépôts de bilan dans ce secteur. Rentabiliser son établissement devient de plus en plus difficile et demande d'être un très bon gestionnaire qu'il soit indépendant ou de chaîne, à la ville ou à la campagne.
On l'aura compris, la gestion d'un restaurant a des règles, mais aucune n'est réellement universelle. Pour calculer son seuil de rentabilité, il ne faut pas perdre des yeux le b.a-ba qui est l'équilibre à atteindre entre le total des recettes et le total des charges. C'est plus facile à écrire qu'à faire. En fait, les expériences font que la marge sur les coûts variables doit être au moins égale au montant des charges fixes. Partant de ce principe, il est préférable de privilégier les charges variables, fluctuantes au gré de l'activité. "Le plus compliqué dans ce cas est de définir les charges fixes des charges variables et la part que l'on peut accorder à chacune d'elles," explique un spécialiste. Mais, toute exploitation nécessite un minimum de coûts fixes qu'il est difficile de supprimer, bien sûr. Le loyer, charge souvent incompressible, peut parfois être variable en étant indexé au chiffre d'affaires. Cette situation est à double tranchant. En cas de bonne activité, cette fuite du chiffre d'affaires est un peu exaspérante. Approximativement, les charges fixes ne doivent pas excéder 40 % des charges d'un restaurant.
Autres postes indispensables à maîtriser pour le bon fonctionnement de l'établissement : les matières premières et le personnel dont un minimum fixe est requis. Pour rentabiliser son restaurant, l'analyse du Prime Cost, valeur mathématique qui revient souvent à la bouche des experts, permet de gérer au plus serré ces deux charges. Le prime cost, qui cumule matières consommées et frais de personnel, doit avoisiner les 60 à 65 %, voire 68 % du chiffre d'affaires, selon beaucoup de choix de gestion et de marketing. Plus le prime cost est faible, plus vous avez de chances de dégager des bénéfices, la différence sur prime cost servant à couvrir les frais généraux, les coûts d'exploitation... et par conséquent à dégager le résultat net. Pour réduire son prime cost, il est possible de jouer de manière intelligente sur deux tableaux. Le premier, sur les matières premières, doit être fait avec parcimonie. "A trop réduire le contenu en quantité ou en qualité dans l'assiette du consommateur, vous finirez par le frustrer," explique un consultant en restauration. Pour autant, une réduction de l'ordre de 5 % des portions n'est pas perceptible par le client, comme de passer une terrine de 12 à 13 tranches, par exemple. De même un restaurant traditionnel ne doit pas se sentir fautif si un plat n'est pas garni de 5 variétés d'accompagnements différents, qui nécessitent plus de matières premières et monopolisent davantage de temps pour le personnel. La notion de productivité est cruciale. Vouloir jouer sur les frais généraux pour trouver des économies ? Il ne faut pas y compter. Ils oscillent aux alentours des 12 % du chiffre d'affaires TTC et c'est délicat.
Certains ont cru que la réussite dépendait de la capacité d'accueil, mais cette théorie a été largement démentie depuis quelques années. L'exploitation des restaurants dits Paquebots il y a quelques années à Paris n'a pas fait d'émules et la plupart ont sombré. Ce qu'il faut trouver c'est un juste milieu qui permette d'avoir une capacité suffisante les jours d'affluence pour réaliser un bon chiffre et une capacité raisonnable le reste du temps pour ne pas donner l'impression d'un restaurant déserté. "40 % du chiffre d'affaires hebdomadaire d'un restaurant est réalisé sur les 4 services du vendredi soir au dimanche midi. Si, par hasard, le nombre de places disponibles ne permet pas de monter en puissance, vous perdez du chiffre d'affaires que vous ne récupérerez pas," confie Bernard Boutboul de Gira Sic Conseil. D'où l'intérêt de Buffalo Grill qui donne l'impression que tous les établissements sont de la même taille mais en fait, certains disposent d'une mezzanine qui est soit partiellement, soit complètement exploitée au gré de la fréquentation. Augmenter sa capacité d'accueil sur un plan vertical plutôt qu'horizontal est plutôt rentable et, surtout, cela ne vient pas alourdir l'actif immobilisé issu de l'achat du terrain. "Le coût de la place supplémentaire est relativement faible comparé à l'investissement initial". L'un des autres points noirs du compte de résultat qui fait pencher la balance du mauvais côté est le remboursement d'emprunt. Il n'est pas rare que certains restaurants affichent un résultat brut d'exploitation satisfaisant mais malheureusement acculés par le poids des dettes, le résultat net apparaît négatif. De nos jours, rentabiliser son restaurant semble être une prouesse.
Justement, devenir riche avec un restaurant paraît être une utopie, mais en fait le
pari se situe souvent à long terme. D'après Bernard Boutboul, un restaurant qui marche
bien dégage entre 3 et 5 % de résultat net. Cela dépend aussi de la gamme dans laquelle
se trouve l'établissement. Mais on remarque que si ces ratios sont des objectifs, dans
les faits, beaucoup de restaurants tournent actuellement à une moyenne de 2,5 % à 3,5 %
de résultat net, soit près de 3 francs de bénéfice pour une addition payée 100 francs
par le client. De quoi en décourager plus d'un. Le seul moyen de se réconforter est soit
de penser à une capitalisation à long terme avec revente du fonds de commerce en fin
d'activité, ou bien envisager, pour les plus gros, une entrée en Bourse. Avec tous les
aléas que cela suppose. Il est sûr que la restauration est devenue un secteur
économiquement difficile et que devant sa faible rentabilité, elle ne peut plus attirer
que des passionnés et des mordus. Dommage ou tant mieux.
M. L. E.
L'HÔTELLERIE n° 2606 Supplément Economie 25 Mars 1999