Du Ritz à Lasserre à Paris
Dans sa jeune carrière, il a tout réussi ou presque. Chef de cuisine au Ritz dans l'ombre de Guy Legay, l'inamovible patron, Michel Roth est le seul cuisinier à avoir inscrit à son palmarès les trois distinctions majeures du métier : le Taittinger, le Bocuse d'Or et le Meilleur ouvrier de France. L'année de ses quarante ans, après une trajectoire rectiligne au Ritz, sa carrière prend un tournant avec cette arrivée programmée pour l'été chez Lasserre...
L'Hôtellerie :
Dix-huit ans déjà que vous avez débarqué place Vendôme ! On peut
imaginer que la décision de partir n'a pas été facile à prendre...
Michel Roth :
C'est vrai que j'ai grandi au Ritz, que j'y ai fait tout un apprentissage,
apprenant tout ce que je sais du métier. Le Ritz m'a donné énormément et je ne pensais
pas partir... mais cette opportunité d'aller chez Lasserre s'est présentée.
C'était comme un coup de cur. Lorsque j'étais en apprentissage en Moselle, c'est
le premier restaurant parisien dont j'avais entendu parler... et cet élément a joué à
l'heure du choix. Lasserre c'est quelque chose de nouveau et une occasion de me remettre
en question dans un restaurant réputé.
L'H. :
Ancien chef du Ritz puis du Crillon, Christian Constant a un jour éprouvé
l'envie d'évoluer chez lui. Existait-il chez vous aussi ce désir de ne plus être
écrasé par le nom du palace où vous travailliez ? D'être vous-même en somme ?
M. R. :
Cela fait effectivement partie de ces petites choses qui m'ont décidé à changer
d'air. C'est vrai que j'ai tout appris au Ritz où j'ai les moyens de faire du bon travail
avec une super équipe. Mais en m'en allant chez Lasserre, je pense que je vais être un
peu plus chez moi...
L'H. :
Quel a été l'argument décisif à l'heure du choix ?
M. R. :
Avant tout, le restaurant. Au Ritz, qui est une maison extraordinaire, nous avons
six points de vente avec les banquets, les salons... et il faut servir tous les clients
parfaitement partout. J'avais toujours rêvé d'avoir un restaurant à moi. Bien sûr ce
ne sera pas le cas, mais je me dis que si je travaille bien et si je fais intelligemment
les choses, cela peut devenir Lasserre chez Michel Roth... ce qui n'est pas, et ne sera
jamais, le cas au Ritz. Je suis depuis longtemps au Ritz et une maison renommée comme
Lasserre représente une très belle opportunité dans une carrière.
L'H. :
On peut cependant imaginer qu'après votre succès au Bocuse d'Or en 1991, les
sollicitations n'avaient pas manqué. Alors, pourquoi maintenant ?
M. R. :
Bien sûr, j'avais eu des propositions. Peut-être n'étais-je pas assez mûr ? Et
puis je me sentais bien au Ritz, c'était ma maison. Là, il y avait une opportunité
beaucoup plus intéressante que les précédentes et, à 40 ans, peut-être était-il
temps de changer d'air, de me remettre en question. Le challenge est quand même très
excitant (1).
L'H. :
Vous avez dit challenge. Quel sera votre ambition en arrivant chez Lasserre
?
M. R. :
Certainement pas de tout bouleverser, car je respecte ce qui a été fait... mais
de donner un petit coup de jeunesse à cette maison et à cette cuisine. Je ne viens pas
pour recommencer à zéro, mais pour remotiver l'équipe en place, donner un peu de sang
nouveau et apporter des idées nouvelles. Il est primordial de conserver l'âme Lasserre,
mais il faut redynamiser cette maison, conserver la clientèle d'aujourd'hui et en trouver
une autre, principalement au déjeuner où nous proposerons un menu d'affaires. Avec une
cuisine qui restera de base classique mais avec des inspirations évolutives, on peut
revenir au Lasserre des grandes années... si, comme je l'espère, le courant passe bien
avec l'équipe actuelle. Aujourd'hui, deux sentiments sont mêlés : d'un côté
l'excitation de se dire que l'on va travailler dans un restaurant comme Lasserre, de
l'autre une certaine appréhension d'évoluer dans cette maison mythique.
Bien sûr, conserver les deux étoiles au Michelin sera le premier objectif. Après, il
sera temps de voir pour l'avenir.
Propos recueillis par J.-F. Mesplède
(1) Michel Roth sera officiellement chef exécutif et directeur du restaurant, Charles Schott étant directeur d'exploitation. Une réfection totale de l'établissement est programmée pour le mois d'août avec un investissement de l'ordre de 3 MF.
Un intéressant challenge pour Michel Roth.
En brefMichel Roth : Parcours : Prix : |
Une maison historiqueL'histoire du restaurant débute en 1942 lorsque René Lasserre jette son dévolu
sur une modeste construction en planches dans le jardin d'un hôtel particulier, au 17 de
l'avenue Victor-Emmanuel III. Débarqué tout jeune de son Sud-Ouest natal à Paris, le
provincial a gravi tous les échelons de la profession, dans des maisons aussi diverses
que le Drouant gare de l'Est, le Normandy à Deauville, le Lido, le Pré Catelan ou le
Pavillon d'Ermenonville.
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L'HÔTELLERIE n° 2607 Hebdo 1er Avril 1999