Alain Gianotti
"Un bon sommelier doit être capable de gagner son salaire en achetant
bien et en vendant encore mieux", dit Alain Gianotti.
Aujourd'hui, Alain Gianotti a
35 ans. Chef sommelier du restaurant La Marée (1 macaron Michelin) à Paris, il gère une
superbe cave bien garnie : 55 000 bouteilles d'une valeur de 2,50 MF. Mais pour en arriver
là, il a dû gravir un à un tous les échelons, guidé par une immense soif de réussir
et de s'en sortir. Car la vie, au départ, ne lui a pas franchement fait de cadeaux.
Originaire de Lyon, Alain Gianotti est issu d'une famille de 14 enfants. C'est le petit
dernier et peu de temps après sa naissance, son père est tué dans un accident.
Adolescent, le jeune Alain n'a pas franchement le choix : il choisit sa voie, travailler,
gagner son indépendance. "Je suis un battant. Je voulais m'en sortir, mais
surtout pas finir à l'usine." A 16 ans, il entre en apprentissage dans un
restaurant de Lyon et s'inscrit à l'école hôtelière de Dardilly où il décroche en 82
son CAP employé de restaurant. Il enchaîne directement avec le service militaire qu'il
aura la chance d'effectuer dans la marine en tant que maître d'hôtel sur un bateau de
guerre le Montcalm.
Puis, de retour à Lyon, il travaille au Cercle du Commerce comme chef de rang. Pendant
ses coupures, il suit un stage en sommellerie à Dardilly avec Alain Rosier (3e Meilleur
sommelier du monde en 1986), dans le cadre de la formation continue. En 1985, il passe en
candidat libre son CAP de sommelier. En suivant, Alain part pour le Cap d'Agde pour faire
l'ouverture du restaurant Bleu Marine. C'est son premier poste de sommelier. Crise
d'appendicite et c'est le chômage.
Il décide donc de monter à Paris. La chance lui sourit, il arrive pour le salon
Equip'Hôtel où il rencontre Jean Frambourt, à l'époque président des sommeliers de
Paris, de France et international... Celui-ci l'engage sur le champ comme chef de rang
chez Pétrus. "J'ai fait beaucoup de dégustations avec lui. C'était le meilleur
prof qui puisse exister. J'assurais mon poste, mais aussi le remplacement des sommeliers
si l'un d'eux était absent." En 1986, à 22 ans, Jean Frambourt le place au
Prince de Galles à Paris. Son poste ? Sommelier-maître d'hôtel.
En 1988, c'est le déclic, Alain décide de passer une année à Sancerre auprès
d'Alphonse Mélot, vigneron. La vinification, la cave, il veut tout apprendre pour aller
toujours plus loin dans ce métier de sommelier qui le passionne. Puis, il retrouve la
capitale et pendant deux ans, de 1989 à 1991, il est le sommelier de Patrick Pignol au
Relais d'Auteuil. Les deux années suivantes, il rejoint le Fouquet's Europe à La
Défense pour remplacer le sommelier qui, en définitive, garde son poste. Alain reste
second sommelier et attend son heure. C'est en décembre 1993 qu'il devient chef sommelier
du restaurant La Marée, avec à ses côtés un second et un sommelier. Il a 29 ans.
Aujourd'hui, Alain Gianotti continue à apprendre, à se perfectionner chaque jour. C'est
une des clefs de la réussite dans ce métier. Sa soif d'apprendre est un atout qu'il
conjugue admirablement avec sa volonté de transmettre ses connaissances. Depuis quelques
années maintenant, il enseigne à l'Ecole de Paris des métiers de la table. Deux heures
par semaine, il retrouve les apprentis sommeliers en mention complémentaire pour les
former à la dégustation. "C'est très bien que l'EPMT fasse appel à des
professionnels. Je sers d'intermédiaire entre le domaine professionnel et scolaire.
J'explique aux apprentis ce qui se passe réellement dans mon travail. Et la transmission
du métier, c'est aussi la défense de notre patrimoine."
Ses projets ? Meilleur jeune sommelier val de Loire en 89 et de Paris Ile-de-France en 90,
il est arrivé second aux éliminatoires Ile-de-France en 92 et 94 du grand prix Sopexa du
Meilleur sommelier de France. "Je souhaite avoir un titre national pour me prouver
à moi-même et à ma famille que je pouvais réussir en dehors de l'usine. Ça me ferait
plaisir." Il vient donc de s'inscrire pour le premier concours du Meilleur
ouvrier de France sommellerie qui aura lieu en l'an 2000. Un autre rêve, à beaucoup plus
long terme, celui de s'installer : un petit bistrot-bar à vins plutôt à Paris.
Quelques conseils aux futurs sommeliers
"Dans ce métier, il faut tourner, connaître plusieurs maisons. Un commis qui ne
bouge pas, il lui manque quelque chose. La salle, ce n'est qu'une infime partie du
travail. Il est nécessaire d'acquérir de bonnes notions en nologie, viticulture,
géographie, histoire. Le travail du sommelier, c'est l'éducation du palais et des sens.
Il faut faire travailler sa mémoire olfactive en permanence. Sur Paris, c'est vrai que
nous avons de la chance puisque des dégustations sont organisées tous les jours ou
presque. Je conseille aussi de partir dans le vignoble, aller sur le terrain. Et puis, je
suggère aussi à mes commis de partir en Angleterre : il est vraiment indispensable de
parler l'anglais parfaitement. Ce métier demande également des qualités de psychologue.
Il faut être capable de savoir dans quelles dispositions se trouve le client, s'il est
stressé..."
Les bons côtés du métier
"La commande des vins est un moment privilégié. Même si les clients sont un peu
angoissés parce qu'ils ont un contrat à discuter en repas d'affaires, c'est un moment de
détente. On a vraiment un contact privilégié avec la clientèle qui nous demande des
conseils, y compris pour leur cave personnelle. Il y a des relations qui se créent."
"Ouvrir et servir une bouteille, ce n'est pas le plus passionnant, c'est à la
portée de tout le monde ! Mais faire découvrir un vin, le présenter avec ses tripes,
raconter son histoire, apporter la part de rêve... c'est passionnant !"
"Le travail en symbiose avec le chef est très important. Je déguste les plats,
les sauces, les accompagnements en primeur pour travailler les associations et choisir les
vins appropriés."
"La visite des vignobles. Il y a un vrai dialogue pendant les dégustations. On a
une fonction de conseil."
"Découvrir et faire découvrir des appellations peu connues, mais aussi déguster
des vins exceptionnels dans des châteaux ou demeures d'une rare beauté, des endroits
magiques... On vit des moments d'exception !"
"Etre responsable de la sélection des vins et de la rédaction de la carte des
vins, c'est très intéressant."
"C'est un métier rémunérateur quand on est arrivé à un poste clef."
Les inconvénients du métier
"C'est un travail fastidieux car c'est métier qui est très long à apprendre. Je
dirais qu'il faut cinq ans après le diplôme pour être reconnu en tant que sommelier et
dix ans pour être un vrai professionnel."
"Il faut se tenir informé de tout : les législations, les nouvelles AOC... ça
prend aussi beaucoup de temps."
"Il reste alors peu de temps pour la vie personnelle et familiale."
"Prudence : sobriété de rigueur. Personnellement, dans la journée, en tout et
pour tout, je dois boire l'équivalent d'un verre de vin."
Une journée avec Alain Gianotti9 h - 10 h : réapprovisionnement de la cave du jour, nettoyage et mise en place de
la verrerie, entretien de l'argenterie |
L'HÔTELLERIE n° 2608 Supplément Formation 8 Avril 1999