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Actualité juridique

Déspécialisation restreinte ou partielle

Comment étendre l'activité de son bail en toute
légalité ?

Les habitudes des consommateurs changeant, un professionnel peut être amené à vouloir faire évoluer son commerce en développant certaines activités plus en rapport avec la demande de sa clientèle. Le décret de 1953 sur les baux commerciaux permet, sous certaines conditions, de modifier l'activité initiale prévue dans le bail en utilisant une procédure dite de déspécialisation partielle. Les activités ajoutées doivent être connexes ou complémentaires de l'activité principale.

E. Duroux
Avocat au barreau de Paris

Un bail peut être consenti à usage "tous commerces", mais le plus souvent, il sera expressément destiné à une ou plusieurs activités limitativement énumérées, à l'exclusion de toutes autres, selon la formule consacrée.
Lorsque l'activité autorisée est unique ou étroite, il peut être tentant pour le locataire, dans la perspective d'une augmentation de son chiffre d'affaires, de développer des activités voisines et plus larges que celles prévues dans le bail d'origine.
Cette faculté est consacrée par la loi et reconnue au locataire par le décret du 30 septembre 1953. En effet, l'article 34 alinéa 1 prévoit que le locataire peut adjoindre à l'activité prévue au bail des activités connexes ou complémentaires. Sous réserve, non seulement que soit respecté le formalisme prévu par le décret, mais également que soit reconnu le caractère réellement connexe ou complémentaire de l'activité, en cas de litige avec le bailleur.
La déspécialisation partielle ou restreinte consiste à ajouter à la destination (activité autorisée) initiale prévue dans le bail une ou plusieurs autres activités connexes ou complémentaires, c'est-à-dire des activités qui se rapprochent ou se rattachent à l'activité déjà exercée.
Pour refuser la demande du locataire, le propriétaire va contester le caractère connexe ou complémentaire de l'activité proposée. Selon la définition donnée par le Grand Robert : est complémentaire ce qui s'ajoute ou doit s'ajouter à une chose pour être parfaite ou complète. Synonyme : additionnelle.
Est connexe ce qui a des rapports étroits avec une ou plusieurs autres choses synomymes : analogue, voisin, dépendant, joint.

Comment faire la demande ?

Cette demande de déspécialisation doit être notifiée par le locataire au propriétaire par acte extrajudiciaire (c'est-à-dire exploit d'huissier), préalablement à l'exercice de l'activité ou des activités complémentaires envisagées.
Cette notification vaut une mise en demeure du bailleur de préciser s'il conteste le caractère connexe ou complémentaire de l'activité envisagée.
Si, dans ce délai de deux mois, le bailleur n'a pas répondu à cette demande, il est réputé l'avoir acceptée.
Le propriétaire peut également, dans ce délai, soit évidemment accepter la demande, soit s'y opposer en contestant le caractère connexe ou complémentaire de l'activité ou des activités proposées.
En cas d'opposition du bailleur, l'une ou l'autre des parties peut saisir le tribunal de grande instance pour trancher la difficulté, à moins que le locataire ne préfère renoncer à sa demande.
En principe, le locataire ne peut exercer l'activité envisagée avant la décision judiciaire reconnaissant le caractère complémentaire ou connexe de celle-ci.
Le troisième alinéa de l'article 34 prévoit que le bailleur peut demander, à l'occasion de la première révision triennale suivant l'adjonction de l'activité connexe ou complémentaire, une augmentation du loyer déplafonné (c'est-à-dire supérieure à celle résultant de la variation de celle de l'indice INSEE du coût de la construction).
Le bailleur peut également attendre le renouvellement du bail pour demander un déplafonnement motivé par cette extension d'activité.
Toutefois, dans ces deux cas et en référence à l'article 23-6 du décret, le bailleur devra, pour ce faire, justifier que la modification de la destination des lieux est suffisamment notable pour avoir influé sur la valeur locative.
Enfin, lorsque la contestation a été portée devant le tribunal, le locataire peut toujours renoncer à sa demande d'adjonction d'activités dans les 15 jours suivant la décision définitive.

Les risques encourus par le locataire qui ne fait pas la demande

Deux cas de figures peuvent se présenter :
w Le locataire exerce une activité connexe ou complémentaire sans avoir respecté le formalisme de la demande de déspécialisation.
w Le locataire ayant fait la demande dans les formes prévues mais qui débute néanmoins l'activité connexe ou complémentaire sans attendre, soit l'expiration du délai de deux mois, soit la décision judiciaire en cas de contestation du bailleur.

Dans ces deux hypothèses, le locataire prend le risque d'une résiliation du bail ou d'un refus de renouvellement sans offre d'indemnité d'éviction, si l'extension d'activité se situe en fin de bail.
Par ailleurs, le bailleur peut également en profiter pour demander le déplafonnement du loyer lors du renouvellement en tirant argument de cette adjonction d'activité pour justifier d'une modification notable de la destination des lieux.
Ce faisant, le bailleur est réputé agréer implicitement et rétroactivement l'adjonction d'activité et ne peut plus l'invoquer comme une infraction au bail.
La pire solution nous semble être celle où le locataire débute l'activité tout en faisant une demande de déspécialisation dans les formes, montrant par là qu'il avait conscience que le caractère connexe ou complémentaire de l'activité ou des activités exercées n'allait pas de soi et était sujet à une éventuelle contestation du bailleur.
A l'inverse, le locataire qui n'a fait aucune demande peut toujours invoquer sa bonne foi en arguant du fait que l'activité était implicitement contenue dans celle mentionnée au bail et ce, compte tenu de l'archaïsme et de la désuétude des mentions relatives à la destination du bail, au regard de l'évolution des usages commerciaux.
Quoi qu'il en soit, le juge conserve un pouvoir souverain d'appréciation de la gravité de l'infraction aux clauses du bail, reprochée au locataire par le bailleur.
Ainsi, les tribunaux refuseront le plus souvent de sanctionner le locataire par résiliation du bail. Ils peuvent considérer soit que l'activité nouvelle est en réalité englobée dans la destination prévue au bail, compte tenu de l'évolution normale de l'activité considérée, soit ils reconnaissent le caractère réellement connexe ou complémentaire de celle-ci.
Enfin, le caractère connexe ou complémentaire ne signifie pas obligatoirement que l'activité nouvelle demeure accessoire par rapport à l'activité initiale, ou une simple activité d'appoint.
Ainsi, et hormis le cas où la déspécialisation partielle aboutirait, en réalité, à un abandon pur et simple de l'activité primitive et donc à une déspécialisation totale, il ne peut être fait grief au locataire de donner sa pleine expansion à cette activité nouvelle.

Les juges apprécient le caractère connexe ou non de l'activité

Il n'existe pas de définition légale du caractère connexe ou complémentaire. Les juges apprécient ce caractère en fonction des circonstances. En outre, il faut tenir compte des usages locaux. Ce qui pourra être admis comme connexe ou complémentaire à Paris peut très bien être réfusé dans un autre région. Nous vous proposons des exemples de décisions de justice qui vous permettrons de vous faire une idée.

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Tribunal d'instance de Marseille du 1er juillet 1964
"La transformation d'un restaurant de forme traditionnelle en "libre service", où le client va chercher lui-même sa nourriture et l'apporte sur sa table ne peut être constitutive d'une modification irrégulière, à défaut de convention contraire."
La modification de l'importance relative des diverses branches de l'exploitation, leur croissance ou décroissance pour les adapter à la situation économique et les rendre plus rentables, ne sont constitutives d'aucune infraction au bail, à défaut de clause limitative.
"Peu importe donc que l'importance des repas ou banquets servis dans les lieux et des repas ou banquets servis à l'extérieur ait varié d'une année à l'autre, dès lors que ces deux formes d'activités étaient autorisées et que les livraisons extérieures sont en usage dans de nombreux restaurants prévoyant des transports de mets préparés dans leurs cuisines."

Cour d'appel de Paris 20 novembre 1973
Le service d'un buffet froid ou chaud qui accompagne la consommation de boissons chez un marchand de vins-cafetier a été considéré comme une extension normale et conforme aux usages.
"L'ancienne appellation "marchand de vins-cafetier" recouvre à Paris une évolution de ce genre de commerce, le service d'un buffet froid ou chaud qui provoque ou accompagne la consommation des boissons n'étant pas exclue du commerce visé par l'ancienne appellation, tel qu'il est actuellement exercé et alors que l'usage commercial auquel les parties, en renouvelant les baux, ont entendu se référer a changé avec les mœurs qui président à la fréquentation des cafés dans les grandes villes."

Cour d'appel de Paris du 17 avril 1986
La cour décide que l'activité de "brasserie avec plat du jour" n'est pas complémentaire d'une activité de "café-bar".

Cour d'appel de Bordeaux du 22 avril 1986
La cour d'appel affirme que l'adjonction d'une discothèque night-club à l'activité du fonds de commerce de café-bar-restaurant n'est pas connexe ou complémentaire.

Cour d'appel de Paris du 13 mars 1990
Le commerce de restaurateur ou celui de préparateur et vendeur de plats du jour nécessitant une certaine préparation et une certaine élaboration n'est ni connexe ni complémentaire de celui de débitants de boissons.
Seul pourrait être considéré comme "connexe et complémentaire" d'un commerce de débit de boissons un service de casse-croûte, celui-ci étant habituellement toléré dans les cafés.
La prétendue tolérance du bailleur dont fait état le preneur n'étant pas établie en fait, et quand bien même elle le serait, ne serait ni constitutive ni créatrice de droit.
Il s'ensuit que doit être résilié le bail commercial du locataire qui, autorisé à exercer dans les lieux le commerce de café-bar, épicerie et fruiterie et bénéficiant d'une licence de débit de boissons de 4e catégorie, exploitait dans les lieux un véritable restaurant.

Cour d'appel de Paris 22 mars 1991
Cette juridiction considère que "une clause d'un bail permettant au preneur d'exercer le commerce de marchand de vins, bières, liqueurs à consommer sur place avec faculté d'adjoindre à la destination principale un buffet froid avec plat du jour".
Un commerce de marchand de vins est appelé à servir des plats cuisinés "principalement pour le repas de la mi-journée" et comporte en lui-même "celui de la restauration et non pas seulement le service d'un plat du jour".

Cour d'appel de Paris du 29 septembre 1992
A l'inverse de sa décision de 1986, la cour d'appel considère que l'adjonction d'une activité "brasserie plat du jour" est complémentaire à celle de café-bar.

Cour d'appel de Paris 5 janvier 1993
"La destination désuète de "marchand de vins" correspond aujourd'hui, avec l'évolution des usages en région parisienne, au commerce de café avec buffet chaud et froid pour accompagner la vente de boissons. Les locataires sont donc en droit d'exercer dans les lieux une activité de petite restauration rapide et non élaborée.
Or, considérant que si la preuve d'une telle activité est bien rapportée par le procès-verbal de constat dressé à la demande même de la propriétaire, et faisant état de vente de "frites-saucisses-merguez-omelettes et sandwiches" sans mentionner par ailleurs la présence du menu affiché, en revanche la preuve d'une véritable activité de restauration traditionnelle n'est nullement établie.
Qu'il n'y a donc pas lieu à résiliation judiciaire de sorte que la demande infondée de la bailleresse sera rejetée."

Cour de cassation du 17 juillet 1996
Il s'agissait dans cette affaire d'un bail à usage d'hôtel meublé et de bar. Le locataire, désirant étendre sa clientèle, développe une activité de "bar de nuit" avec "piano-bar et karaoké", tout en faisant une demande d'adjonction d'activité au bailleur. Mais il commence ce complément d'activité sans attendre la réponse de son propriétaire. Ce dernier refuse et invoque la clause résolutoire.
Dans un premier temps, la cour d'appel refuse de constater la résiliation du bail en considérant que l'activité rajoutée n'était pas illicite, mais constituait une variété de la destination contractuelle prévue au bail et incluse dans cette dernière.
La Cour de cassation a cassé l'arrêté de la cour d'appel, au motif que l'activité avait fait l'objet d'une demande d'adjonction du locataire comme activité complémentaire. Ce qui veut dire que la Cour de cassation a considéré qu'en raison de la demande d'autorisation effectuée par le locataire, celui-ci reconnaissait de ce fait que l'activité qu'il développait n'était pas incluse dans son bail initial. Pour le locataire, il aurait mieux valu développer son activité sans rien demander.

Cour de cassation du 26 novembre 1997
Dans cette affaire, le bail consenti au locataire était à usage de débit de boissons et tabac. Au cours du bail, le locataire avait ajouté l'activité de brasserie sans rien demander au propriétaire.
Propriétaire qui n'a pas exercé d'action en résiliation du bail, ni refusé le renouvellement du bail comme il aurait pu le faire. Mais a profité de ce rajout d'activité pour demander le déplafonnement et donc obtenir une augmentation substantielle du loyer lors du renouvellement du bail.
La Cour de cassation confirme l'arrêt de la cour d'appel de Versailles qui avait prononcé le déplafonnement du loyer du bail lors du renouvellement, après avoir constaté que l'adjonction de cette activité constituait une modification notable de la destination des lieux.

Cour de cassation du 17 novembre 1998
Le propriétaire avait autorisé son locataire à exercer une activité de petite brasserie en complément de son activité initiale de café-bar. Suite à cet accord, le cafetier proposait des plats garnis à sa clientèle. Pratique que le propriétaire a contesté en considérant que c'était de la restauration. La cour d'appel a déduit que les plats garnis proposés par l'exploitant à sa clientèle n'entraient pas dans la catégorie de petite brasserie, mais correspondaient à une véritable activité de restauration non autorisée. Les juges ont considéré que la notion de petite brasserie doit se comprendre de façon restrictive et qu'elle autorise simplement le service de plats froids ou non qui ne sont pas réellement cuisinés (comme par exemple des croque-monsieur...). La Cour de cassation a confirmé la décision
des juges d'appel.

Cette activité de "petite brasserie" donne lieu à de nombreux contentieux. De sorte, il convient
dans cette hypothèse, pour éviter tout litige ultérieur, d'expliquer avec plus de précisions ce que les parties entendent par "petite brasserie".


L'HÔTELLERIE n° 2609 Hebdo 15 Avril 1999

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