La fermeture du tunnel du Mont-Blanc
"La réouverture du tunnel
du Mont-Blanc ne pourra pas se faire avant de nombreux mois, peut-être un an", a
récemment déclaré le ministre des Transports et de l'Equipement, Jean-Claude Gayssot.
Même si aucune décision n'était, à l'heure où nous mettions sous presse,
officiellement arrêtée, puisque soumise aux conclusions de l'enquête technique et
administrative ouverte après l'incendie qui causa la mort d'au moins quarante personnes
le 24 mars dernier, les propos tenus par le ministre ne sont pas sans avoir suscité une
forte inquiétude chez les professionnels du tourisme de la région.
D'autant qu'après trois semaines de fermeture de l'ouvrage transalpin créé en 1965,
plusieurs d'entre eux, en particulier dans la vallée de Chamonix, commencent à subir les
premières conséquences économiques de cette catastrophe. Sur les 1,9 million de
véhicules, dont 734 306 poids lourds, ayant emprunté le souterrain en 1998, un grand
nombre faisait en effet une halte dans la capitale européenne de l'alpinisme pour s'y
loger, s'y restaurer et bien souvent également s'adonner aux jeux de hasard. "Le
détournement des trafics a d'ores et déjà généré une baisse sensible de la
clientèle de passage et beaucoup d'entreprises liées aux activités touristiques sont
aujourd'hui en difficulté", explique Roger Rollier, président des hôteliers de
la vallée de Chamonix.
A commencer bien sûr par les relais routiers, situés le long de l'autoroute, dont
l'essentiel des chiffres d'affaires provient de la fréquentation des poids lourds. "Je
réalisais habituellement environ 140 couverts par jour. Aujourd'hui, j'en suis réduite
à servir tout juste 20 à 30 repas", avoue inquiète Ghyslaine Plassard,
patronne du Relais de Châtelard à Passy (Haute-Savoie). Et d'ajouter : "Si la
situation n'évolue pas très vite, je ne sais réellement pas comment je vais pouvoir y
faire face."
Perte de recettes durant l'intersaison
Autre secteur particulièrement touché, celui des loisirs comme par exemple le casino de
Chamonix (propriété du groupe Accor) qui fonctionne en grande partie avec les touristes
italiens. "On n'a jamais imaginé un tel scénario ! Depuis 34 ans, le tunnel du
Mont-Blanc n'a en effet fermé que 24 heures... Après trois semaines de fermeture, nous
subissons de plein fouet les effets de ce drame. Nos recettes ont ainsi chuté de près de
90 % sur les jeux traditionnels et 50 % environ sur les machines à sous",
souligne Jean-Raymond Casteldi, responsable du casino.
Malgré un week-end de Pâques qui s'est avéré assez bon, les hôteliers, eux aussi,
n'échappent pas aux conséquences économiques de la fermeture durable du tunnel du
Mont-Blanc. Pendant l'intersaison (d'avril à juin, puis de septembre à novembre)
nombreux sont effectivement les autocaristes à faire escale à Chamonix et ses environs
avant de franchir la frontière. Obligés de passer par le col du Grand Saint-Bernard (une
heure de trajet supplémentaire), certains ont d'ores et déjà pris la décision
d'annuler plusieurs de leurs réservations. "En ce qui me concerne, deux
tour-opérateurs viennent tout juste de décommander leur arrêt dans mes établissements.
Avec une seule de ces annulations, je vois mon chiffre d'affaires baisser de 250 000
francs", confie Joël Didillon, en charge de trois établissements (Le Best
Western Morgane, Les Aiglons et l'Hôtel de L'Arve).
Couteau sous la gorge
Des propos corroborés par le témoignage de Philippe Averseng, directeur du Novotel
Coralia aux Bossons, qui estime perdre de 30 % à 40 % de recettes au cours des mois
d'avril, mai et juin prochains. Car aux démissions des autocaristes s'ajoute également
celle des déplacements pour affaires. "Il n'y a rien d'étonnant à ce que
certains hommes d'affaires préfèrent désormais se rendre en Italie ou en France via
d'autres moyens de transports que la route", considère un hôtelier de la
vallée.
Face à ce nouveau drame, les professionnels de l'hôtellerie et de la restauration se
font en fait beaucoup de souci quant au déroulement de la saison dite "morte"
tandis qu'ils restent relativement confiants concernant la saison estivale et hivernale.
Le couteau sous la gorge, à cause de leur situation géographique et de leur mix de
clientèle, certains ont tout de même choisi de passer à l'action afin d'interpeller les
pouvoirs publics. "Nous essayons de fonder une association pour la défense
économique des entreprises touchées par la fermeture du tunnel", commente
Ghyslaine Plassard. "Il faut essayer de trouver une solution pour sauver le
maximum d'emplois", ajoute le patron du casino de Chamonix.
On notera, parallèlement à l'impact économique provoqué par la fermeture du tunnel,
qu'une polémique demeure très vive entre les professionnels du tourisme eux-mêmes quant
au passage polluant et incessant des routiers dans la vallée.
C. Cosson
Bon nombre d'autocaristes ont annulé leur halte dans la capitale européenne de
l'alpinisme.
L'HÔTELLERIE n° 2609 Hebdo 15 Avril 1999