Propos recueillis par Olivier Marie
L'Hôtellerie :
Selon l'un de vos confrères, la gastronomie
rennaise n'existe pas. Quelles réactions vous inspire cette affirmation ?
Alain Duhoux :
C'est une pensée tout à fait subjective qui n'implique que celui qui le dit.
Rachel Gesbert :
Les macarons sont une chose, mais ce qu'il faut c'est respecter la cuisine en général.
On ne peut pas parler de gastronomie rennaise ou bretonne sans avoir goûté la cuisine.
Cette personne parle de maisons qu'il ne connaît pas et là je dis que c'est grave. Il
n'est jamais venu chez moi !
Jean-Yves Vilboux :
Avant d'avancer de tels propos, il faut avoir une certaine vision de la chose, il faut
avoir de l'expérience, ce que la personne en question n'a pas. Sa jeunesse l'a
certainement emporté. Mais qu'il respecte les professionnels qui ont fait ou qui font
preuve de qualité et de sérieux. Dire qu'il n'y a pas de gastronomie rennaise c'est
occulter ces vingt dernières années...
R.G. :
Depuis Michel Kerever disons... la référence de table, l'image de la Bretagne.
Pascal Piette :
Il y a eu je crois 7 macarons Michelin à Rennes en 1933. Le Du Guesclin a eu deux
étoiles, Le Ti Koz également. Mais géographiquement, la Bretagne n'est pas une région
où l'on peut avoir facilement 3 macarons. C'est une question de marketing. Si la
gastronomie rennaise n'est pas gâtée en macarons, c'est parce que Rennes n'est pas
l'endroit que l'on fréquente le plus en Bretagne. Cela n'a rien à voir avec un jugement
de gastronomie. A part ça, sur la ville, il existe une clientèle qui mange dans les
restaurants gastronomiques et à qui cette cuisine plaît !
L'H. :
Parlons d'histoire justement. Cette gastronomie a connu des
hauts et des bas ?
P.P. :
A l'image de toute la profession ! Ce qui nous a fait le plus de mal, c'est la guerre du
Golfe. Suite à une très belle saison, les gens avaient investi pour l'hiver et cet
événement a entraîné une espèce de psychose.
R.G. :
Cette guerre a été brutale et dramatique pour la profession...
J.-Y.V. :
Il s'est créé une instabilité d'affaires. La morosité chez la clientèle se
répercutait dans l'esprit des restaurateurs...
P.P. :
Et si l'on a tenu le coup c'est peut-être grâce en partie à nos souches paysannes,
rurales. Nous, chefs rennais, on avait envie de manger...
A.D. :
...et pas uniquement avec l'addition...
P.P. :
Oui, car sous prétexte de menus allégés, de moins d'alcool etc. la cuisine était
devenue antinomique, elle n'avait plus l'esprit même de la cuisine. Et nous, si l'on a
tenu le coup c'est bien grâce à ces racines paysannes. On a retrouvé une vérité dans
l'assiette, notre gastronomie rennaise est une gastronomie vérité. On a mis de
l'équilibre dans les plats qu'on avait déséquilibrés. Cette gastronomie d'hier
n'était pas adaptée à notre pays de Rennes. Aujourd'hui, elle est totalement
appropriée, nous sommes à la hauteur des porte-monnaie de nos clients. Je crois que là
nous sommes dans le vif du sujet ! Quand nos clients veulent manger pour 600 F, ils le
peuvent. Quand ils veulent manger pour 150 ou 200 F ils le peuvent également dans le
même établissement ! On a ouvert la palette.
A.D. :
De toute façon nous n'avions pas le choix ! Soit on passait, soit on partait !
L'H. :
Peut-on définir un ticket moyen sur Rennes ?
P.P. :
En termes de menu, sans parler de vin, la moyenne se situe entre 150 et 250 F.
R.G. :
Il y a des clients qui viennent pour manger une bonne cuisine de marché ou alors un repas
gastronomique avec de grandes bouteilles. On peut le faire. Les tickets sont donc très
partagés. Et c'est là que je ne comprends pas que l'on critique la gastronomie sur
Rennes par rapport à la qualité que l'on met dans l'assiette et le prix que l'on vend !
Aujourd'hui nos maisons font la différence !
P.P. :
S'il y a une faiblesse dans la gastronomie rennaise, c'est peut-être dans le service, le
cristal, les assiettes haut de gamme... Nous n'avons pas le luxe des grandes maisons tout
simplement parce que nous n'en avons pas les moyens ! Mais nous conservons notre
identité, dans nos restaurants et dans nos cuisines. Quitte à faire de petits sacrifices
en salle, nous préférons délivrer de bons produits. On ne peut pas se permettre de
faire du découpage au plat parce que derrière il faut aligner 3 personnes ! Impossible !
Mais si on ne peut pas faire ce genre de plat, on sait en faire d'autres, avec des
produits haut de gamme !
L'H. :
Justement, une gastronomie se définit non seulement par la
table mais également par la qualité de ses produits. Pouvons-nous en parler ?
R.G. :
Nous avons d'excellents fournisseurs dans la volaille traditionnelle, tel le coucou ! Des
petits bouchers nous livrent parfaitement le porc, le veau, l'andouille...
P.P. :
En Ille-et-Vilaine, la viande a une réputation internationale. Nous sommes une région de
viande ! Nous sommes attentifs aux produits parce qu'on aime ça. Et c'est ça la
gastronomie, c'est aimer ce que l'on prépare !
J.-Y. V. :
Et lorsque l'on évoque un produit comme le bar de ligne, il faut le connaître et savoir
le proposer en toute honnêteté à ses clients ! Quand il arrive, il faut avoir une
certaine fierté de dire à son client : Monsieur, voici du bar de ligne !
P.P. :
Sans parler du pigeon, un produit rennais très utilisé ici ! Le produit gastronomique
c'est également les légumes, la pomme de terre Duk de Saint-Malo...
J.-Y. V. :
... les carottes de la baie du Mont-Saint-Michel...
A.D. :
Et nous aidons les petits producteurs à vivre parce que l'on n'hésite pas à les payer.
On est à leur écoute.
R.G. :
Eux sont à l'écoute de nos maisons.
P.P. :
Et remercions des gens comme Marc Angelle et Marc Tizon qui, avant nous, ont aidé ces
gens à vivre et à produire. S'ils n'avaient pas été là, ces produits, on ne les
aurait pas.
L'H. :
Produits de qualité, tables en adéquation avec sa
clientèle, la gastronomie semble bien se porter ?
P.P. :
Aujourd'hui, la profession ici se porte bien. De nous tous autour de cette table, il n'en
existe pas un qui ait baissé son chiffre d'affaires depuis 3 ans. Ils ont même augmenté
plus que sensiblement. Et l'on ne va pas chercher nos chiffres dans la Vilaine avec un
hameçon et des vers ! Le client vient chez nous parce qu'il trouve ce dont il a besoin,
une gastronomie économique et personnalisée. Parce qu'on travaille peut-être sur plus
de volume de chiffre d'affaires et que nos marges sont peut-être plus basses qu'ailleurs.
Nos prix ne sont pas ceux de 3 macarons, mais en ce qui concerne la cuisine, elle est de
toute façon gastronomique.
R.G. :
Globalement, le marché rennais est aujourd'hui très favorable. La gastronomie va mieux,
il faut continuer. C'est pour cela qu'il ne faut pas s'amuser à critiquer. Il est
important d'être tous solidaires.
De gauche à droite : Jean-Yves Vilboux, Pascal Piette (assis), Alain Duhoux,
Rachel Gesbert.
L'HÔTELLERIE n° 2610 Hebdo 22 Avril 1999