La tradition au goût du jour
La plus ancienne brasserie bretonne est quimpéroise, fondée en 1624 par un catholique
irlandais qui avait fui les persécutions anglaises. On dit qu'au XIXe siècle une
centaine de brasseries artisanales prospéraient en Bretagne. Même si dans les campagnes
le cidre tenait toujours le haut du pavé. Au siècle suivant, ce fut le déclin. Les
brasseries bretonnes ont été rachetées quand elles ne sont pas détruites comme à
Nantes, en 1985. Précisément l'année où démarre la Brasserie des Deux Rivières à
Morlaix (Coreff). La fin du siècle voit en effet la renaissance de cette tradition. Les
jeunes bretons, pour lesquels la bière est le breuvage euphorisant de la fête (la
"piste") plus que les alcools forts, assurent le succès d'un produit désormais
de qualité, fabriqué en Bretagne, et dont les noms évocateurs exploitent habilement la
mode de la musique celte. Et accompagnent une certaine revendication de l'identité
bretonne.
La clé du renouveau et du succès est là : qualité, identité. Les plus anciens,
Jean-François Malgorn et Christian Blanchard qui, en 1985, ont lancé la Coreff, à
Morlaix (Finistère), ou Bernard Lancelot, qui, en 1990, a ouvert une cervoiserie dans un
manoir construit du temps de la duchesse Anne, près de Pontivy (Morbihan), se sont
formés à l'école belge. Car nos cousins du plat pays sont les maîtres en matière de
bière. Leur originalité aura été de répondre au souhait de la clientèle du moment
qui désire trouver des produits de qualité, lassée qu'elle était de l'uniformisation
des saveurs alimentaires en général, et de la bière en particulier. L'enjeu était
réaliste puisque la Bretagne est la troisième région française à consommer de la
bière (50 litres/an par habitant) derrière le Nord et l'Alsace. La moyenne annuelle
nationale est inférieure à 40 litres/habitant.
Chacune son identité
Inutile de cacher que les nouveaux brasseurs, dont certains étaient auparavant infirmier,
viticulteur, ingénieur, pharmacien ou apiculteur, ont eu quelques déboires au début. Et
ce malgré quelques études sérieuses menées en Belgique ou au Royaume-Uni. Aujourd'hui,
la nouvelle bière bretonne a son identité. Chaque brasseur a concocté une recette,
style potion magique, dont il garde le secret. Si le malt et le houblon proviennent encore
de "l'étranger", l'alchimie bretonne est faite d'un choix savant de levures,
pour la fermentation du moût de bière et d'une sélection bien pensée des épices qui
apporteront les parfums. Quelles levures, quelles épices, dans quelles proportions ?
Quelles quantités de malt et de houblon ? Quels malts d'orge ou de froment ? A quel
degré de torréfaction, de caramélisation ?
Chacun sa recette
Toute la différence est là. Quand on demande à Bernard Lancelot quelles sont les sept
plantes de sa cervoise, il se contente de répondre, avec le sourire, qu'elles sont du
pays... Car le nec plus ultra de la bretonnitude est évidemment d'intégrer dans la
mixture de base des produits régionaux. Y compris l'eau ! Elément essentiel s'il en est
puisque la bière est constituée de plus de 90 % d'eau. Le problème c'est qu'en Bretagne
la pollution des rivières par les lisiers des élevages porcins et les engrais des
cultures légumières est un vrai casse-tête. La solution ? La purifier. Les brasseurs
n'ont pas eu le choix ; même les sources sont atteintes. Ils procèdent donc eux-mêmes
à l'élimination des chlores et des nitrates.
Une fête de la bière bretonne ?
Les brasseurs précurseurs de Morlaix et de Pontivy avaient tous deux la fibre
régionaliste. Ils ont appliqué l'adage : "Vivre et travailler au pays. "
Aujourd'hui, bien d'autres les suivent. Ou tentent d'exploiter le filon. "Oui,
filon", estime Bernard Lancelot à Saint-Servant-sur-Oust, qui constate que certains
grossistes font brasser leur bière en Belgique voire à Nancy pour l'embouteiller en
Bretagne. Dans le milieu des brasseurs-artisans les noms sont connus : Trinquette,
Tonnerre de Brest. Une telle démarche apparaît à ces brasseurs passionnés comme de la
concurrence déloyale. Quelle parade ? Un label de qualité made in Breizh et la
communication qui le médiatisera. Un amoureux du métier a déjà lancé l'idée d'une
fête de la bière bretonne qui, dès cette année 99, pourrait rassembler dans le pays de
Nantes les chevaliers de la bière pour un grand tournoi de la qualité. Une bonne idée,
n'est-il pas ?
A. de Sigoyer
Bernard Lancelot, un ancien apiculteur, dévoré par une nouvelle passion, la
brasserie.
Quels prix ?Bernard Lancelot, dont la brasserie marche du feu de Dieu, et qui va devoir
déménager bientôt, a produit 3 000 hectolitres en 1998, en progression de 30 à 50 %.
Il pense encore faire mieux en 1999. Il vend déjà par Internet, notamment en Suisse, en
Italie et au Québec. Son prix public est de 12 F pour la 33 cl et de 20 F pour la 75 cl.
Pour les cafés, les prix sont respectivement de 6 F et 13 F HT. |
Une seule micro-brasserie prospérait en Bretagne, il y a une dizaine d'années. Elle était installée à Morlaix, et fabriquait la désormais célèbre Coreff. Aujourd'hui, elles sont une douzaine recensées. Les voici. Comme il en naît presque tous les jours, pardon pour les oublis éventuels !
Brasserie des Deux Rivières (Coreff) : 1 place de la Madeleine à Morlaix Tél. : 02 98 63 41 92 Brasserie Britt, Kerouel en Trégunc : Taverne Saint-Martin, pub-brasserie : |
Brasserie de Pouldreuzic : Kergonguen en Pouldreuzic Tél. : 02 98 54 37 71. Patrick Daniel Brasserie An Alarc'h : |
Brasserie des Diaoulics : La Ville-Echet à Saint-Pötan Tél. : 02 96 83 74 61. Bruno Desson et Jean-Michel Jézégou |
Brasserie du Trégor : Zone de Kerfolic à Minihy-Tréguier Tél. : 02 96 92 43 66. Stéphane Tanguy |
Brasserie nantaise : 23, bd de Chantenay à Nantes Tél. : 02 40 95 15 71. Luc Ropert |
Brasserie de Séverac : La Houssais, à Séverac Tél. : 02 40 88 71 77. Claude Lebreton et Gérard Chatellier qui produisent la "Gwenva" (paradis des Celtes). |
Brasserie Sainte-Colombe : La Landelle, dans la commune de Sainte-Colombe Tél. : 02 99 47 73 23. Gonny Keizer, infirmière hollandaise. |
Nez rouge café, pub-brasserie : 12, rue des Dames à Rennes Tél. : 02 23 40 05 00. |
Brasserie-Cervoiserie de Guermahia : Saint-Servant-sur-Oust Tél. : 02 97 73 04 75. Bernard Lancelot va bientôt déménager. |
L'HÔTELLERIE n° 2610 Spécial Bière 22 Avril 1999