Un concours inter-écoles européen
Un pétulant Italien, Paul
Lasio, figure bruxelloise de longue date, directeur de l'hôtel Leopold en plein quartier
européen et son adjoint flamand, l'entreprenant responsable commercial Luc De
Meulemeester, réalisent depuis février dernier un pari assez invraisemblable, en voie de
réussir. Le Leopold a pris l'initiative de créer, avec qui voulait bien y croire et
l'aider, un concours de cuisine par équipe réservé aux écoles hôtelières
européennes selon une formule totalement inédite. Chaque pays européen est représenté
par une seule équipe, une seule école. L'hôtel reçoit pendant une semaine chacune des
équipes : trois élèves de moins de vingt-deux ans en salle, trois en cuisine, deux
remplaçants. Ils sont accompagnés d'un professeur de cuisine et d'un professeur de salle
qui ont le droit d'assister aux opérations, de veiller au moral des troupes, d'éviter le
pire mais en aucun cas de diriger la mise en place. L'hôtel met ses cuisines et sa petite
salle de restaurant gastronomique à disposition. Le Leopold, propriété d'une famille
limbourgeoise, n'est ni Le Hilton ni Le Sheraton. Ses cuisines sont traditionnelles, et
les jeunes de Grégoire Ferrandi les ont trouvées pâles comparées à leurs propres
installations. Mais cette cuisine est plus proche de la réalité moyenne des
professionnels. Pendant ce temps, le personnel de l'hôtel assure le service des
séminaires et banquets ainsi que du café-brasserie de l'hôtel. Il faut donc tant bien
que mal que chacun trouve sa place. Le jury se compose en cuisine d'un représentant
permanent de la profession désigné par les branches belges des associations culinaires
(Maîtres cuisiniers, Euro-Toques, 33 maîtres queux, Tradition et qualité, JRE etc.), et
en salle d'autres représentants des mêmes associations ainsi
que du monde diplomatique de la capitale européenne, de membres de la presse
spécialisée et des clients du restaurant. De la salle, on voit tout ce qui se passe en
cuisine sur un écran vidéo géant, tandis qu'un membre du jury reste auprès des jeunes
cuisiniers. Il y a une notation tous les jours. Le résultat sera connu le 27 mai. Sur
quinze pays, seuls les Allemands ont déclaré forfait. Pour cette première édition, le
Fouet d'Argent avait recruté ses candidatures par mailing et persuasion, avec l'appui de
l'Euhofa (Association internationale des directeurs d'écoles hôtelières) qui devrait
logiquement devenir dans les années à venir le support logistique et institutionnel de
l'épreuve. Il n'était pas si facile pour les écoles situées à distance de mettre en
place un pareil programme. Pas facile non plus de trouver une date pour une épreuve de
quinze semaines qui coupait nécessairement vacances, stages ou période d'examens selon
les pays. Mais le concours a bien eu lieu.
Ferrandi bien placée
L'Ecole supérieure de cuisine française Ferrandi (ESCF) a représenté la France du 9 au
16 avril. De l'avis de Paul Lasio, le mardi soir, elle réalisait une bonne prestation.
Ferrandi, rappelons-le, vise une formation haut de gamme mixte culinaire et gestion de
futurs chefs propriétaires à ambition gastronomique. Elle recrute des jeunes déjà
diplômés du niveau Bac de l'enseignement hôtelier et en grande partie des bacheliers de
l'enseignement supérieur qui s'orientent vers la restauration. L'enseignement y alterne
six mois d'école et six mois de stages en grandes maisons. Ce sont donc des jeunes de
moins de 22 ans mais disposant déjà de près de trois années de formation alternée
derrière eux, qui ont été sélectionnés pour le concours. Deux filles et un garçon en
cuisine, deux garçons et une fille en salle, un garçon et une fille en réserve qui
servaient aimablement de passe-plats. Tous sélectionnés, explique le professeur de
cuisine présent Eric Robert, pour leurs résultats dans le cycle de formation, mais aussi
après un entraînement « en fonction de leur capacité à réagir dans la pression du
concours. Cela se passe bien. Ils sont très motivés, il le faut, nous n'avons pas
beaucoup dormi ». L'ESCF avait choisi une mise en place difficile, complexe, des
menus de haut niveau. Il faut tenir une semaine à raison de vingt-cinq à trente couverts
par service. Arrivée le samedi, installation, décoration de la salle de restaurant
(chaque équipe a carte blanche), et le dimanche il faut servir le premier repas. Ferrandi
avait choisi de signer sa prestation par une mosaïque représentative de l'Europe,
présente sur la carte (Creanog). Selon le règlement, dans une limite de prix définie,
chaque école devait proposer un menu comportant trois choix en entrée, chaud et dessert.
Les Français ont joué la chronologie avec un type cuisine à l'ancienne Escoffier
(exemple une Ballottine de volaille fermière aux morilles et vin jaune en entrée), un
choix actuel (exemple une Poitrine de pigeon glacée au Banyuls, cuisse confite et
légumes de printemps), et un choix futuriste à tendance bio comme ces Filets de rouget
barbet rôtis minute, avec leur panier de légumes biologiques, à l'huile et au basilic,
avec une odeur de vinaigre balsamique à l'arrière plan. A chaque tendance sa vaisselle,
de la porcelaine de tradition française au verre carré de Quartz. Long, difficile à
préparer. Au rayon complexe, notons encore, sous la responsabilité de Charlotte, un
Marbré de foie gras de canard aux belles de Fontenay qui angoisserait plus d'un
professionnel. Jugement fin mai. Les Français y croient beaucoup pour leur rigueur, pour
leur ardeur aussi. Les Autrichiens ont fait très fort sur le décor et l'ambiance. Les
Finlandais ont surpris par leur cuisine élaborée et savoureuse. Les Norvégiens dopés
par le Bocuse d'Or étaient attendus deux semaines après les Français.
A. Simoneau
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L'HÔTELLERIE n° 2612 Hebdo 6 Mai 1999