Gastronomie et santé
A propos des OGM
Bernard Fournier, président d'Euro-Toques France :
Euro-Toques est contre les OGM, de l'étable à la table. Nous sommes d'ailleurs en
train de mettre en place une charte de confiance qui nous engagera vis-à-vis de nos
clients. Mais pour cela, il nous faut savoir si les produits que nous cuisinons ont été
fabriqués ou non à partir d'OGM ou bien si la viande ou le foie gras de canard sont
issus d'animaux nourris ou non avec du maïs ou du soja transgéniques. Il faut aussi
distinguer les manipulations génétiques qui ont pour objectif de rendre un produit
meilleur de celles qui ont pour objectif de rendre les végétaux résistants à l'attaque
des insectes. Allez-vous Professeur Cabrol, vous opposer aux OGM ?
Professeur Cabrol président de l'intergroupe Alimentation et
Santé à la Commission de Bruxelles :
On n'a jamais pris autant de précaution pour introduire de nouveaux éléments sur
le marché. Et pour décider si on doit ou non accepter ces produits en France, il faut
s'appuyer sur le principe de précautions, c'est-à-dire, bien mesurer les avantages et
les inconvénients. Les OGM peuvent être dangereux. Alors, attendons. Actuellement, les
scientifiques n'ont pas noté d'effets nocifs sur la santé mais on ne sait pas quels
seront leurs effets dans 10 ou 15 ans. Il faudra bien faire attention à l'étiquetage
pour que ceux qui ne veulent pas consommer d'OGM puissent choisir. Mais à l'heure
actuelle, les méthodes d'analyse ne sont pas assez fines. On s'appuiera plutôt sur un
seuil de tolérance d'OGM dans les produits dits "sans OGM".
A propos de l'irradiation
B. F. : Il y a dix ans, Euro-Toques était favorable
à l'irradiation (ou ionisation) sur les herbes, aromates et épices importés de pays
lointains. Mais aujourd'hui la Commission européenne allonge la liste : fraises, papayes,
mangues, fruits secs, céréales, fruits déshydratés, bulbes, crevettes, volailles,
cuisses de grenouille... Elle doit présenter ses propositions le 31/12/2000 au Parlement
européen. Or, l'irradiation affecte les goûts et tout particulièrement celui des
graisses. La France, la Belgique et les Pays-Bas pratiquent l'irradiation depuis dix ans.
La Suède et l'Allemagne refusent cette technologie. Les autres pays se situent entre ces
deux attitudes. Je crois savoir que la Commission européenne veut étendre cette
technologie. N'est-elle pas dangereuse pour la santé ? La commission européenne
sait-elle qu'en irradiant certains aliments comme la pomme de terre par exemple, on
limitera les recettes. Les pommes de terre irradiées au stade "de nouvelles pommes
de terre" ne deviendront jamais de "vieilles pommes de terre" au goût
différent et aux utilisations culinaires différentes ?
C. C. : Les scientifiques affirment que l'irradiation n'est pas dangereuse pour la santé. Quant aux effets nocifs sur le goût, je n'en avais jamais entendu parler. Pour les scientifiques, l'irradiation n'est pas une méthode pour rendre sain ce qui est malsain. C'est une méthode pour allonger le temps de conservation. Les parlementaires européens sont dans l'ensemble réticents à cette nouvelle technologie de conservation.
A propos de la viande américaine aux hormones
B. F. : Euro-Toques demande
à Bruxelles de résister face aux pressions américaines à propos de la viande aux
hormones. Nous voulons avoir la possibilité de préserver un modèle européen de
l'alimentation. Les hormones font grossir plus rapidement les bovins or, en Europe, nous
sommes en surproduction de buf. Par ailleurs, la viande aux hormones est tendre et
cotonneuse, sans goût et sans texture. Elle est "pisseuse" et se rétracte à
la cuisson. La commission de Bruxelles attaquée par les Etats-Unis doit prouver que cette
viande est dangereuse pour la santé humaine. Laxiste, elle a attendu février 1998 pour
lancer 17 études scientifiques dont les résultats sont prévus pour cette année. En
attendant les arguments scientifiques, le 25 mars dernier tous les ministres des Affaires
étrangères sauf celui de la Grande-Bretagne sont tombés d'accord pour maintenir
l'embargo voté il y a 6 à 7 ans. Les Américains ont rétorqué : si l'Europe n'accepte
pas l'importation de viande américaine bien étiquetée (origine et présence
d'hormones), les Américains augmenteront de 100 % les droits de douane de trente produits
européens dont le foie gras, le roquefort, les marrons, les truffes, la moutarde. Nous
pensons que le Parlement européen doit résister à ce chantage.
C. C. : La viande aux
hormones est plus un problème économique qu'un problème de santé. Je ne crois pas
qu'elle soit dangereuse pour la santé. Je ne pense pas que les scientifiques pourront
démontrer sa nocivité. Ce n'est pas si facile que ça d'ingérer des hormones. Je pense
qu'on ne pourra pas empêcher les importations de viande américaine aux hormones vers
l'Europe mais on pourra imposer son étiquetage. Le Parlement envisage cependant de
résister et il lui faudra trouver une méthode pour s'en tirer. L'Europe a droit à des
dérogations dues à ses terroirs. La notion de terroir et la notion de patrimoine
gastronomique peuvent être des arguments porteurs pour défendre nos particularités. Je
pense donc que les chefs ont un grand rôle à jouer. Les députés européens sont pris
entre les pouvoirs politiques, économiques et scientifiques. Je suis donc prêt à
recueillir toutes vos inquiétudes et vos arguments. Les chefs doivent participer à tous
les débats relatifs à l'agriculture, à l'élevage et aux produits alimentaires...
Euro-Toques a vraiment un rôle à jouer auprès de la Commission Alimentation et Santé
de la Commission de Bruxelles.
Propos recueillis par Bernadette Gutel
© A. Blot
Le Professeur Christian Cabrol entouré d'Henri Charvet à gauche, de Bernard Fournier et
Alain Dutournier à droite.
A lireL'Europe, comment ça marche ? Commission européenne, Parlement européen, commissaires et députés européens...
chargés notamment de définir des "lois européennes". Quel est le rôle et la
fonction de chacun ? Christian Cabrol, député européen, s'est attaché à décrire
d'une façon simple et claire comment fonctionne la Commission européenne, le Parlement
européen et autres cours et comités. |
Euro-Toques à BruxellesLes chefs Euro-Toques sont désormais prêts à faire face aux lobbyings politiques,
économiques et scientifiques qui veulent imposer leurs lois en Europe dans le domaine
alimentaire. Ils veulent absolument sauvegarder notre patrimoine culinaire et nos produits
du terroir. C'est ainsi que le conseil d'administration européen d'Euro-Toques, réuni le
26 avril dernier en Finlande, a décidé de créer un bureau fixe à Bruxelles. Avec ce
bureau, ils seront ainsi tout proches de la Commission européenne et du Parlement
européen. Ils pourront jouer le rôle de consultants lors des préparatifs relatifs aux
différentes directives alimentaires. |
L'HÔTELLERIE n° 2612 Hebdo 6 Mai 1999