De Provence et de New York...
Propos recueillis par Lisa Casagrande
Le festival de la gastronomie provençale se déroulait dans le cadre de l'opération Marseille-Provence à New York, organisé par la CCI et Provence Alpes Tourisme International, et l'organisation a été menée de main de maître par les Maîtres cuisiniers de New York et le chef du consulat de France, Luc Pasquier.
Francis Robin, le Mas du Soleil à Salon-de-Provence,
était reçu par Jean Dumonet, chef des Trois Jean :
Nous avons tous été merveilleusement reçus par nos confrères, avec lesquels nous avons
eu des échanges humains et professionnels formidables. Nous avons tous aussi été
touchés par l'accueil que nous ont réservé les clients. De nombreux Américains, qui
avaient mangé chez nous au cours de leurs vacances, se sont déplacés, parfois des
villes alentour, pour venir nous voir... Sur les 120 à 150 couverts servis le soir, mes
plats provençaux ont été choisis à 80 % !
Nous sommes aussi allés visiter Le French Culinary Institute, qui va nous proposer des
stagiaires américains. C'est une bonne opportunité car leurs élèves sont plus âgés,
et animés par une plus grande envie d'apprendre que nos jeunes d'ici. Depuis mon retour,
deux cuisiniers français de New York m'ont également appelé pour me proposer
d'accueillir des membres de mon personnel pendant quelque temps... Cela serait une
expérience très enrichissante pour eux car les Américains ont une organisation très
différente de la nôtre, bien plus "business" ! Mais elle n'est pas adaptable
ici, car, vu le niveau de charges, ils ont beaucoup plus de personnel que nous.
René Bergès, le Relais Sainte-Victoire à
Beaurecueil, séjournait chez Jean-Jacques Rachou, à la
Côte Basque :
Je ne crois pas qu'il existe d'association professionnelle aussi chaleureuse que la nôtre
! Et travailler en cuisine dans un pays étranger est une merveilleuse façon d'être
proche des gens et de découvrir leur mode de vie.
C'est la troisième fois que je vais aux USA et j'ai constaté l'évolution très positive
de la qualité de la cuisine. J'ai tout trouvé sur place, même l'extrait de lavande pour
la glace... Et j'ai rapporté quelques petites idées de cuisine. J'ai découvert par
exemple la crème de maïs et je vais l'utiliser pour faire des huîtres.
J'ai également été enthousiasmé par les caves à vins ! Et étonné par l'importance
du personnel ! Les employés sont plus nombreux et travaillent moins d'heures, mais à
fond, car ça tourne ! Et ils ont la même préoccupation que leurs patrons : gagner le
maximum d'argent ! Si, en France, on continue à ne pas pouvoir embaucher, on ira manger
la cuisine française aux USA !
Evidemment, ce n'est pas la même dimension : Jean-Jacques Rachou, qui va venir chez moi
avec son second, sert 300 couverts par jour, dans une ville de plusieurs millions
d'habitants, alors que moi, j'en sers 70 dans un village de 525 âmes !
Mais je suis heureux de retrouver la nature. Ici, on est moins obsédé par l'argent et le
travail. Et quand on pense cuisine, on pense aussi moment de bonheur...
Alain Nicolet, du restaurant Nicolet à Cheval Blanc,
était aux fourneaux du Café Boulud :
J'ai découvert des restaurants d'une très grande qualité mais d'une autre dimension que
les nôtres ! Le Café Boulud, par exemple, emploie 30 ouvriers en pâtisserie et fabrique
500 kg de chocolat tous les jours ! En revanche, ils ne tiennent pas compte des saisons et
ne changent pas beaucoup leur carte.
Les New-Yorkais sortent beaucoup et tous les restaurants marchent ! Le soir, les clients
commencent à arriver à 18 h 30 et mangent très vite. On peut donc renouveler la table
et la rentabilité de l'établissement est ainsi deux fois plus importante qu'avec un
restaurant français, d'autant plus qu'en salle les serveurs sont exclusivement payés à
la commission (10 à 20 % de l'addition), le patron ne payant que les charges de
l'employeur, soit environ 30 F de l'heure.
Ce qui m'a le plus surpris ? La manière de manger des Américains. Ils commandent
plusieurs plats à la carte et se les font passer d'un convive à l'autre, en mangeant
dans la même assiette, ce qui provoque des mariages de goût parfois étranges pour un
Français et n'est pas très hygiénique !
Tout cela va me permettre de mieux comprendre les clients américains qui fréquentent mon
établissement et de mieux m'adapter à leurs habitudes.
La suite ? Je suis prêt à prendre des stagiaires du FCI pendant deux mois cet été. Et
Daniel Boulud va venir chez moi en famille pour voir comment je travaille.
Christian Etienne, restaurant Christian Etienne à
Avignon, jumelé avec l'Absinthe, de Jean-Michel Bergougnoux
:
Les clients étaient très heureux que nous ayons traversé l'Atlantique pour venir les
rencontrer chez eux et que nous leur manifestions ainsi notre intérêt. Je pense que cela
entretient l'extraordinaire cote dont bénéficie la Provence.
J'ai été très étonné par l'espace réduit de la cuisine, comparativement à la taille
de la salle. Cela m'a paru un exploit d'être capable d'envoyer tant de couverts dans un
aussi petit espace !
Si j'ai rapporté une idée de cuisine ? Oui, une façon différente de faire sécher les
tomates, en tranches plutôt qu'en larmes. C'est très intéressant pour préparer les
tomates confites car c'est fort en goût.
En tout cas, j'incite tous les jeunes Français à aller là-bas, car c'est une excellente
expérience et il y a une très forte demande de personnel de qualité.
J'ai très envie de continuer ce genre d'échanges, mais j'aimerais que plus de cuisiniers
participent à un tel jumelage et que, autour d'eux, se constitue un pôle incluant les
vins et l'agroalimentaire.
René Bérard, Hostellerie Bérard à La Cadière
d'Azur, a partagé ses émotions avec Christian Delouvrier,
restaurant Lespinasse :
C'était merveilleux de pouvoir bénéficier de tels échanges de points de vue avec un
chef aussi passionné et perfectionniste. Nous avons beaucoup discuté de la manière dont
se déroulent les cours de cuisine que ma maison propose aux Américains et c'était très
positif.
Christian Delouvrier a des locaux extraordinaires, qui m'ont donné des idées
d'aménagement. Il a notamment installé, à côté de la salle de restaurant, une salle
réfrigérée réservée à la pâtisserie, où il dresse les desserts juste au moment de
servir, tout le reste étant préparé au second sous-sol. Cela permet d'avoir encore une
plus grande qualité de présentation. Ma propre cuisine est également en sous-sol et je
vais aménager le même genre de système.
La suite ? J'aimerais que les Maîtres cuisiniers de France mettent en place une
opération de jumelage au niveau de la France entière, avec des cuisiniers de
différentes régions. J'ai profité de mon séjour pour évoquer cette idée avec les
responsables de Maison de la France. Et je vais accueillir le second de Lespinasse, qui
souhaite apprendre à "sentir la Provence", à découvrir les herbes et les
mariages de saveurs.
Les Maîtres Cuisiniers français de Provence et de New York.
L'HÔTELLERIE n° 2614 Hebdo 20 Mai 1999